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Soyons réalistes ?

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« Introduction.

— Jadis les enfants trouvaient normal de continuer la tradition familiale et cette fidélité au passé constituait pour beaucoup leur plus ferme assurance.

Il n'en est plus de même aujourd'hui.

« Soyons réalistes ! » aiment-ils répéter.

On croit bien deviner ce qu'ils entendent par là, mais il sera préférable de le préciser.

Cela fait, il sera sans doute facile de dire si ce mot d'ordre peut être adopté comme règle de vie. I.

— CE QU'ON ENTEND PAR LA Dans le langage courant et abstraction faite du sens donné à ces mots par les philosophes, le réaliste s'oppose à l'idéaliste, comme le réel à l'idéal ou à l'imaginaire.

Or, ces deux derniers mots nous le suggèrent, « idéaliste », qui, de soi, devrait constituer un éloge, revêt souvent une nuance péjorative. a) A s'en tenir à l'étymologie et au sens premier est idéaliste celui dont la conduite s'inspire d'un idéal.

Le réaliste qu'on lui oppose est alors celui qui ne s'embarrasse pas de normes idéales, mais ordonne sa conduite d'après des données de fait, pratiquement d'après la manière commune de se comporter et surtout d'après ses tendances et ses intérêts.

Ce réalisme s'apparente au naturalisme qui tend à méconnaître l'esprit et les valeurs spirituelles. b) Mais on appelle aussi et sans doute plus souvent idéaliste l'individu qui, fermant les yeux à la réalité, vit dans le rêve, se repaît de chimères et ne fait rien.

A l'opposé, le réaliste est celui qui tient compte du réel, de ce que sont les choses et les hommes, ainsi que de ce qu'il est lui-même.

A partir de ces données il peut soit viser un idéal, soit, dépourvu d'idéal, ne tendre, comme le réaliste dont nous avons parlé plus haut, qu'à la satisfaction de tendances vulgaires. On voit dès lors comment il convient de répondre à la seconde question. II.

— PEUT-ON L'ACCEPTER COMME RÈGLE DE VIE ? Non, si l'on prend « réaliste » au sens péjoratif signalé en premier lieu.

D'ailleurs les réalistes de ce genre n'ont pas de véritable règle, laquelle suppose des principes définitivement arrêtés ; ce sont des opportunistes dont la règle unique, si c'en est une, est de n'avoir pas de règle. Oui, si « réaliste » est pris en bonne part, comme dans la deuxième acception, et à la condition que ce réalisme, tout en tenant grand compte du réel, vise un certain idéal. Conclusion.

— A ceux qui répètent : Soyons réalistes, il faudrait, à l'imitation de Socrate, demander une définition du mot.

Peut-être que, l'élaborant, ils seraient détournés d'une forme de réalisme qui les déshumaniserait. AUX ANTIPODES DU RÉALISME Voici un doux idéaliste, qui s'est donné une fois pour toutes une utopie irréalisable par essence, comme le retour d'un régime politique impossible ou la réalisation d'une humanité chimérique ; il en attend sans impatience la réalisation lointaine, par la « force des idées » ou par la « nécessité » des choses ; il se satisfait dans ce climat de belle âme interminablement fidèle ; au nom de sa pureté, il s'y repose de tout effort sur le présent... E.

Mounier, Traité du caractère, p.

694.

Éditions du Seuil, 1961.. »

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