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Qu'est-ce qui, en moi, me dit ce que je dois faire ?

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« [Introduction] Face à un choix moral que je dois accomplir, il m'arrive d'avoir le sentiment que c'est bien en moi que résonne une « voix intérieure » m'indiquant la solution à adopter.

Cette expérience, que chaque homme peut faire un jour ou l'autre, semble indiquer que ce que je repère comme mon devoir est formulé dans mon intimité.

Mais cet espace est-il aussi la source du devoir ? On pourrait en effet concevoir qu'il ne fasse qu'accueillir un commandement venant de l'extérieur.

Il peut donc être utile de tenter de préciser la nature de ce qui, en moi, me dit ce que je dois faire. [I.

Devoir et « voix intérieure »] Lorsqu'il doit se défendre des accusations portées contre lui, Socrate fait valoir, dans son Apologie telle que nous la rapporte Platon, qu'il obéit à ce qu'il nomme son « démon » : donneur d'ordres qui l'empêche de faire telle ou telle chose, et lui recommande parfois de poser une question plutôt qu'une autre, d'adopter un comportement plutôt qu'un autre.

Dans ce « démon », qui pour Socrate lui-même n' avait sans doute rien de religieux, la philosophie trouve volontiers l'origine de la notion de conscience, du moins dans son acception morale, qui se manifeste ainsi bien avant son versant psychologique. Avec le christianisme, cette voix intérieure se réaffirme pleinement puisque, dès lors, c'est la parole de Dieu qu'elle peut transmettre : la conscience est un espace accueillant le Verbe divin et ses commandements, et l'on conçoit qu'elle soit bien présente chez tout homme, puisque c'est à chacun que Dieu doit pouvoir s'adresser.

Lorsque saint Augustin affirme que Dieu est intimior intimo meo (« le plus intime de mon intimité »), il souligne clairement la relation existant entre la conscience de l'être humain et la présence, en elle, de Dieu qui en constitue la dimension la plus profonde. Faut-il dès lors penser que la conscience morale n'est ainsi que la capacité à accueillir la formulation d'un devoir provenant de l'extérieur de moi-même ? N'est-il pas, à l'inverse, possible de la concevoir comme directement capable de dire, par ses propres ressources, en quoi consiste le devoir, tel que je le saisis comme ce que j'ai à faire ? [II.

La conscience comme conséquence] Dans l'histoire de la philosophie et de la réflexion sur la morale, c'est la première solution qui a d'abord été admise, et dans différentes versions.

Car ce qui m'est extérieur peut désigner des réalités très diverses, toutes également susceptibles, en apparence, de m'aider à savoir ce que je dois faire. On peut ainsi décliner, outre Dieu, l'éducation reçue, aussi bien que mon existence corporelle ou affective, la société (quelle qu'en soit l'étendue) ou un principe métaphysique qui supposerait la perfection du monde pour m'inviter à en suivre le cours. Toutes ces hypothèses ont pu être soutenues, et c'est bien elles que Kant rassemble, dans ses Fondements de la métaphysique des moeurs puis dans sa Critique de la raison pratique, à l'intérieur d'un tableau qui recense ce qu'il nomme les « principes hétéronomiques de la volonté ».

Cette expression nous enseigne que la saisie du devoir joue sur la volonté : c'est bien cette dernière qui, ensuite, détermine mon acte.

Quant à l'«hétéronomie », elle désigne le fait que la volonté se règle sur une loi (comme principe moral) qui est reçue de l'extérieur du sujet (et on peut-être tenté, dans ce cas, de lui reconnaître un poids particulier, précisément dû au fait qu'elle émanerait d'une instance collective ou « supérieure » au sujet : Dieu, la société, la métaphysique). [III.

La conscience comme source du devoir] Néanmoins, le recensement effectué par Kant a pour objet d'indiquer que les principes hétéronomiques sont difficilement compatibles entre eux.

Le fait qu'ils aient été soutenus par des philosophes éventuellement respectables (Montaigne, Épicure, les stoïciens, Wolf, etc.) ne doit pas nous masquer l'incapacité où l'on se trouve, en fin de parcours, pour unifier par exemple le rôle de l'éducation avec les exigences du corps ou ces dernières avec l'enseignement religieux. De surcroît, concevoir que ce que je dois faire ne m'est indiqué que par un « discours » extérieur à ma propre décision fait de cette dernière un simple effet, une conséquence : de ma morale, je ne suis guère responsable si elle consiste seulement à obéir à une autorité.

C'est pourquoi Kant privilégie, comme on le sait, une tout autre source, qu'il nomme « autonomie de la volonté », pour désigner sans ambiguïté le fait que c'est moi-même qui formule la loi à laquelle je dois obéir. Affirmer cette capacité en chaque homme, c'est concevoir que sa conscience morale est de nature avant tout rationnelle, puisque la relation à la notion de loi définit la raison elle-même (dans ses deux versants complémentaires et en fait peu dissociables : soit qu'elle cherche les lois de la nature, soit qu'elle énonce les lois du devoir, qui sont aussi, pour Kant, celles de la liberté).

L'autonomie morale me révèle comme mon propre législateur (en même temps que comme législateur pour toute l'humanité, puisque la loi que je trouve, si elle est authentique, est par définition universelle).

C'est donc à moi seul que je dois obéir — non plus à un pouvoir extérieur —, et plus précisément à la façon dont je participe de l'humanité. Ce qui me dit ce que je dois faire est bien encore intimior intimo meo, mais désigne désormais le noyau rationnel de ma pensée. [Conclusion] Concevoir que je ne perçois en moi de devoir qu'indiqué par l'extérieur, c'est me considérer comme un simple espace accueillant au(x) pouvoir(s) qui, à tort ou à raison, entendent me diriger.

L'analyse kantienne a l'avantage d'assimiler ma conscience morale à la présence d'une liberté, capable de juger précisément ce que l'on peut prétendre m'imposer.

Du même coup, elle rend le sujet intégralement responsable de sa conduite : celui qui prétendra rester sourd à ce qui, en lui, lui dit ce qu'il doit faire ne pourra trouver d'excuse dans les circonstances extérieures.

Il apparaîtra comme volontairement sourd à sa propre raison, et donc à sa propre humanité.. »

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