Qui est le je ?
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Qui est le je ?
Ce sujet pose la question de l'identité du "je" lorsque nous l'utilisons dans un énoncé.
Grammaticalement, "je" est un
pronom personnel sujet.
En posant la question "qui", nous sommes invités à répondre en assimilant le je à une
personne.
Nous verrons en quoi cela est discutable.
1) "Je", c'est moi.
Descartes, seconde méditation : "je suis une chose qui pense"
Le "je" renvoie à un "moi".
"J'ai faim", "je suis né à Königsberg", le je désigne l'individu qui s'exprime.
Je, sujet d'un
énoncé, renvoie vers un référent tenu pour évident : la personne qui parle ou qui écrit.
Tout énoncé ayant je pour
sujet dit quelque chose de la personne qui s'exprime, sensations, émotions, pensées.
Pour Descartes et pour les
philosophes qui ont écrit après lui, le "je pense" nous conduit nécessairement à concevoir le sujet de la pensée
comme une réalité empirique assimilable à une conscience ou à une âme : le je est avant tout une personne
spirituelle distincte de toute autre réalité par son rapport privilégié à ses pensées.
2) "je" est une forme du langage
Kant, critique de la raison pure : "Le "je pense" doit nécessairement pouvoir accompagner toutes mes
représentations."
Critiquant la conception cartésienne, Kant nie le rapport d'identité qu'établit Descartes entre le sujet de la pensée
et de l'énonciation, et le moi, c'est à dire la personne humaine.
Selon lui, la subjectivité, le sentiment que toutes
nos pensées et énonciations nous appartiennent en propre, sont distincts des caractéristiques particulières de notre
personnalité, notre histoire individuelle, etc.
La conscience de soi est une forme particulière de connaissance qui
vise notre être individuel, mais elle n'est pas la même chose que la conscience comme simple rapport au monde.
Ainsi, le "je" comme point fixe de la pensée et de l'expérience, ne renvoie pas directement à un moi, à une personne
dont on pourrait dire les caractères.
Le je est la forme de la pensée et une forme du langage, avant d'être une
référence à une personne.
"Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l'homme
infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre.
Par
là, il est une personne; et grâce à l'unité de la conscience dans tous les
changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même
personne, c'est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la
dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on
peut disposer à sa guise ; et ceci, même lorsqu'il ne peut pas encore
dire le Je, car il l'a cependant dans sa pensée.
Il faut remarquer que l'enfant, qui sait déjà parler assez correctement,
ne commence qu'assez tard (peut-être un an après), à dire Je; avant, il
parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger, marcher,
etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il
commence à dire Je; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l'autre
manière de parler.
Auparavant il ne faisait que se sentir; maintenant il
se pense."
Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique (1798),
trad.
M.
Foucault, Vrin, 1984.
Ce que défend ce texte:
Ce texte de Kant situe très exactement la frontière qui permet de séparer
l'homme de l'animal et ce, en posant entre eux une barrière infranchissable.
Les animaux ont-ils une conscience? Certes, le monde animal n'est pas homogène, et entre l'abeille, qui manifeste
l'instinct le plus aveugle, et les mammifères, qui paraissent exprimer une certaine intelligence, les différences sont
telles que la question ainsi posée, dans sa généralité, n'a pas vraiment de sens.
Toutefois, l'homme, et lui seul, possède le « Je dans sa représentation», c'est-à-dire la capacité de se représenter
lui-même et de se penser comme un «moi», par-delà la multiplicité et la mobilité de ses contenus de conscience et
de ses sensations.
Capacité que ne possède aucun autre animal, car l'homme seul a conscience de soi.
Telle est la thèse que Kant cherche à défendre ici, et qui a pour conséquence de poser que ce pouvoir « élève
l'homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre ».
Les animaux sont en effet soumis à la puissance des stimuli, c'est-à-dire des stimulations sensorielles vis-à-vis
desquelles ils ne se distinguent pas.
Ils sont pris dans le stimulus, et sont pour cela comme dans un présent absolu,
celui de son actualité.
L'homme, au contraire, ordonne ses sensations autour de la représentation de son moi, ce qui le place non plus dans
le monde, mais face au monde.
Dans le premier cas, il aurait fait un avec le stimulus; dans le second, il se distingue
de lui et l'objet perçu devient précisément à ce moment-là «ob-jet », c'est-à-dire une réalité placée (jectum).
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