Qu'est-ce que l'erreur ?
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«
Position de la question.
L'erreur est chose humaine, dit un vieux proverbe.
Qu'est-ce donc, exactement, que l'erreur ? quels sont ses
rapports avec la faute ? et pourquoi est-elle l'apanage de l'homme ?
I.
Formes de l'erreur.
Commençons par classer les différentes formes de l'erreur, ce qui pourra nous éclairer sur leurs conditions psychologiques.
— On distingue
habituellement deux sortes de normes de la vérité : des normes formelles ou logiques, et des normes matérielles ou réelles.
D'où aussi
deux sortes d'erreurs.
A.
— terreur logique est celle qui pèche contre la norme fondamentale de la raison : la non-contradiction, l'accord de la pensée avec ellemême.
Elle consiste, soit en paralogismes purement formels (tels les syllogismes faux péchant contre les règles de la logique formelle,
soit en fautes logiques telles que définitions trop larges ou trop étroites, sophisme de l'accident, pétition de principe, ignoratio elenchi,
soit en erreurs de déduction (comme il se produit parfois en géométrie quand on raisonne sur une figure fausse), soit en erreurs
d'induction : généralisations abusives, dénombrement imparfait, sophisme post hoc, ergo propter hoc, etc.
— Remarquons tout de suite
que de telles erreurs sont dues avant tout à un manque d'attention.
En général, en effet, dès que nous prenons conscience de ces
erreurs, nous les reconnaissons comme telles et nous les rectifions.
C'est donc que nous nous étions laissé duper par le langage (c'est
que LEIBNIZ appelait le psittacisme) au lieu dépenser effectivement, au lieu d'avoir les idées mêmes présentes dans l'esprit.
Ainsi, nous
apercevons déjà que, dans certains cas au moins, l'erreur dépend de notre volonté.
B.
— Mais il existe aussi des erreurs matérielles, celles où il y a discordance entre la pensée et le réel.
Ce sont d'abord les erreurs dites
des sens, qui sont, en réalité, des erreurs de perception, donc de jugement.
On peut en dire autant des erreurs d'observation ou
d'expérimentation dans la science, comme aussi des erreurs de mesure ; car l'observation et l'expérimentation impliquent une grande
part d'interprétation-, quant à la mesure, c'est un rapport, donc aussi un jugement.
Il peut aussi y avoir erreur sur les idées, soit que nous
appliquions l'idée à faux (par exemple, quand nous prenons la baleine pour un poisson ou la chauve-souris pour un oiseau), soit que
l'idée elle-même soit mal formée ou mal définie (par exemple, on distinguait autrefois, dans la classification zoologique, un
embranchement des Annelés, dans lequel étaient confondus Arthropodes et Vers), soit enfin que l'idée soit une abstraction sans contenu
réel (par exemple, l'idée d'horreur du vide), etc.
On montre en Psychologie que l'idée est un complexus, un système de jugements
virtuels.
C.
— N'oublions pas enfin les erreurs morales qui ont leur source, elles aussi, dans un jugement, mais cette fois un jugement de valeur,
puisqu'elles consistent à traiter comme bon ce qui est mauvais, ou inversement.
D.
— Une conclusion se dégage donc déjà de cette classification.
C'est que l'erreur réside toujours dans le jugement et que, par suite,
puisque celui-ci est l'œuvre de l'attention et de la volonté, l'erreur dépend de nous, que nous pouvons l'éviter en surveillant attentivement
notre
pensée.
II.
Sources de l'erreur.
Mais il nous faut pousser plus loin l'analyse et rechercher d'où vient que le jugement se trouve parfois vicié.
A.
— Remarquons d'abord que beaucoup de ces jugements erronés sont reçus passivement, sous forme de préjugés, du milieu social
ambiant.
Ils sont erronés parce qu'ils n'expriment généralement qu'une optique particulière, celle du groupe auquel nous les avons
empruntés : famille, classe, profession, nation, parti politique, etc.
Mais ici encore, il dépend de nous de soumettre ces préjugés à
l'examen critique et de ne les accepter qu'à bon escient.
B.
— La question s'est surtout posée, pour les psychologues, de savoir si la source de l'erreur est dans
l'intelligence ou dans la volonté.
1° Selon la première thèse, la thèse intellectualiste, qu'est celle de
SPINOZA, l'erreur est une « privation de connaissance », et l'idée fausse est une idée « mutilée et
confuse » (Éth., prop.
35).
— II peut arriver, en effet, que l'erreur soit une vérité mutilée par un point
de vue particulier.
C'est ainsi qu'en astronomie le système géocentrique correspondait à certaines
apparences : ne commence-t-on pas aujourd'hui encore, en cosmographie, par expliquer les
mouvements des astres vus de la Terre! Mais on ne saurait en conclure, comme le voulait SPINOZA,
que l'erreur est purement négative.
Car, derrière cette « vérité incomplète », nous pouvons discerner
une erreur positive, qui n'est pas sans rapport avec les passions ou les sentiments humains : le
géocentrisme était lié à l'anthropocentrisme, qui faisait de l'homme le centre du monde.
— 2° Selon la
thèse volontariste, qui est celle de DESCARTES, l'erreur est bien quelque chose de positif : elle tient à
la disproportion entre la volonté de l'homme, qui est sans limites, et l'entendement, qui est borné, de
sorte que la volonté, de laquelle dépend l'assentiment, tranche la question avant que l'entendement
soit pleinement éclairé.
Cette seconde thèse semble plus juste que la thèse intellectualiste.
Non certes
que nous voulions jamais directement nous tromper.
Mais parce que l'erreur a le plus souvent sa
source dans un fléchissement de l'attention, donc de la volonté.
Pour éviter l'erreur, il faut, comme le
dit MALEBRANCHE, « voir tout d'une vue un fort grand nombre de rapports ».
Si l'on en oublie, on ne
verra encore qu'un aspect particulier des choses.
Conclusions.
De ces analyses, découlent, nous semble-t-il, les conclusions suivantes :
1° L'erreur est toujours un jugement faux.
Là où il n'y a pas de jugement, il n'y a pas d'erreur (par exemple, une représentation fictive,
une image de rêve n'est ni vraie ni fausse, tant qu'elle ne fait pas l'objet d'une assertion).
2° Le jugement étant un acte libre, on peut dire que l'erreur dépend de nous.
Nous pouvons le plus souvent l'éviter avec un peu
d'attention ou de réflexion.
En ce sens, loin de soutenir avec SOCRATE que « toute faute est une erreur » (thèse trop intellectualiste), on
pourrait dire au contraire que toute erreur est déjà une faute.
3° L'erreur exprime ainsi nos insuffisances, soit celles du groupe dont nous nous bornons à épouser les préjugés, soit nos propres
insuffisances personnelles, les limites de notre attention et de notre faculté de juger.
L'erreur est partiale parce que toujours plus ou
moins partielle (c'est ce qu'il y aurait de vrai dans la thèse de SPINOZA).
Elle est chose humaine parce que l'homme est un être fini et
qu'il lui est toujours difficile de se dépouiller de sa finitude et de son individualité, de juger sub specie universi..
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