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Y a-t-il de l'incommunicable ?

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Prétention de l'ineffable à dénoncer. Selon la métaphore architecturale d'une construction où il y a un haut et un bas (et par là même une fondation, « un fondement ») la croyance  répandue (« ordinairement ») en l'ineffable (ce qui échappe à l'expression) est celle d'un haut sur-valorisé (« ce qu'il y a de plus haut »), mais qui ne s'appuie sur rien (« sans fondement »). Ce qui fait que ce qui est pris par l'opinion, pour le haut n'est en réalité ?à l'opposé de l'apparent- que superficialité, qui s'oppose à la solide épaisseur du profond. Cette métaphore, imaginée pour dire l'ineffable, ne pouvant jouer qu'à vide, on peut aussi en proposer une autre, plus réelle (« en réalité... »), mais ici, à peine suggérée : celle d'un baquet, où une chimie secrète (« obscure ») opère sa fermentation. L'ineffable n'est pas apparemment dans la clarté de ce qui est « le plus haut », mais, en réalité, dans l'obscur de ce qui est au plus profond. Mais cet obscur fait l'objet d'un travail caché qui s'accomplit au-dedans, dans le bruissement discret de la fermentation. Mais cette pensée sobre est incomplète, « obscure » au sens d'incompréhension, impossible à déchiffrer, comme on parle d'un sens difficile à comprendre, de quelque chose d'embrouillé ou de fumeux (les vapeurs de la fermentation). Elle ne sera pensée qu'une fois accomplie, achevée, rendue claire par le mot qui donne le sens. 3.

« • Distinguer les deux sens possibles de la question : question de droit (ai-je le droit de ne pas communiquer les informations ?) et l'autre question, de puissance, qui pose le problème des rapports pensée-langage (puis-je tout communiquer, puis-je tout signifier à quelqu'un ?). • Y a-t-il une inadéquation de la pensée à la parole ? • Peut-on concevoir une pensée pure, indépendante de toute langue, qui ne serait alors qu'un intermédiaire plus ou moins adéquat, et qui réserverait la possibilité d'une pensée indicible et incommunicable ? Telle est la position de Bergson : « L'intuition est la vision directe de l'esprit par l'esprit.

Plus rien d'interposé; point de réfraction à travers le prisme dont une face est espace et dont l'autre est langage.

» La pensée et le mouvant, p.

35. • Dans cette perspective, le langage est aussi incapable de communiquer la pensée pure que nos sensations et sentiments. « Aussi chacun de nous a sa manière d'aimer et d'haïr, et cet amour, cette haine reflètent sa personnalité tout entière.

Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes; aussi n'a-t-il pu fixer que l'aspect objectif et impersonnel de l'amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l'âme.

Nous jugeons du talent du romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait fait descendre, des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails, qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité.

Mais de même qu'on pourra intercaler, indéfiniment, des points entre deux positions d'un mobile sans jamais parcourir l'espace parcouru, ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent : la pensée demeure incommensurable avec le langage.

» Bergson.

Essai sur les données immédiates de la conscience, p.

123-124. Pour Bergson, le langage procède de l'extériorité.

Aussi est-il de l'ordre du décomposable, de l'espace, et du déterminisme.

Pour le moins il laisse échapper ce qui fait la complexité de la pensée qui, elle, est de l'ordre de l'intériorité.

Une telle critique sera constamment exposée par Bergson, qui estime, par ailleurs (« Le Rire »), que les mots du langage ne sont que des étiquettes collées sur les choses et par là qu'ils sont incapables d'exprimer les choses mêmes. Il s'agit ici d'une critique du langage et non de notre propre impuissance à exprimer notre vie intérieure.

Si nous échouons à traduire ce que notre âme ressent, c'est parce que le langage est inadéquat.

Il y a une différence de nature entre notre vie intérieure et le langage. Un sentiment (parmi les mille, évoqués ultérieurement) qui dit tout de la personnalité est, pense Bergson, l'amour (et son opposé, la haine), non pas traité en général, mais dans l'individualité (« chacun de nous ») qui nous appartient en propre (« sa » manière, « sa » personnalité) en tant que sujet. Cette particularité (que l'on sous-entend être différente de l'un à l'autre) exprime cependant à chaque fois la totalité (la personnalité « tout entière »). La richesse du concret d'un sentiment vécu, infiniment varié, s'oppose à la pauvreté abstraite du langage.

Le langage n'exprime pas, il est, du dehors, un simple index (« il désigne »).

Les états (à comprendre comme multiples, intérieurs et subjectifs) ne peuvent être rendus par le langage qui rate la différence par l'emploi du même (« les mêmes mots »), la particularité par la visée, réductrice, de termes s'appliquant à tous (« tous les hommes »). Comme le ferait un entomologiste collectionneur qui, dans un sous-verre, pique, dans son immobilité, un papillon jadis vivant, le langage fixe l'extériorité (« l'aspect objectif » qui n'est qu'un des multiples aspects du possible) et laisse là échapper –avec le bruissement de la vie- le caractère subjectif et personnel du sentiment.

L'après-coup du langage (« n'a-t-il pu ») est trop tard.

Son impuissance (soulignée par la formule négative) s'étend à l'expression de n'importe quel sentiment, alors qu'il y en a tant et tant dans l'intériorité foisonnante et contradictoire de la vie de l'âme (« mille sentiments qui agitent l'âme »). • Le solipsisme linguistique a particulièrement été exploité par la littérature. Cf.

Rilke : Lettres à un jeune poète : « Presque tout ce qui nous arrive est inexprimable; au fond, et précisément pour l'essentiel, nous sommes indiciblement seuls.

» Voir aussi : Blanchot : Faux pas (Gallimard).

Kafka : Lettres à Milena et Lettres à Felice (Gallimard). • L'ineffable. Il est des réalités intraduisibles par le langage: A) D'abord, dans le domaine psychologique.

Puisque le langage est essentiellement social, la pensée autistique, celle qui demeure sans contact avec la réalité extérieure et avec autrui est donc incommunicable: chez les schizophrènes, l'aphasie n'a pas d'autre cause.

sans descendre jusque-là, il est certain qu'il existe dans la vie affective (émotions, sentiments, passions) bien des nuances individuelles que le langage ne traduit que fort imparfaitement.

Bien des auteurs, et des plus classiques, ont fait allusion à ce "je-ne-sais-quoi" que le langage ne parvient pas à exprimer.

C'est surtout dans la communication des consciences entre elles que cette insuffisance du langage s'affirme.

Bergson l'avait signalé: "Le mot aux contours bien arrêtés, le mot brutal qui emmagasine ce qu'il y a de commun et par conséquent d'impersonnel dans les impressions de l'humanité, écrase ou tout au moins. »

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