Aide en Philo

Qu'est-ce qu'un monstre ?

Extrait du document

« Comment donner une définition du monstre ? Il semble que l'on puisse soit tenter une recherche naturaliste et expliquer par exemple des caractères phénotypiques jugés monstrueux par une erreur de recopiage dans la séquence d'Adn correspondante, soit l'on évite de réduire le monstre à un cas particulier d'erreur biologique et on adopte une voie « compréhensive » plutôt qu'explicative.

Le monstre ne serait plus compris comme en-deça ou au-delà d'une norme naturelle ou culturelle mais comme normativité originale ; et nous nous trouvons donc devant le paradoxe suivant : si le monstre c'est d'abord ce qui est hors norme, comment le caractériser pour lui-même et non négativement (relativement à un ordre) s'il n'a pas de norme propre ? I- Le monstre : un cas pathologique. Le monstre est ce qui transcende l'ordre établi, il est difforme, simplement il peut être ramené à un ratage de la nature dans les transformations et mutations qui la rythment.

Pour Diderot, dans Le rêve de d'Alembert notamment, il faut considérer les monstres comme des possibilités intrinsèques à la nature, le monstre n'est pas divin ni métaphysique, s'il est à la marge de la nature il y participe néanmoins. Cette naturalisation du monstre, démythifiante, s'inscrira au XIXe siècle dans la logique scientifique du transformisme où l'évolution s'explique par le passage d'une espèce à l'autre.

Le monstrueux peut donc être rationalisé ; mais pour Diderot la possibilité même du monstre remettait en question le finalisme de la nature (que les évolutionnistes, selon leur sensibilité, défendront ou essaieront de résorber sous un mécanisme bricolé, cf.

les travaux de Pichot sur la biologie du XIXe siècle, notamment Histoire de la notion de Vie). Depuis les premières cartographies génétiques des anomalies (Morgan dans les années 1920) l'étude des monstres est plus que jamais scientifique et rapportée à une erreur de retranscription de l'information génétique.

Selon Pichot, (cf Histoire de la notion de gène) c'est de son étude des pathologies que la génétique tire aujourd'hui tout son prestige, tandis qu'elle rencontre bien des limites dans sa tentative d'expliquer tout les autres caractères physiologiques « normaux ».

Le monstre serait devenu l'alibi, la bonne conscience d'une biologie qui tourne en rond d'un point de vue théorique. II- Le monstre : une valeur esthétique. On peut se demander si dans le sens commun le terme même de monstre ne vaut pas d'abord comme fabrication littéraire avant que d'être une catégorie dont on se sert pour qualifier une pathologie.

En effet le monstre c'est avant tout l'inattendu, ce qui ne se laisse pas ranger dans une classe, aussi les classifications tératologiques des monstres réels ne sont logiquement que secondes puisque le monstre est a priori ce qui est unique, celui qui n'a pas son pareil. Le monstre serait donc avant tout une catégorie de l'imaginaire, étendue par métaphore à des cas de pathologie.

Il suffit de faire varier à l'excès un paramètre physiologique pour obtenir un monstre, ainsi dans La poétique de l'espace Bachelard remarque qu'un escargot qui irait à une grande vitesse aurait quelque chose d'inquiétant. Dans Différence et répétition (ch.

I) Deleuze soutient quant à lui que « Pour produire un monstre, c'est une pauvre recette d'entasser des déterminations hétéroclites ou de surdéterminer l'animal.

Il vaut mieux faire monter le fond, et dissoudre la forme ». Autrement dit une part d'ombre, d'indifférenciation, est caractéristique au monstre, on ne peut en faire une description anatomique claire.

Le Yéti, le monstre du Loch Ness se confondent avec leur élément naturel, on ne sait pas exactement leur allure, tandis qu'en accumulant par exemple des bras des yeux de trop ou en faisant de simple géants ou lilliputiens on perd l'effrayant et le monstrueux au profit du comique (cf.

Rabelais). III- Le monstre est une construction sociale. Mais en creusant sous les figures de monstres crées par la littérature et le mythe on s'aperçoit que ces inventions esthétiques sont souvent motivées par une norme sociale.

Par exemple le thème du vampire est peut-être bien lié à une peur sociale de l'homosexualité.

En effet, le vampire vit la nuit et l'homosexuel est réputé se cacher (tabou de la différence sexuelle), le vampire se nourrit de façon incongrue ce qui renvoie à la sexualité jugée anormale de l'homosexuel, enfin il y a crainte de la contamination, celui qui est mordu devient vampire et l'homosexuel a souvent été stigmatisé comme véhiculeur de maladies. Le monstre serait de ce point de vue une façon pour l'inconscient collectif d'avoir un rapport à ses peurs, d'exhiber la norme sous le couvert de la fabulation, voire d'en faire ainsi la propagande inconsciente.

Le monstre comme création esthétique est donc motivé par le besoin qu'a la société de mettre ce qui la menace à l'écart.

Ce qui la menace étant ce qui, étant numériquement en marge se trouve en réalité porté au milieu (c'est ce que dit Foucault à propos des fous) au sens où l'attention se fixe justement sur cette marge qu'il faut cacher (les fous dans les asiles, Dracula dans son château, le Cyclope dans sa grotte, le Loch Ness dans les profondeurs de l'eau noire). Le terme de monstre sert d'ailleurs incontestablement à caractériser des comportements jugés déviants d'un point de vue moral et social.

Le criminel n'est pas différent physiquement, ce qui le caractérise comme monstre aux yeux de l'opinion c'est son comportement.

La norme que le monstre transcende serait donc avant tout sociale ou morale, simplement l'imaginaire collectif a besoin de la matérialiser pour y avoir un rapport plus clair.

Les différences invisibles font moins peur lorsqu'elles sont représentées.

La différence conventionnelle devient différence de nature, assignable et stigmatisante, qu'on se rassure en la rapportant à une erreur de la nature (ce à quoi participe la précipitation de certains lorsqu'ils identifient à l'origine de tel caractère construit socialement une prédisposition génétique imaginaire). Conclusion : Il ne faut pas être dupe de la rationalisation biologique du monstre, la tératologie ne s'occupe que métaphoriquement des monstres, une maladie n'est pas monstrueuse au sens où elle n'effraye pas qui la voit.

Il ne faut pas réduire le monstrueux à une dimension pathologique, génétiquement assignable, le monstre c'est avant tout cette valeur imaginaire qui caractérise ce qui est mis à l'écart parce que sa différence nous terrifie. Le rapport de la société au monstre n'est pas médical, c'est un rapport de rejet, le monstre c'est ce qui par sa déviance menace la cohérence sociale.

Le monstre en s'écartant de la norme la met en danger et c'est pourquoi il est rejeté.

Le monstre c'est un animal, une personne et non une fluctuation physico-chimique d'une séquence d'acide aminé dans la chaîne Adn correspondante.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles