Qu'est-ce qu'un artiste ?
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«
La question « qu'est-ce qu'un artiste ? » nous invite à porter notre effort de réflexion sur ce qui définit un artiste, c'est-à-dire à déterminer ce qui le
caractérise en lui-même, et relativement à ce qu'il n'est pas.
C ette activité de conceptualisation de la nature propre de l'artiste nous amènera donc à cerner
les contours de son ipséité (ses caractéristiques intrinsèques) et ceux de son altérité (c'est-à-dire ce qui le distingue de ce qui n'est pas lui).
Le premier réflexe que nous pouvons avoir pour répondre à la question posée est tout simplement d'ouvrir un dictionnaire, qui nous donnera peut-être un
signifié acceptable pour rendre raison du terme « artiste ».
Ouvrons Le petit Larousse : un artiste y est défini comme « une personne qui pratique l'un des beaux ou l'un des arts appliqués, c'est-à-dire le vaste
secteur d'activités des designers » (ceux qui réfléchissent et travaillent la forme et la fonction de tout ce qui entoure l'individu:
objets, habitat, vêtements).
Cependant, loin de répondre à la question « qu'est-ce qu'un artiste ? » cette définition fait plutôt surgir les problèmes qu'il nous
faudra résoudre pour y parvenir.
En effet, l'artiste est celui qui pratique les beaux arts ou les arts appliqués.
Il nous faudra donc déterminer si une définition
propre de l'artiste doit accueillir ces deux activités distinctes, ou au contraire se resserrer autour de la pratique d'une activité singulière.
La question qui guidera notre réflexion sera de définir l'artiste en fonction de l'activité qui le caractérise dans son ipséité et son altérité par rapport aux
autres créateurs d'artefacts.
I.
a.
L'artiste, un artisan parmi d'autres ?
Les critères de l'identification de l'artiste à l'artisan
Jusqu'au dix-huitième siècle, le terme « art » désignait l'ensemble des techniques de production d'artefacts : tel était encore le cas dans le Discours sur les
sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau.
A insi, l'activité de l'artiste et celle de l'artisan étaient recouvertes par le même terme.
Il semble que l'artiste peut s'identifier dans un premier temps à
l'artisan, car il procède par application d'une technique, d'une part, mais aussi parce qu'il est un modeleur de matières au même titre que l'artisan.
En effet,
qu'il soit sculpteur, musicien, ou écrivain, l'artiste imprime une forme au marbre, aux sons, aux mots, et ce, au même titre que l'artisan à la terre cuite, par
exemple.
b.
L'irréductibilité de l'artiste à l'artisan
Malgré la possibilité d'une identification entre l'artiste et l'artisan, nous pouvons néanmoins les distinguer.
En effet, le propre de l'artiste est que son
activité ne peut être enseignée : l'artisan fonctionne par reproduction d'une technique ; l'artiste par variation et renouvellement de la technique héritée de
ses prédécesseurs.
D'autre part, les productions de l'artiste ont une pérennité plus grande, et sont associées à un nom, une signature, car elles sont
extériorisation de l'intériorité d'un individu, et non application mécanique de règles impersonnelles, comme c'est le cas chez l'artisan.
II.
L'artiste, un homme à part ?
a.
La conception romantique de l'artiste
Pour les romantiques, l'artiste était d'abord celui qui vivait en marge de la société, il se distinguait donc radicalement des artisans, mais aussi des autres
hommes.
C 'est ainsi que le peint Baudelaire dans le poème bien connu des Fleurs du Mal : L'albatros.
A insi, ce qui distingue l'artiste est peut être d'avoir un
talent qui le sépare du commun des mortels.
L'artiste se définit donc par son ipséité (le talent) et son altérité (il est foncièrement différent de ses contemporains).
b.
Le génie comme critère définissant l'artiste
La conception romantique de l'artiste est tributaire de la réflexion Kantienne.
Les seuls artistes sont peut-être ceux que Kant nomme les « génies ».
Pour
Kant, le génie est " le talent naturel qui donne ses règles à l'art"(§.
4 6 C ritique de la faculté de juger).
A insi le génie procède sans règle, en exprimant
seulement sa nature originale puisque « l'aptitude propre au génie ne peut être communiquée et elle est donnée immédiatement à chacun en partage de la
main de la nature ; elle disparaît donc avec lui, jusqu'à ce que la nature confère à un autre les mêmes dons ».
(C ritique de la faculté de juger, §.
47).
Pour
Kant, le propre de l'artiste est d'être un génie, c'est-à-dire un créateur par nature.
Il est donc un homme à part, il ne le devient pas.
III.
L'artiste, le plus acharné des travailleurs ?
a.
La capacité de travail intense, le propre de l'artiste ?
"T ous les grands hommes étaient de grands travailleurs, infatigables quand il s'agissait d'inventer, mais aussi de rejeter,
de trier, de remanier, d'arranger" NIETZSC HE Humain, trop humain, I, C hap.
IV , aph.
162 La position de Nietzsche nous
invite à reconsidérer notre distinction initiale : dans la perspective Nietzschéenne, il n'y a pas lieu de distinguer entre
l'artisan et l'artiste, puisque tous les deux sont des travailleurs.
Si l'art est d'abord le produit d'un travail considérable, et
non la faculté innée réservée à quelques « génies », alors l'artiste est intrinsèquement un travailleur.
C e qui le distingue
des autres travailleurs est peut-être l'intensité de l'activité dont il est capable :
il n'est pas seulement travailleur, mais travailleur « infatigable » comme le dit Nietzsche dans l'aphorisme cité plus haut.
D'autre part, son travail n'est pas orienté vers la réalisation d'une fin clairement déterminée en amont du processus de
production, mais il modifie le but à atteindre au cours de ce processus.
b.
L'artiste, celui qui renouvelle les règles de son activité au cours de sa réalisation
A ce stade de notre argumentation, un nouveau problème se pose à nous, qui nous ramène au premier temps de notre
réflexion.
En effet, il semble qu'en faisant de la capacité de travail intense un critère définitoire de l'artiste, nous revenons
sur notre distinction initiale entre l'artiste et artisan.
Il semble qu'un travail intense peut être également pratiqué par un
artisan, ou par n'importe quel travailleur de l'esprit.
Un grand scientifique peut mener un labeur considérable avant
d'aboutir à une théorie nouvelle.
M ais pour autant, nous ne sommes guère enclins à le qualifier d'artiste.
C ette réticence
s'explique par une différence essentielle entre les créateurs d'artefacts ou de productions de l'esprit, d'une part, et les
artistes, de l'autre : l'artiste est celui qui renouvelle les règles mêmes de son activité au cours de sa réalisation.
A u
contraire, l'artisan ne fait qu'appliquer la technique qu'il a reçue par l'enseignement d'un maître ; et la théorie nouvelle du
scientifique est fondée sur des théories passées.
Elle n'est pas créatrice, au sens où elle est moins un surgissement ex nihilo qu'une continuation de ce qui
l'a précédée.
En revanche, l'artiste, dans son travail, modifie les règles qu'il a reçues de l'histoire de son art.
Par exemple, un grand romancier invente une
technique romanesque qui se distingue de celle pratiquée par ses prédécesseurs, et cette création se fait au cours de son propre travail (cf.
les analyses de
Nathalie Sarraute dans son essai intitulé L'ère du soupçon).
Conclusion :
L'artiste se distingue de l'artisan par la pérennité, la singularité et l'originalité de ses artefacts.
A la conception romantique et Kantienne de l'artiste comme
être à part, génie, élu, nous pouvons préférer celle qui le définit comme un travailleur acharné.
L'artiste est donc celui qui a la capacité de travailler
intensément, et qui utilise cette capacité pour renouveler les règles de son médium..
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