Qui peut connaître son moi ?
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Introduction
-Le moi constitue un principe d'identité : il est ce par quoi un esprit peut se rejoindre soi-même en tant que soi.
Un esprit n'est donc
proprement rien s'il n'est pas soi, c'est-à-dire s'il ne se sait pas lui-même être soi.
C'est ainsi que prend tout son sens l'oracle de
Delphes ("Connais-toi toi-même"), qui exige que l'esprit se rejoigne lui-même dans son principe spirituel même.
-Or, l'ambiguïté intervient lorsqu'il s'agit de définir la modalité précise de cette connaissance de soi, condition initiale de toute
connaissance comme de toute autre activité spirituelle possible.
En effet, la définition de la connaissance de soi implique de savoir, non
seulement ce que signifie ce soi, mais encore quel est le mode de connaissance envisagé ici.
-Qu'est-ce donc que le moi ? Ce moi est-il connaissable par tout principe spirituel qui en est pourvu, ou bien seul un certain principe
spirituel donné pourrait-il se connaître soi-même en tant que tel ? Et quel est le mode spécifique de connaissance envisagé ici ?
I.
Paradoxe platonicien : connaître son moi, pour l'homme, revient à dépasser ce même moi (Platon).
Pour Platon, chaque âme doit retrouver en soi le principe intelligible de son effectivité sensible, un principe
qui précisément ne se trouve pas dans cette âme elle-même, mais au-delà, au sein du monde immuable
des Formes éternelles.
L'âme humaine ne constitue qu'une sorte de pont entre deux mondes, le monde
sensible et le monde intelligible.
Ainsi, se connaître soi-même, pour l'âme humaine, revient à expurger
d'elle précisément tout ce qui relève de la sensibilité, donc tout ce qui relève de l'humain proprement dit.
L'essence de l'âme est purement spirituelle, au sens où elle se situe originairement dans un monde de
Formes intelligibles qui constituent autant de principes d'identité logique absolues de soi envers soi, selon
leur quiddité à chaque fois spécifique.
Le "soi" de l'homme, c'est l'âme, et l'âme, ce n'est précisément pas
l'homme : ainsi, l'essence de l'homme se situe au-delà de l'homme même.
L'homme ne saurait donc
connaître son "moi" d'homme en tant qu'homme.
II.
Seule une intelligence absolue peut connaître son moi, selon le mode de l'intuition
intellectuelle (Kant).
Chaque individu humain peut se connaître soi, dans la vie quotidienne ; mais il ne s'agit alors que d'une
connaissance empirique, objet de la représentation ; ce que l'on connaît alors, ce n'est seulement que le moi empirique.
Or, l'homme
ne peut pas connaître son moi transcendantal, c'est-à-dire le moi qui rend précisément possible ce moi empirique, car pour cela il
devrait être pourvu d'une intuition intellectuelle réflexive, dont il est dépourvu.
L'homme ne peut connaître son moi que sur le mode de
l'empiricité représentative, et non sur le mode d'une intuition réflexive de soi par soi.
En réalité, seul un entendement infini peut
connaître son moi, car un tel entendement pourrait se viser lui-même en tant qu'objet de sa propre réflexion.
Ce principe suprême
serait Dieu, c'est-à-dire un entendement infini qui se viserait lui-même dans son acte propre d'être ; cette visée constituerait une visée
réflexive de soi à soi qui n'impliquerait pas la dualité inhérente à la représentation entre un sujet et un objet.
III.
L'Esprit seul connaît son moi, mais cette connaissance ne pourra s'édifier que sur l'abrogation même de la
conscience humaine (Hegel).
L'Esprit, c'est ce dans quoi la conscience humaine s'abolira lorsqu'elle aura déployé la totalité de
son essence historico-dialectique : l'Esprit, c'est la conscience réalisée.
Or, cette réalisation
progressive, qui constitue l'essence de l'histoire humaine, passe par un dépassement perpétuel
du moi par lui-même, en ce qu'il intègre progressivement à soi le non-être qu'il est sans qu'il le
sache d'abord comme tel.
Le pour soi de la conscience humaine s'identifie progressivement à
elle-même par l'enrichissement de cette identité, cet enrichissement passant par l'intégration
pour elle de l'en soi d'abord étranger au pour soi.
Le moi, ainsi, ne se connaît jamais que de
façon incomplète, du moins tant qu'il reste l'objet d'une représentation, qui implique la division
sujet/objet.
Le moi, principe suprême de l'Esprit, est un principe réflexif qui se saisira comme
tel lorsqu'il aura expurgé de soi tout élément de division interne.
La conscience humaine, ainsi,
ne peut connaître son moi tant qu'elle restera précisément conscience ; mais lorsqu'elle sera
devenue absolue, elle se saisira elle-même comme ce qu'elle est dans son essence, c'est-à-dire
comme Moi absolu qui est en même temps la totalité du réel.
Conclusion
-Connaître son moi, c'est connaître ce qui dépasse sa propre capacité à se saisir selon le mode
empirique ou sensible de son apparaître même.
-Mais alors, il ne s'agit plus, précisément, de connaissance, mais d'intuition intellectuelle,
autrement nommée "réflexion" : ne peut se connaître soi que le principe spirituel qui se saisit
immédiatement soi-même dans son acte propre d'être.
-Cet être est nécessairement un être absolu, mais cet être peut être l'homme lui-même, lorsqu'il aura dépouillé en lui toutes les scories
de son humanité, en tant qu'éléments de division du Moi absolu.
-L'on voit ainsi que l'être qui peut connaître son moi ne peut qu'être un être qui s'identifie en totalité à une essence spirituelle qui laisse
en dehors d'elle-même ce qui est étranger à son unité intrinsèquement constitutive..
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