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« Si Dieu n’existe pas, tout est permis »

Publié le 02/11/2022

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« « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » Voltaire écrit dans ses Dialogues : « Je veux que mon procureur, mon tailleur, mes valets, ma femme même croient en Dieu ; et je m’imagine que j’en serais moins volé et moins cocu.

».

La réflexion est évidemment ironique, puisqu’elle apparaît sous la plume d’un farouche ennemi de la religion.

Cependant, elle ne manque pas de relever l’un des principaux éléments qui constituent la foi religieuse : si les gens croient en l’existence d’un Dieu, ils n’oseront pas tout se permettre. Dieu a toujours été considéré comme une instance suprême qui, par sa supériorité, inspirait la peur. Peur de la damnation, peur de la sanction, toujours terrible dans la Bible si l’on pense par exemple aux sept plaies de l’Egypte.

A l’inverse, l'absence d'une autorité suprême peut faire penser qu'il n'y a plus de règles et donc que « tout est permis » puisqu’il n’y aura plus de sanction et donc plus de peur d’être puni.

La formule « Si Dieu n’existe pas, tout est permis » est d’ailleurs très célèbre et souvent attribuée à l’auteur russe Fiodor Dostoïevski.

En effet, l’idée revient à plusieurs reprises dans des dialogues des Frères Karamazov, bien que la formule n’apparaisse jamais sous cette forme.

Cette phrase, très brève, présente des enjeux fondamentaux.

Elle a la forme d’un raisonnement logique, composé d’une hypothèse et d’un effet.

On ne sait pas si Dieu existe ou non, telle n’est pas la question.

Mais si ce n’est pas le cas, la conséquence est que « tout est permis ».

L’expression « tout est permis » reste tout de même vague.

Parle-t-on de ce qui est légalement permis ? Si Dieu n’existe pas, est-il vraiment permis de tuer par exemple ? Non, bien évidemment.

La loi condamne sévèrement le meurtre.

Que Dieu existe ou pas, les lois restent les mêmes.

C’est davantage dans un sens moral qu’il faut entendre le mot « permis ».

La question qu’il convient alors de se poser est en fait : si Dieu n’existe pas, tout est-il moralement permis ? Est-ce l’existence d’un Dieu tout puissant qui fait la morale des Hommes ? Cette question est d’autant plus intéressante dans un Occident où la religion, dans l’acceptation de ses valeurs comme dans sa pratique, est en déclin.

Ce déclin est-il accompagné de celui de la morale ? Finalement, la morale religieuse, crée à la naissance des sociétés selon des principes arbitraires, peut-elle être garante de ce qui est permis moralement dans les sociétés modernes ? Nous analyserons d’abord les raisons qui peuvent amener à penser que si Dieu n’existait pas ou n’avait jamais existé, la morale serait absente de nos sociétés occidentales modernes.

Puis nous analyserons la morale religieuse plus en profondeur, afin de questionner sa conception ce qui devrait être permis ou non dans nos sociétés modernes. Qu’il existe ou non, Dieu constitue une autorité morale supérieure au fondement de toutes les sociétés, permettant aux Hommes de vivre ensemble. La religion est à l’origine de la plupart des sociétés actuelles : ce que nous considérons comme moral vient du religieux. En effet, toute société est à l’origine religieuse.

La religion permet de répondre à des besoins humains d’ordres psychologiques et métaphysiques.

Sur le plan individuel, la religion permet de croire à l’existence d’une permanence individuelle au-delà de la mort, d’une existence après la mort.

A ce sujet, Freud affirmait : « Nos recherches nous amènent à conclure que la religion n’est qu’une névrose de l’humanité ».

Selon le psychanalyste viennois, la religion réalise de façon illusoire les désirs infantiles de l'homme : la religion a une fonction consolante parce qu'elle offre la perspective d'un au-delà dans lequel le désir réprimé par les exigences de la "civilisation" trouvera sa satisfaction.

Par ailleurs, elle répond de manière illusoire aux désirs infantiles de l’Homme que sont le besoin de protection et d'amour par l'image d'une providence bienveillante sous la forme de Dieu le Père.

Dans ses Frères Karamazov, Dostoïevski évoque une autre composante essentielle de la foi religieuse, d’ordre psychologique : « Rien n'est plus séduisant pour l'homme que sa liberté de conscience.

Mais rien n'est une plus grande cause de souffrance ».

Les Hommes auraient besoin d’être encadrés par une puissance supérieure, pour répondre à une forme d’angoisse existentielle et pour restreindre la cadre de leur action pour faire ce qui est bon.

C’est sur le plan collectif que l’analyse est plus intéressante : elle relie l’individu à une communauté fraternelle.

C’est une idée que l’on peut retrouver dans l’étymologie même du mot « religion ».

Religare signifie en latin lier, relier ou encore attacher.

La religion peut donc être associée à un phénomène qui unit les Hommes de deux manières : horizontale et verticale.

La dimension horizontale de la foi suggère que tous les croyants sont sur un pied d’égalité face à la seule figure d’autorité incarnée par Dieu.

La dimension morale de ce précepte est assez claire : aucun Homme n’est supérieur à un autre par nature.

La dimension verticale laisse entendre que les croyants sont reliés à une divinité subjective et mystique : tous partagent une morale similaire liée à cette divinité.

En extrapolant, on peut imaginer que ce sont ces aspects collectifs de la morale religieuse que l’on retrouve dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et l’allégeance des Etats membres de l’ONU à sa Charte, qui prodigue une morale que chacun se doit de respecter.

Tout cela se fait de manière inconsciente ou non, les nations dominantes de l’ONU ayant connu une histoire fortement influencée par la religion chrétienne.

Les Etats-Unis d’Amérique par exemple, assument totalement cet héritage : l’inscription « in God we Trust » est frappée sur chacune de leurs pièces de monnaie et le président entrant a pour coutume de jurer sa bonne foi sur la Bible.

Mais, fondamentalement, l’origine des religions est peut-être à chercher dans les besoins de la société prise dans son ensemble, plus encore que dans ceux de l’individu : si aucune société n’a pu exister sans religion, c’est qu’à l’origine la seconde n’est que l’orchestration spectaculaire de la première.

En effet, Dieu est extérieur et supérieur à l’individu, de la même façon que la société est extérieure et supérieure à ce dernier.

Dieu est, ainsi, « contraignant » de la même manière que la société oblige chacun à suivre des règles.

La loi divine n’est finalement rien d’autre que la loi sociale divinisée.

La religion est donc indispensable aux sociétés naissantes car elle sacralise un ordre lui-même naissant et donc encore fragile.

Selon Emile Durkheim dans Les formes élémentaires de la religion (1912), le sentiment religieux n'est rien d'autre que la transfiguration du sentiment d'appartenance à une société, que les rites associés viennent simultanément exprimer et renforcer. L’influence de la religion dans nos sociétés occidentales a longtemps justifié le corollaire de l’expression de Dostoïevski : si Dieu existe, tout n’est pas permis. La religion a non seulement, pendant longtemps, organisé la vie sociale mais en plus, elle a consacré l’ordre social en imposant aux hommes une morale indiscutable reposant sur une définition manichéenne du bien et du mal.

Un nombre très important de règles et d’interdits qui supposent une maîtrise des instincts et des pulsions a été édicté : manger à satiété relève d’un besoin physiologique, jeûner volontairement relève de la culture et donc élève l’Homme au-dessus de l’animal par exemple. Peu importe la légitimité de l’interdit : ce qui compte, c’est l’interdit lui-même qui participe à la création du surmoi individuel et surtout à la constitution du collectif.

Ces lignes de conduite constituent donc comme une forme de morale commune a tous les croyants.

La plupart relèvent du bon sens pour garantir le fonctionnement d’une société : parmi les 10 commandements de la religion chrétienne, on retrouve notamment l’interdit du meurtre, du vol, de l’adultère, … Comment s’assurer que ces interdits sont respectés ? L’omniscience de Dieu est commune à toutes les religions monothéistes.

Contrairement à la police ou à la loi, on ne peut pas tricher devant Dieu : il sait tout, voit tout et lit au fond des cœurs (« L’Eternel est dans son saint temple, L’Eternel a son trône dans les cieux ; Ses yeux regardent, Ses paupières sondent les fils de l’homme » Psaume 11 de la Bible).

A cela, on ajoute la punition ou la récompense offerte par Dieu si l’on suit ses préceptes, qui est infiniment plus motivante que la loi : éternité de souffrance ou de bonheur.

Dieu tient en quelque sorte une énorme carotte et un énorme bâton.

La loi n’a en comparaison qu’un minuscule bâton et aucune véritable carotte, seule l’assurance d’une tranquillité si elle est respectée.

S’il n’y a plus de Dieu auquel rendre des comptes, il n’y a simplement plus de carotte et plus de bâton.

Autant jouir de tout sans se soucier d’autrui, d’où la formule « Si Dieu n’existe pas, tout est permis ».

La religion est le meilleur moyen que l’Homme n’ait jamais trouvé pour que les individus se conduisent moralement, avec une punition éternelle et infaillible en cas d’effraction.

Cette morale a longtemps dépassé le cadre de la simple croyance, si bien que chacun y était soumis.

De Pépin le Bref au Lumières, il y a eu une relation très étroite entre pouvoir politique et religion en France : le souverain était considéré comme le premier représentant de Dieu sur terre.

Le précepte religieux devient alors loi politique et obligation morale.

Dans certaines religions comme l’Islam, ce sont deux notions encore très liées. Aucun pouvoir politique n’est jamais parvenu à créer pareille soumission sur une population pour des interdits largement arbitraires.

Aucune dictature n’a jamais réussi à inhiber l’esprit critique, à éteindre toute forme de critique et d’opposition et à disqualifier la raison comme la religion a su le faire.

Mais est-ce nécessairement pour le meilleur ? La religion fait-elle vraiment de nous des êtres moraux ? La morale religieuse est-elle véritablement morale au sens strict ? Une morale qui a été prodiguée au fondement des sociétés, aussi arbitraire que la morale religieuse, ne peut-elle pas être aujourd’hui remise en question.... »

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