Sommes-nous toujours conscients de nos désirs ?
Extrait du document
«
Introduction
L'homme est un être de désir.
Puissance de négation et de transformation, de rêve et d'action, le désir est ce par quoi l'homme est
ouvert à la dimension du possible et de l'imaginaire.
Si le désir à la fois recherche et diffère sa satisfaction, c'est qu'il sent confusément
qu'aucun objet ne lui convient.
C'est pourquoi on peut tout aussi bien dire que le désir sait et qu'il ne sait pas ce qu'il veut.
Présent, mais
difficilement formulable, le désir nous échappe s'il s'agit de lui désigner un objet.
Le désir semble illimité, et c'est cette démesure qui,
d'abord, le rend problématique.
I.
La mécanique secrète du désir
a.
L'amour est signe d'une dépendance.
C'est Schopenhauer qui étayera l'idée selon laquelle la passion amoureuse, l'élection de tel
ou tel individu est loin d'être accessoire.
L'objet est aimé avant même d'être connu, c'est le paradoxe
du coup de foudre.
Le choix correspond à un but universel, à la procréation, car, selon Schopenhauer,
« le type de l'espèce doit se perpétuer, aussi pur et authentique que possible ».
Mais ici le sujet qui
entraîne l'illusion a horreur du but qui seul le mène (la procréation), et voudrait même faire obstacle à
cette réalisation.
La vérité de ce désir est donc la transcendance de sa fin, une fin inconnue et infinie.
L'homme s'imagine « qu'il consacre tous ses efforts et tous ses sacrifices à son plaisir personnel, alors
que tout cela n'a lieu que pour conserver le type normal de l'espèce » (Schopenhauer, Métaphysique de
l'amour).
b.
La sublimation chez Freud correspond à un processus qui détourne l'énergie vitale vers des buts
idéaux, notamment esthétiques et mystiques.
Ainsi la passion, ou le désir, trouverait sa source dans la
force de la pulsion sexuelle.
La pulsion est sublimée car elle dérive vers un but nouveau, non sexuel.
La
passion amoureuse peut ainsi s'émanciper de se source charnelle et se transformer en sentiment.
Mais
ce processus n'est-t-il pas contre-nature ? Nietzsche dira que l'Eglise combat la passion par des
pratiques comme l'excision ; ainsi, elle castre le sujet, et ne tente pas de spiritualiser, de diviniser un
désir : « si ton œil entraîne ta chute, arrache-le » (Evangile de Marc, 9, 47).
Pour Nietzsche, « attaquer les
passions à la racine, c'est attaquer la vie à la racine : la pratique d e l'Eglise est hostile à la vie »
(Crépuscule des idoles).
c.
Le désir influe largement sur l'imagination.
En effet, le sujet a un objet caractéristique de son
désir, et celui-ci, voulant possédé l'objet (l'amour, le jeu, etc.), associe à cette possession d'objet des
satisfactions infinies, et crée ainsi une finalité illusoire : le joueur, par exemple, cherche-t-il l'argent, le
plaisir ? « J'avais risqué ma vie et j'avais gagné.
De nouveau j'étais u n h o m m e » s'écrie le héros de
Dostoïevski dans son délire ( Le joueur, chap.
XVII).
Le joueur cherche perpétuellement l'exaltation.
Et le
passionné souvent se croit libre puisqu'il poursuit de toutes ses forces et de toute son âme un objectif que nul ne lui a imposé.
Mais à la
lumière de Spinoza, il est clair qu'un sujet autant affecté par des objets ne peut être dit libre : « je dis que nous sommes passifs quand il
se fait en nous quelque chose ou qu'il suit de notre nature quelque chose, dont nous ne sommes la cause que partiellement » ( Ethique,
III).
En revanche, le désir (différent de la passion passive) est pour Spinoza une puissance positive d'affirmation de soi.
Il est source de
toute évaluation.
C'est parce que l'on désire une chose qu'on dit qu'elle est bonne, et non parce que cette chose est bonne qu'on la
désire : « le désir est un appétit dont on a conscience » (ibid, théorème VI, VII).
II.
désir et inconscient
a.
L'homme est une véritable machine psychique chez Freud.
Toute la mécanique inconsciente serait
à la base d'une constitution identitaire du sujet.
Ainsi, tout désir, tout choix, toute action, provient d'une
origine pulsionnelle inconsciente.
L'homme est une machine qui n'a pas conscience de l'être, et qui a
l'illusion d'être pour lui-même le seul régisseur.
b.
Deleuze a critiqué le Freudisme au nom de la vocation du désir à l'extériorité.
Deleuze parle de
« corps sans organes », vérité du corps selon lui, que la psychanalyse rompt (cf.
L'anti-oedipe).
La
psychanalyse et ses schèmes empêcherait l'individu de retourner à ce corps propre, de se libérer de son
identité et d e son sens, d e s e rendre disponible pour des expériences désirantes nouvelles : « les
machines désirantes nous font un organisme ; mais le corps souffre d'être ainsi organisé, de ne pas
avoir une autre organisation, ou pas d'organisation du tout ».
Deleuze critique donc l'idée d'une
intériorisation de la multiplicité des désirs (psychanalyse), qui reflète la répression sociale, au profit du
schizophrène qui résiste à toute identification, expérimentant infiniment les machines désirantes sur le
corps sans organes.
III.
L'impossibilité de la satisfaction
a.
Parce que le désir témoigne de l'inscription de l‘existence humaine dans la dimension du temps,
o n a pu y voir le signe de son inachèvement ou de son imperfection.
Tout désir serait, en son fond,
désir d'éternité, nostalgie du divin, comme du seul objet qui puisse en combler l'attente.
C'est ainsi que
pour Platon, philosopher, c'est finalement apprendre à mourir.
L'âme, prisonnière du corps, doit
progressivement s'en détacher pour se tourner vers s a véritable patrie : le monde éternel et
incorruptible des Idées.
Il s'agit alors de redresser le désir, de l'orienter vers ce qui, en soi, est éminemment désirable.
La valeur du désir
est donc ici subordonnée à la valeur de la chose désirée.
Il y aura des bons et des mauvais désirs.
Le désir est toujours enfin pour Platon
le reflet d'un manque, et l'homme ne sait pas toujours quel est l'objet de ce manque (cf.
Platon, Phédon, 66b-66 e).
b.
On retrouve l'idée lacanienne de la part manquante.
Le sujet reste à jamais scindé en lui-même, déchiré, et ne peut prétendre à
une pleine compréhension de soi, puisqu'en effet, il lui manque toujours une partie.
Aussi, le désir est à l'origine de la demande.
Car
demander, c'est toujours présenter un manque, car autrement on ne demanderait pas.
La demande doit permettre de combler un vide
qu'on a toujours en soi, par la reconnaissance ou l'amour.
Conclusion
L ' h o m m e est souvent conscient de ses désirs, mais il ne es comprend pas réellement.
L'homme peut être le jouet d'une finalité
supérieure, ou d'une passion dévorante.
Il y a souvent derrière le désir la marque d e l'inconnu, ou celle du manque.
On est ainsi
conscient des objets superficiels d e nos désirs, mais pas de l'origine.
Le désir est considéré soit comme manque, soit comme force
productrice.
Le désir est producteur de réel (Deleuze).
Tout œuvre est celle du désir.
Ainsi tout serait le reflet d'une dynamique infinie du
désir inépuisable..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- ÉPICTÈTE: «Quant aux désirs, pour le moment, renonces-y totalement»
- FREUD: «[Les idées religieuses] sont des illusions, la réalisation des désirs les plus anciens...»
- L'homme doit-il craindre ses désirs ?
- Peut-on gouverner ses désirs ?
- Y a t-il de bons et de mauvais désirs ?