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Qu'est-ce qu'une révolution ?

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« Tenter de dire ce qu'est une révolution c'est se heurter de front à un paradoxe, en effet la variation de sens coextensive à l'usage du mot nous fait entrer de plein pied dans le problème.

Quoi de commun entre la révolution d'un corps céleste et une révolution politique, entre l'acception grecque de la révolution comme accomplissement, et celle moderne qui en fait un autre mot pour dire la rupture, le bouleversement ? C'est cette apparente contradiction qu'il nous faudra interroger, par le détour d'une interrogation sur le temps et l'Histoire. I-La révolution : une figure cyclique. La révolution concerne d'abord le mouvement d'un corps céleste qui revient à son point de départ par une trajectoire circulaire.

C'est l'image grecque du mouvement parfait qui est son propre accomplissement, sa propre fin, mouvement le plus proche de l'immobilité divine. Cela est corrélatif à la conception grecque du temps, conception circulaire opposée à notre vision d'un temps linéaire.

La révolution c'est donc le retour, la répétition, la logique cosmique, on est loin de l'idée de rupture.

Le mouvement circulaire par sa répétition est le plus proche de l'Eternel et de l'Immobile, valeurs divines.

Son être se confond avec son devenir, il ne se corrompt pas dans la dégradation puisqu'il est répétition de lui-même. L'étymologie du mot révolution nous renvoie au latin « retour en arrière », ce qui est en accord avec la conception grecque du temps, lequel est marqué dans la physique moderne par une irréversibilité (non que les Anciens croient pouvoir inverser le cour du temps, mais celui-ci est pour eux lié au mouvement général d'un Cosmos, il n'est pas encore l'abstraction physique qu'il est devenu depuis). II-La révolution : image de la rupture. A l'opposé de cette acception de la révolution comme ordre cosmique nous usons désormais du terme pour qualifier un événement, historique, de l'histoire politique (révolution française, révolution culturelle chinoise), philosophique (la « révolution copernicienne » de Kant), artistique (révolutionner l'art, cf le dadaïsme ou les surréalistes) ou scientifique (cf le simple titre du livre de Kuhn La structure des révolutions scientifiques).

Le terme est lié à l'idée de rupture et même de renversement, de changement de direction. LA NOTION DE PARADIGME SELON KUHN L'histoire des sciences, pour Kuhn, n'est pas constituée par un progrès continu et cumulatif, mais par des sauts, par des crises qui voient des paradigmes se substituer soudainement à d'autres.

Un paradigme, c'est un modèle dominant, faits de principes théoriques, de pratiques communes, d'exemples fondateurs qui soudent une communauté de chercheurs, qui orientent leur recherche et sélectionnent les problèmes intéressants à leurs yeux.

Un paradigme n'est jamais totalement explicite.

C'est pourquoi, selon Kuhn, le questionnement scientifique n'est jamais neutre. Dans la postface à son livre La Structure des révolutions scientifiques (1 962), Kuhn cherche à classer les différentes significations du concept de paradigme : La notion de PARADIGME Explications Désigne une manière d'être et de penser propre à une communauté scientifique. (La communauté scientifique est une société comme les autres, avec ses circuits, ses relations, ses communautés d'intérêt et de discussion.) 1) Un même cursus de formation; dans les matières scientifiques, cette « initiation professionnelle est semblable, à un degré inégalé dans la plupart des autres disciplines » : même enseignement, même littérature technique, mêmes exemples, etc.). 2) Un ensemble d'objectifs communs, « qui englobent la formation de leurs successeurs ». 3) Des réseaux spécifiques de circulation d'informations : périodiques, conférences spécialisées, articles, correspondances officieuses ou officielles. Désigne la matrice disciplinaire de cette communauté. (Le paradigme représente « l'ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes aux membres d'un groupe donné.

» C'est ici une communauté technique de pratiques, de gestes et de vocabulaire qui soude le groupe de chercheurs.) 1 ) Des généralisations symboliques : ce sont les éléments formalisables (symboles, concepts, principes, équations de base...) couramment utilisés. Certaines équations fonctionnent à la fois comme lois de la nature et comme définitions conceptuelles.

Par exemple, la formule newtonienne : la force est le produit de la masse par l'accélération, est à la fois une loi de la nature, et une définition de la force. 2) Des croyances en des métaphores, des analogies fonctionnant comme modèles heuristiques (qui aident à la découverte).

Par exemple, l'analogie entre le courant électrique et le modèle hydraulique ; entre des molécules de gaz et des boules de billard élastiques se heurtant au hasard... 3) Des valeurs générales : exactitude des calculs, cohérence interne, simplicité, «beauté» d'une démonstration, efficacité des théories...

Ces valeurs peuvent être communes à plusieurs groupes, mais leur application, leur hiérarchisation diffèrent souvent d'un cercle scientifique à un autre. Désigne au sens strict les exemples communs utilisés fréquemment et qui forment la pensée et la pratique du groupe. ( Les solutions exemplaires sont « les solutions concrètes de problèmes que les étudiants rencontrent durant leur carrière de recherche et qui leur montrent aussi, par l'exemple, comment ils doivent faire leur travail.

») Une partie de l'efficacité opérationnelle d'un groupe de chercheurs provient d'habitudes intellectuelles inconscientes. Ces exemples fonctionnent comme : 1 ) Outils d'initiation pédagogique : « en l'absence de tels exemples, les lois et les théories que [l'étudiant] a déjà apprises auraient peu de contenu empirique.

» 2) Outils d'initiation intellectuelle : l'exemple permet de « voir » les ressemblances mathématiques ou de structures, entre problèmes différents.

« Une fois que [l'étudiant] a vu la ressemblance et saisi l'analogie entre deux ou plusieurs problèmes distincts, il peut établir une relation entre les symboles et les rattacher à la nature d'une manière qui s'est déjà révélée efficace ». Le chercheur s'incorpore des règles méthodologiques à partir de ces exemples, sans même s'en rendre compte. 3) Outils d'initiation sociologique : « dans l'intervalle, [l'étudiant] a assimilé une manière de voir autorisée par le groupe et éprouvée par le temps ». Ainsi ce qu'on appelle la « révolution copernicienne » de Kant (cf.

La critique de la raison pure) c'est cette inversion dans l'ordre de la connaissance qui fait que le sujet n'a plus à se soumettre à la nature pour la connaître (conception classique), mais au contraire c'est l'objet qui doit s'accorder formellement aux catégories propres du sujet (attention, l'être de l'objet échappe toujours au sujet dont la raison n'est pas toute puissante, c'est la leçon de la deuxième partie de La critique de la raison pure). Cette seconde acception du sens du mot révolution s'oppose d'une autre manière à l'idée de linéarité, non comme l'idée de cycle s'y oppose mais parce que la rupture, le renversement, brise la ligne, la fait dévier. L'évolution linéaire et continue des choses est bouleversée par une révolution qui lui confère une nouvelle direction.

Tandis que la révolution astronomique correspond à un accomplissement ordonné, la révolution au sens moderne renvoie à une déviation, non à la continuation mais à l'instauration d'un nouvel ordre.

La révolution comprise au sens grec se laisse prévoir et incarne une logique cosmique et nécessaire, alors que le sens moderne entend la révolution au sens d'événement historique, contingent et d'autant plus brutal qu'imprévisible. III- « Logiques » de l'Histoire. Il serait cependant naïf d'imaginer de la révolution, qu'elle ai lieu en politique, en science ou en art, soit tout à fait spontanée et jaillisse d'un seul coup.

On appelle révolution un événement étonnant ou violent parce qu'il heurte l'ordre établi et le remplace par un autre, mais n'est-ce pas là rien que le mouvement nécessaire de l'Histoire ? En effet, qu'est-ce qui justifie l'idée même d'une Histoire si ce n'est qu'il n'y a pas stagnation, répétition éternelle du même ordre, mais bien devenir, changement, bouleversement, succession d'ordres divers ? L'idée de révolution apparaît finalement comme un aspect logique et nécessaire de l'Histoire des hommes si tant est que notre conception du monde retienne quelque chose de l'idée héraclitéenne d'un devenir constant des choses.

Le passage est la règle, le changement la loi, aussi la révolution n'est qu'une figure particulière du changement, son aspect le plus violent.

Sommes-nous donc si éloignés qu'on le pensait du sens grec ? Rien n'est moins sûr si l'on considère que l'idée de révolution comme rupture d'un ordre contingent (politique, philosophique, religieux, artistique ou scientifique) est un moyen pour l'Ordre du devenir (qui justifie la possibilité d'une Histoire) de s'accomplir, puisque la révolution est une figure particulière du devenir et que celui-ci est nécessité (ce qu'à travers les lois d'entropie, de combustion, d'inertie, la physique moderne reconnaît). Il reste que dans son apparaître contingent et de circonstance une révolution demeure surprenante, mais c'est justement le travail des historiens (qu'ils s'intéressent à la politique, à la science ou à l'art) que de lire après coup ce qui peut être interprété comme prémisses d'une révolution accomplie.

Selon Aron (cf.

Introduction à la philosophie de l'histoire) notre vision actuelle des événements passés modifie leur nature et leur sens, aussi, ce qu'on caractérise comme révolution, ce qui apparaît comme révolutionnaire et brutal au moment de son apparaître, peut recouvrir un sens a posteriori et s'inscrire dans une logique solide, non arbitraire.

Cette dernière remarque nous conduit à répéter que la révolution correspond à l'instauration d'un nouvel ordre, et donc ce qui est révolutionnaire ne vise qu'à remplacer l'ancienne norme par une nouvelle. Conclusion : « Révolution » renvoie donc toujours à un mouvement, que celui-ci soit retour ou déviation, accomplissement ou rupture.

Les deux acceptions pouvant être conciliées et leur apparente opposition soulevée dans le cas où l'on comprend que la logique de l'Histoire se concilie à l'idée de devenir et donc de changement : l'idée moderne de révolution n'est que l'accomplissement d'un Ordre général et sous-jacent, celui du devenir.

Les lectures historiques le montrent en révélant des signes restés invisibles et qui justifient la nécessité du renversement.. »

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