Que veut-on dire quand on dit d'un homme qu'il est intelligent ?
Extrait du document
«
Introduction.
Être intelligent, au niveau de l'espèce, c'est :
— percevoir des rapports;
— inventer (dans le relatif ou , dans l'absolu).
Les psychologues ont longtemps défini l'intelligence par rapport à l'instinct :
L'instinct est inné : c'est une aptitude à un acte précis, à une conduite, un savoir-faire.
L'intelligence est capacité
d'acquérir des savoirs.
L'instinct est fixe, incapable d'improviser.
L'intelligence a une évolution.
L'instinct est spécifique, commun à tous les animaux d'une même espèce; il est caractérisé par son uniformité.
L'être
intelligent fait preuve de personnalité.
L'instinct est aveugle, et n'est pas conscient du but lointain.
L'être intelligent est conscient du but lointain.
Il s'agit de prendre ces quatre points comme thèmes : l'opinion populaire ne fait que la reprendre.
1° Est-ce un caractère inné ? L'être intelligent est capable d'improviser.
Incapacité à faire face à une vie nouvelle; incapacité d'adaptation, routine, sont l'opposé de l'intelligence.
L'esprit d'à-propos, le don de répartie, preuves d'adaptation immédiate, sont considérés comme des marques
d'intelligence.
L'art d'inventer surtout, le don d'improvisation, sont des marques d'esprit, différents de la pure virtuosité; la mémoire
n'est pas signe d'intelligence, une certaine mémoire est même mauvais signe.
(Cf.
Montaigne opposant mémoire et
jugement.)
L'homme intelligent a le sens des réalités, dans le présent : Pierre Janet a dit que l'homme normal est celui chez qui
la fonction du réel fonctionne bien.
'L'homme intelligent n'affronte pas le réel avec un système de passions (cf.
Alquié).
La passion est entêtement,
importance exagérée accordée au passé.
Au contraire de l'homme « trop passionné pour être lucide », l'être
intelligent est plus sec, sans grande affectivité.
Cela peut aller jusqu'au cynisme : cf.
Talleyrand : « Défiez-vous du
premier mouvement, c'est le bon.
»
La raison, cependant, n'est pas cynique : l'efficacité, le souci de rendement de l'intelligence sans scrupules, ont un
contrepoids dans le penchant moral.
2° Est-ce un caractère spécifique ? Philosophiquement, l'être intelligent est celui qui filtre, critique, juge tout.
Être
intelligent, c'est savoir faire preuve d'esprit critique, ne pas avoir de crédulité.
Rôle du doute : douter même que ce
que nous connaissons soit vraiment nôtre.
Rôle, non de la mémoire brute, mais de l'expérience, assimilation personnelle du passé, non pas savoir
encyclopédique, mais savoir devenu notre chair et notre sang (la culture, c'est ce qui reste quand on a tout oublié).
Pour la conscience populaire, être intelligent c'est avoir de l'expérience, l'avoir assimilée et savoir s'en servir.
L'homme intelligent sait tirer les leçons de ses échecs (« l'expérience la plus réussie, c'est celle qui rate »).
Avoir du goût, qualité éminemment personnelle, est aussi un signe d'intelligence.
La conscience populaire trouve plutôt des preuves d'intelligence du côté de l'intuition, qui en est la forme la plus
fine, que du côté du raisonnement.
3° Au caractère fixe de l'instinct s'oppose la plasticité de l'intelligence : grâce à sa souplesse, elle s'insinue et
s'adapte : elle n'est pas trop simpliste, elle a le sens de la complexité et des nuances; c'est l'esprit de finesse, par
opposition aux formes rigides du raisonnement.
L'intelligence se manifestera d'autant plus sûrement qu'elle est aux prises avec une réalité qui exige plus
d'adaptation; plus la situation sera complexe, plus il sera certain que l'homme qui s'en tire est intelligent.
Le
problème le plus complexe est le milieu humain.
Celui qui se débrouillera le mieux en milieu humain est le plus
intelligent.
Il faut un sens social que ne donne pas, par exemple, la culture exclusive des mathématiques : d'où le
recours aux humanités comme culture de l'intelligence.
4° Enfin, l'instinct était aveugle, l'intelligence au contraire doit avoir le sens du but lointain.
Être intelligent, c'est
être capable de faire attention à un tel but : la distraction, ridicule, est interprétée par le sens commun comme
signe de sottise.
Il faut savoir être patient, attendre son heure.
L'homme intelligent, patient, évitera la précipitation, sera prévoyant,
pensera aux conséquences, sera rusé, donnera le change.
Mais l'intelligence n'est-elle pas aussi la faculté de l'abstraction ?
Conclusion.
Sens du concret et sens de l'abstrait, sens du présent et sens du futur, définissent-ils deux variétés de
l'intelligence, d'aspect contradictoire ?
Non; il n'y a pas d'intelligence abstraite sans élément concret : c'est une question de dosage.
La synthèse se fait
par un passage du concret à l'abstrait, avec retour au concret; en partant du concret, l'homme s'élève à l'aide
d'une idée, d'un projet, et puis revient vers lui.
Du concret au concret, l'intelligence est l'art d'utiliser l'abstraction.
C'est le rythme de la méthode expérimentale elle-même : observation, hypothèse, expérimentation.
L'intelligence est une, sous ses formes multiples : « Le principal, dit Descartes, n'est pas d'avoir l'esprit bon, mais de
le bien appliquer.
» ou encore « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée.
».
»
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