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Quels pouvoirs nous donnent les mots ?

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« Les mots donnent le pouvoir... Prendre la parole, c'est aussi prendre le pouvoir.

Dans les démocraties modernes la lutte pour le contrôle des médias comme le souci d'en occuper le fauteuil directorial, qu'on n'ose plus appeler le trône.

Rien n'a donc changé depuis Athènes et les Sophistes. Il faut d'abord savoir se faire entendre : Démosthène contraignait ses élèves à déclamer face à la mer, la bouche pleine de gravillons, afin d'acquérir puissance vocale et bonne articulation.

L'art de la persuasion vient ensuite sous la forme des techniques d'agencement du discours et d'une science de l'écart qu'il faut préciser. Les mots donnent le pouvoir à celui qui sait creuser en eux un écart, celui du sens propre au sens figuré, celui de la figure de style.

Il est ainsi un trope (figure de rhétorique, en grec) dont le maniement est indispensable au démagogue : la synecdoque.

Avec la synecdoque, je prends la partie pour le tout ou plutôt je fais prendre à mon interlocuteur la partie pour le tout.

L'image est bien innocente lorsque j'invite untel à dormir sous « mon toit ».

La partie, le toit, que je mets en valeur indique mon désir de lui assurer protection...

Toutefois la synecdocque peut aisément tourner à la manipulation politique lorsque je présente mon intérêt particulier comme l'intérêt général, lorsque je fais de la défense de mes droits, celle du droit, lorsque je feins de prendre mes qualités pour des droits naturels, inhérents à l'Homme... Puisqu'il a pour fonction essentielle l'expression de la pensée et la communication entre les hommes, il est clair que le langage joue un rôle éminent dans les phénomènes de pouvoir.

Il permet ou facilite l'action; il l'interdit ou la sanctionne; le droit se dit et s'écrit et ceux qui dirigent la Cité exercent leur fonction par l'intermédiaire du langage, tout comme ils sont attentifs à en capter les signes. Dans toutes les sociétés, les titulaires du pouvoir ont possédé la maîtrise du langage ou des langages propres à orienter l'action d'autrui.

Ceux-là sont détenteurs de ce "maître-mot" que Kipling attribuait dans la jungle à l'enflant démuni mais qui finirait par s'emparer de la fleur rouge.

Prêtres et scribes, pontifes et rois, légistes et avocats, journalistes et hommes des médias connaissent tour à tour cette puissance.

L'agora d'Athènes était le lieu de disputes, de collusions oratoires.

De même, Dieu se manifeste par cet acte de langage: " Au commencement était le Verbe" disait déjà Saint-Jean. Dans les sociétés complexes, le langage est l'expression du pouvoir.

A tel point que le fait de nommer, de qualifier un Pouvoir, lui donne sa cohérence, sinon son existence: qui dit monarchie se met en mesure d'élaborer le système monarchique, formule la série des concepts qui se trouvent mis dans la langue. Toutes les institutions majeures ont pour rôle de tester et d'élaborer le langage du Pouvoir.

L'un des privilèges les plus incontestables du milieu dirigeant est précisément de conserver la langue.

Le langage de la culture se confond avec celui de la classe dirigeante.

Les faits langagiers montrent la capacité "performative" des classes dirigeantes.

Et, le propre de ces dernières est d'éviter ou d'intégrer la "gheottisation" du langage: culture jeune (BD, musique, expressions "branchées"...).

Dès lors, si le pouvoir manifeste son emprise sur le langage, ce dernier à son tour influence le Pouvoir, à tel point que l'évolution des phénomènes langagiers a une signification historique et politique considérable: l'invasion du franglais traduit ainsi notre infériorité à l'égard de l'Amérique anglophone, lorsque la France était puissante, on parlait français à Saint-Pétersbourg.

De même, à la limite, on obtient le phénomène de la langue de bois qui est une conséquence de la glaciation du langage et/ou de la glaciation du Pouvoir. Aussi, il faut bien qu'un jour, change ce langage jugé rétrograde.

Et, la révolution se manifeste aussi par un acte de langage.

La prise du pouvoir ne s'accompagne pas par hasard de déclarations solennelles, de thèses ou de profession de foi. En bref, on peut dire que le rêve de puissance est un rêve de langage.

Il fonde et manifeste le Pouvoir et celui-ci s'exerce par celui-là.. »

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