Y a-t-il une ou plusieurs histoires ?
Extrait du document
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Problématique:
La question invite à s'interroger sur les capacités de l'historiographie (la discipline historique) à restituer
objectivement le passé.
Parce qu'il y aurait plusieurs histoires, il faudrait douter de leur objectivité.
Mais le sujet
suppose également une réflexion sur les philosophies de l'histoire qui visent à saisir l'histoire des hommes sous l'unité
de « grands récits » (Hegel, Marx...).
Quelques rappels sur l'évolution de l'historiographie feront mieux comprendre
l'enjeu du problème.
Apologie pour l'histoire de Marc Bloch (interrompu dans sa rédaction par les nazis en 1944) est l'un des textes
fondateurs de l'École des Annales.
Ce courant de l'historiographie française a concentré une partie de ses critiques
contre « l'histoire événementielle », autrement dit cette façon d'écrire l'histoire en rapportant, presque uniquement,
les conflits pour la maîtrise du pouvoir politique.
Plus radicalement, cette école critique le concept d'événement et
les caractéristiques que le sens commun lui attribue: l'événement a eu lieu dans le passé et l'historien doit le
raconter tel qu'il s'est produit; ces événements ont pour acteurs des individus; le temps historique est référé aux
temporalités vécues par ces acteurs.
Mais l'historien ne raconte pas un fait qui a eu lieu; il le reconstruit à partir de traces partielles.
Avec les Annales,
cette reconstruction peut porter sur des entités anonymes: civilisation, classe sociale, mentalité...
Il est alors
possible de manifester de nouveaux objets dont les acteurs historiques n'ont pas conscience.
Enfin, la durée étudiée
par l'historien n'est plus nécessairement celle vécue par les individus.
D'où des temporalités multiples: temps court
de l'événement, de la conjoncture, longue durée de la civilisation...
Dans La Méditerranée et le Monde méditerranéen
à l'époque de Philippe II (1949) de Fernand Braudel, la Méditerranée est le héros d'un récit de longue durée.
Sous
l'histoire superficielle de l'individu s'en déroule une plus lente, celle de tendances profondes dont l'historien perçoit
l'évolution.
Ces transformations de l'historiographie la rapprochent de certaines sciences humaines (économie, sociologie...)
auxquelles elle emprunte parfois les méthodes, en particulier quantitatives.
Le corrigé suivant tente de tenir compte
de cet éclatement du champ historique, de l'articulation de l'historiographie avec les sciences humaines et enfin de
la remise en question des « grands récits ».
Il propose en particulier une discussion des concepts de théories,
modèles et paradigmes et critique les philosophies qui encadrent la multiplicité des histoires sous l'autorité d'un
unique récit.
Problématique
L'histoire, entendue comme l'ensemble des faits du passé, se distingue de l'activité de l'historien qui rapporte
ces faits.
Pour ne pas les confondre, il faut appeler historiographie la discipline de l'historien et réserver le nom
d'histoire aux événements relatés par l'historiographie.
Mais apparaît alors un problème : peut-on véritablement
faire confiance à l'historiographie pour rapporter fidèlement l'histoire ? L'historien n'est-il pas comme un romancier ?
Le livre d'histoire est-il véridique ou bien nous raconte-t-il seulement de « belles histoires » ?
Plan
I- Ecrire l'histoire : la nécessité du pluriel
·
Une science de l'histoire ? On affirme souvent que l'historiographie n'est pas une
science : elle manquerait d'objectivité.
On suppose ainsi tacitement qu'elle devrait suivre la
méthode des sciences de la nature mais qu'elle ne le peut pas.
Cette méthode est en effet
ordonnée en trois étapes, absente du travail historiographique : observation, hypothèse et
vérification expérimentale.
·
Alors que les sciences de la nature ont pour objet des phénomènes que l'expérience
reproduit en laboratoire, l'historiographie est bien incapable d'observer directement son
objet, car elle étudie des événements passés, par définition à jamais révolus.
·
De plus, la physique ou la biologie formulent des hypothèses à partir de faits.
A
l'inverse, pour produire des hypothèses, l'historiographie sa base sur des témoignages, et
non sur des faits.
Enfin, le physicien peut vérifier ses hypothèses grâce à des expériences
indéfiniment répétées.
L'historien, lui, ne peut recourir à l'expérimentation car l'événement
qui aurait vérifié ou infirmé ses hypothèses est unique et a disparu.
Une interprétation
historique ne peut donc être objective, si l'on entend qu'elle pourrait être vérifiée
expérimentalement, selon les méthodes des sciences de la nature.
On comprend alors en ce
sens que, puisque les différentes hypothèses d'interprétations que fournissent les historiens
ne sont pas vérifiables, il n'y a pas une histoire, mais bien plusieurs.
·
En effet, c'est ici que se pose le problème de l'impossible partialité de l'histoire (d'où le
pluriel) : des préjugés idéologiques ou politiques peuvent aussi faire obstacle à l'objectivité
de l'historien.
Certes il doit toujours vouloir être impartial, comme Thucydide l'annonce au
début de son Histoire de la guerre du Péloponnèse (que l'on peut considérer comme le père
fondateur de l'historiographie) : il affirme clairement que l'impartialité est indispensable pour
rapporter des faits du passé.
Mais comment l'historien pourrait-il ne pas appartenir à une
société ? Comment pourrait-il échapper aux valeurs de son siècle ? N'est-il pas toujours.
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