Théophile de Bordeu
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Théophile de Bordeu
1722-1776
Les vocations des fils sont l'Oeuvre des pères.
Il n'en est pas de meilleur exemple que la vie de Théophile de Bordeu.
Dès que son père
eut coiffé le bonnet doctoral à la Faculté de Montpellier, il rejoignit son cher Béarn.
C'était un homme cultivé, ironique, qui adorait ses
montagnes.
Il soigna ses concitoyens, sans négliger ses concitoyennes.
Il eut ainsi beaucoup d'enfants, dont dix-huit légitimes.
Ce
médecin bon vivant attribuait sa vigueur et ses succès thérapeutiques à la pureté de l'air de son pays et aux vertus des eaux minérales.
Il
n'est donc pas étonnant que le fils qui lui naquit le 21 février 1722, devînt le fondateur de l'hydrologie moderne.
Cette naissance eut lieu à Izeste.
C'est là que Théophile passa son enfance et reçut de son père la première formation médicale.
Tous
deux partaient à l'aurore pour parcourir cette campagne qu'Auguste de Bordeu appelait son laboratoire.
Le soir, la conversation reprenait
dans la grande salle où se trouvaient quelques livres — Rabelais, Montaigne, Plutarque, Virgile, Corneille, Molière en étaient les plus
précieux.
La place d'honneur était réservée à la Bible du Concile de Trente où le père du jeune Théophile savait trouver de tout, même de
la médecine.
Ce médecin faisait bon marché de la littérature médicale.
Quelques thèses rapportées de Montpellier, collées sur toile, lui
constituaient alors un paravent.
Le plus bel éloge de l'enseignement donné à Montpellier se trouve dans le souvenir reconnaissant que ce sage en avait gardé.
Il estimait
que la médecine ne s'apprenait pas dans les livres mais dans l'observation journalière ; aussi, dès que son fils eut atteint l'âge de dixsept ans, se hâta-t-il de l'envoyer à l'école où lui-même s'était formé.
N'est-ce pas la preuve que la scolastique y était depuis longtemps
oubliée ?
Théophile arriva en novembre 1739 à Montpellier.
Son intelligence, son élégance naturelle l'imposent dès l'abord.
Il se passionne pour
l'anatomie et donne bientôt des leçons à quelques-uns de ses condisciples.
Il travaille.
"Je ne sors, écrit-il, que pour dîner, aller à
l'Anatomie, à l'Université ; point de mail, point de vin, point de filles", et sans doute dit-il vrai ; mais parfois, le rigorisme de cette
existence se détend et dans une autre lettre il avoue n'avoir, depuis un mois, rien fait que des dettes et c'est l'appel classique à la bourse
paternelle.
Par une pente que nous estimons toute naturelle, mais originale au temps de Bordeu, l'étude de l'anatomie le conduisit à celle de la
physiologie.
Son premier travail est sa thèse de bachelier : Dissertatio phisiologica de sensu generice.
La soutenance en fut brillante et le
jury le dispensa de plusieurs actes de scolarité.
Voilà comment, dès l'année suivante, il recevait le 6 décembre le titre de licencié et six
jours après (12 décembre 1743) le bonnet doctoral.
Bordeu revint alors au pays.
L'ambition de son père était de le voir installé à Pau.
Il s'y essaya, mais la jalousie, les chicanes sans
nombre le rebutèrent et il revint à Montpellier.
Une épidémie de variole facilita sa vie matérielle.
Il reçut le titre de professeur d'anatomie,
ouvrit un cours libre de chirurgie, et en huit jours de travail fébrile rédigea un livre.
L'enseignement paternel, l'amour de son pays
l'inspirèrent et ce furent les Lettres contenant des essais sur l'histoire des eaux minérales Béarn.
La forme épistolaire était alors employée
pour toutes sortes d'ouvrages, même scientifiques.
C'était une façon galante d'intéresser au succès d e l'ouvrage de jolies femmes
choisies comme destinataires.
En l'espèce, Mme de Sorberio joua ce rôle.
SOeur du marquis d'Ossun, homme puissant à la cour comme à
la ville, elle appartenait à la meilleure noblesse béarnaise.
Bordeu, en publiant son livre, fondait, sans s'en douter, l'hydrologie moderne
et préparait le succès de sa carrière.
Le 19 décembre 1746 il partait pour la capitale.
Il appréciait curieusement ce qu'il allait y chercher : "Ce n'est point, disait-il, un endroit où
l'on apprend ; il faut avoir fait ses provisions avant d'arriver, c'est là seulement qu'on se polit et qu'on acquiert cet air de suffisance et
d'impertinence même, qui est nécessaire."
Il a vingt-quatre ans, travaille et se répand.
Le 5 avril 1749, il est nommé démonstrateur d'anatomie en la ville de Pau et reçoit en plus le
titre d'intendant des eaux minérales d'Aquitaine.
C'est le retour dans le Béarn.
Mais sa situation matérielle reste précaire et, en 1752, il
revient chercher fortune à Paris.
Il y avait été précédé par la publication de son Oeuvre maîtresse, La position des glandes et leur action (1751) ; il y reprenait en les
élargissant les idées émises dix ans auparavant dans un travail montpelliérain : Chilificationis Historia, rédigé par lui et utilisé comme
thèse par son cousin Brumon Disse.
Ce livre eut du succès et le mit en relations avec les Encyclopédistes.
Collaborateur du célèbre ouvrage, il y publie l'article : "Crises".
Dans le même temps, il soutient trois thèses devant la Faculté de médecine de Paris : une qu'il a dû écrire avec amour sur Les Eaux
thermales du Béarn ; deux autres sur des questions moins personnelles : Tous les organes du corps participent-ils à la digestion ? et La
Chasse est-elle plus salubre que les autres exercices ?
Un an après, ce sont les Recherches sur le pouls, puis, en 1764, les Recherches sur l'inoculation, en 1767, les Recherches sur le tissu
muqueux, en 1775, celles sur Les Maladies chroniques.
Entre temps, il avait acquis une situation de premier plan.
Il était appelé à soigner le prince de Conti, le duc de Chevreuse, le duc de
Chartres, la Dubarry et Louis XV.
Il réussit auprès de tous.
Aussi soigné dans sa mise que Buffon, il est désintéressé et plein d'esprit.
Les
envieux ne manquent pas, mais il est malgré tout entouré d'une symathie et d'une admiration générales.
On le consulte sur tout et Mme
de la Ferté, en l'appelant "Maître en toutes choses", lui demande un jour une définition de l'amour.
"On dit qu'il est la reconnaissance du
plaisir, répond-il, j'ai l'âme si libérale que j'ai la gratitude avant le bienfait."
Le 23 décembre 1776 on le trouva mort dans son lit.
Mme de Bussy lui consacra cette brève oraison funèbre : "La mort le craignait si fort
qu'elle l'a pris endormi." Il avait cinquante-quatre ans.
Bordeu fut en tout un précurseur.
Il est classique de le reconnaître comme tel en hydrologie, il le fut en bien d'autres domaines.
Il est le
fondateur du vitalisme, il a pressenti la radioactivité, la cènesthésie, les localisations cérébrales, les synergies fonctionnelles, le rôle du
tissu conjonctif, la vaso-motricité, et même le rôle psychologique de l'inconscient.
On ne lit plus les Oeuvres de Bordeu, c'est dommage.
Il y faut parfois un effort, il est toujours fécond.
De cette lecture, bien des médecins
qui, de nos jours, pensent avoir tout inventé, tireraient une leçon de modestie..
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