Puis-je me mettre à la place de l'autre ?
Extrait du document
«
VOCABULAIRE:
AUTRE / AUTRUI : 1) Comme Adjectif, différent, dissemblable.
2) comme Nom, toute conscience qui n'est pas moi.
3) Autrui: Tout homme par rapport à moi, alter ego: "Autrui, c'est l'autre, c'est-à-dire ce moi (ego) qui
n'est pas moi (alter)." (Sartre).
Les autres hommes, mon prochain.
C'est à la fois l'autre et le même (mon semblable, un moi autre, une personne).
Analyse du sujet :
La forme de notre sujet est une question fermée : il s'agira d'y répondre par « oui » ou « non » en conclusion, au terme de l'argumentation qui fait l'objet du corps de la dissertation.
L'argumentation est toujours la défense
d'une thèse, c'est-à-dire, une prise de position par rapport à un problème qu'il s'agit de mettre au jour dans l'introduction.
Pour faire surgir le problème qui sommeille dans le sujet, il convient d'analyser les termes qui
composent celui-ci :
« se mettre à la place d'un autre » peut se comprendre de deux manières : ce peut être d'abord remplacer cet autre, c'est-à-dire assurer la fonction qui lui incombe.
Cela peut aussi signifier faire comme si nous étions cet
autre, pour agir comme si nous étions lui, comprendre ses décisions, ses dires ou actes, etc.
Ne faut-il pas par exemple se mettre à la place de l'auteur dont nous voulons comprendre les thèses ?
Dans les deux cas, se mettre à la place d'un autre revient à rechercher la coïncidence de soi avec autrui, quant à sa fonction, sa pensée, etc.
Il semble évident qu'une coïncidence absolue est impossible : nous pouvons
éventuellement voler l'identité d'autrui, mais jamais son corps ni son esprit.
Inutile donc d'essayer de défendre cette thèse.
Le sujet invite plutôt à réfléchir sur la limite jusqu'à laquelle il est possible de coïncider avec autrui
et les conditions sous lesquelles cette extrême coïncidence est possible.
Problématisation :
Rappelons que la problématique est l'ensemble des problèmes qui gisent sous le sujet, hiérarchisés en vue de leur résolution dans le corps de la dissertation.
Si, comme notre intuition nous le laisse pressentir, la coïncidence de
soi avec autrui est limitée, il convient de trouver ce qui ne pourra justement jamais coïncider, autrement dit, ce qui appartient en propre à autrui et jamais ne nous appartiendra.
Remarquons qu'il ne s'agit que d'une intuition.
Notre
première direction de recherche prend donc la forme d'une question :
Autrui a-t-il quelque chose qui lui est propre ?
Nous nous demanderons ensuite jusqu'à quel point et comment coïncider avec autrui.
Proposition de plan :
I – Autrui a-t-il quelque chose qui lui est propre ?
Autrui possède vis-à-vis de nous-même le même statut que nous possédons vis-à-vis de lui : l'altérité entre individus est réciproque.
Notre question revient donc à se demander ce qui est propre à chaque individu, puisque l'altérité
d'autrui équivaut à l'individualité de chaque individu.
Or, à l'évidence, ce qui est absolument propre à chaque individu et n'appartiendra jamais à autrui, c'est la conscience : notre conscience n'est jamais celle d'autrui, alors que
nous pouvons obtenir des parties du corps d'autrui (pensons aux greffes par exemple) sans être désindividualisés.
Pour emprunter un exemple au cinéma, nous ne nous retrouvons jamais dans la peau de John Malkovitch.
Jusqu'à quel point peut-on alors approcher la conscience d'autrui ? Heidegger définit la conscience comme étant « sa propre ouverture au monde ».
Elle n'est pas être une boite fermée mais au contraire, pour reprendre la
métaphore de Sartre (interprétant Heidegger) l'ouverture d'une fenêtre sur le monde.
Cette perspective nous offre peut-être la possibilité de pénétrer dans la conscience d'autrui.
Il faut donc se demander en quoi consiste
précisément cette ouverture au monde.
L'homme ou, en termes heideggériens, le dasein (l'être-là) possède la structure de l'être-au-monde.
La conscience relève, dans cette structure d' « être-au-monde », du « -au- », c'est-à-dire de la relation qui existe entre le
dasein et le monde.
Cette relation, comme nous l'avons dit est une ouverture.
Comment nous ouvrons-nous au monde ?
L'ouverture du dasein au monde est décrite en terme de compréhension par Heidegger.
Par conséquent, même si la conscience est ce qui individualise l'individu et donc ne appartiendra jamais, nous pouvons espérer pouvoir coïncider avec une conscience étrangère en nous rapportant au monde de la même manière
qu'autrui s'y rapporte, c'est-à-dire, en le comprenant de la même manière, dans une sorte d'imitation de la conscience.
II – Peut-on se rapporter au monde comme autrui le fait ?
Il convient avec Heidegger de creuser la manière dont un dasein comprend le monde afin de voir s'il est possible d'imiter le processus.
Référence : Heidegger, Être et temps (§15 : L'être de l'étant qui fait encontre dans le monde ambiant.)
« Les Grecs avaient, pour parler des « choses », un terme approprié pragmata, c'est-à-dire ce à quoi l'on a affaire dans l'usage de la préoccupation (praxiV).
Cependant, ils laissèrent
justement dans l'obscurité le caractère ontologique spécifiquement « pragmatique » des pragmata et déterminèrent « d'abord » ceux-ci comme « simples choses ».
L'étant qui fait
encontre dans la préoccupation, nous l'appelons l' outil.
Ce que l'on trouve dans l'usage, ce sont des outils pour écrire, pour coudre, pour effectuer un travail manuel, pour se déplacer, pour
mesurer.
Le mode d'être de l'outil doit être dégagé.
Ce que nous ferons en prenant pour fil conducteur une délimitation préalable de ce qui fait d'un outil un outil, l'ustensilité.
Un outil, en toute rigueur cela n'existe pas.
A l'être de l'outil appartient toujours un complexe d'outils au sein duquel il peut être cet outil qu'il est.
L'outil est essentiellement « quelque
chose pour...
».
Les diverses guises du « pour...
» comme le service, l'utilité, l'employabilité ou la maniabilité constituent une totalité d'outils.
Dans la structure du « pour...
» est contenu
un renvoi de quelque chose à quelque chose.
Le phénomène indiqué par ce terme ne pourra être manifesté en sa genèse ontologique qu'au cours des analyses qui suivent.
Provisoirement, il
convient de porter phénoménalement sous le regard une multiplicité de renvois.
L'outil, conformément à son ustensilité, est toujours par son appartenance à un autre outil : l'écritoire, la
plume, l'encre, le papier, le sous-main, la table, la lampe, les meubles, les fenêtres, les portes, la chambre.
Ces « choses » ne commencent pas par se montrer pour elles-mêmes, pour
constituer ensuite une somme de réalité propre à remplir une chambre.
Ce qui fait de prime abord encontre, sans être saisi thématiquement, c'est la chambre, et encore celle-ci n'est-elle
pas non plus l'« intervalle de quatre murs » dans un sens spatial géométrique — mais un outil d'habitation.
C'est à partir de lui que se montre l'« aménagement », et c'est en celui-ci
qu'apparaît à chaque fois tel outil « singulier ».
Avant tel ou tel outil, une totalité d'outils est à chaque fois déjà découverte.
»
Lorsque notre conscience se rapporte au monde, elle se rapporte à des « choses » que nous comprenons toujours sous l'angle de leur ustensilité (cf.
texte), c'est-à-dire, de ce à quoi elles
servent, ou encore leur fonction.
Si donc notre conscience attribue à une « chose » la même fonction que celle qu'une conscience étrangère aurait attribuée à cette même « chose », alors nous pouvons dire que nos
compréhensions de cette « chose » est identique.
Dans ce cas, nos consciences ont bien coïncidé.
Nous pouvons donc nous mettre à la place d'un autre.
Mais justement il semble que des consciences différentes n'attribuent pas la même fonction à un même objet : par exemple, un masque africain à une fonction rituelle en Afrique, et la fonction d'oeuvre d'art dans un musée
européen.
La coïncidence des consciences n'est donc pas assurée.
Pour qu'elle soit possible, il faudrait que nous sachions quelle fonction autrui va attribuer à l'objet, en fonction de sa culture, son éducation, etc.
III – Comprendre autrui pour se mettre à sa place :
Pour comprendre complètement autrui, il faudrait, comme nous l'avons dit, connaître son milieu socioculturel, l'éducation qu'il a reçu, etc., c'est-à-dire, connaître l'ensemble des préjugés à partir desquels il va attribuer, en se
rapportant au monde, telle fonction à telle chose.
Il faudrait donc, pour comprendre parfaitement autrui, préalable nécessaire à une coïncidence des consciences, connaître toute son histoire.
Référence : Hans-Georg Gadamer, Vérité et méthode
« La naïveté de ce qu'on appelle historicisme consiste à se dérober à une telle réflexion et, en se fiant à la méthodologie de sa démarche, à oublier sa propre historicité.
Il faut en appeler ici d'une pensée historique mal comprise à
une autre qu'il reste à mieux comprendre.
Une pensée vraiment historique doit inclure sa propre historicité.
A cette seule condition, elle cessera de poursuivre le fantôme d'un objet historique – objet d'une recherche en progrès –
pour discerner dans l'objet l'autre que ce qui nous est propre et par là apprendre à reconnaître aussi bien l'un que l'autre.
Le véritable objet de l'histoire n'est pas un objet, mais l'unité de cet « un » et de cet « autre », relation en
laquelle consiste la réalité de l'histoire autant que celle de la compréhension historique.
»
Pour comprendre les préjugés d'autrui, constitués par son histoire, il faudrait soi-même pouvoir ne pas juger autrui à partir de préjugés.
Or, comme le montre Gadamer, il est naïf de penser que l'on peut suspendre ses propres
préjugés : cela reviendrait à s'extraire de l'histoire et la regarder du dessus dans être soi-même historique, ce qui est impossible.
« Comprendre c'est toujours comprendre autrement » écrira Gadamer.
Conclusion :
Ainsi, nous avons avec Gadamer mis en évidence la distance irréductible qui existe entre deux consciences.
Cette barrière est celle de nos préjugés, dont nous ne pouvons jamais nous débarrasser puisqu'ils se sont constitué tout
au long de notre histoire et continuent à se constituer.
Il est donc absolument impossible de comprendre exactement comme autrui comprend.
La compréhension appartient en propre à l'individu.
Se mettre à la place d'autrui
reviendrait à nier l'existence de ces préjugés qui nous individualisent, ce qui est naïf.
Une réduction de ces préjugés reste envisageable, leur anéantissement est impossible.
SECONDE CORRECTION
INTRODUCTION
• Il est fréquent qu'au cours d'une discussion, l'un des interlocuteurs demande à l'autre de «se mettre à sa place» — pour, semble-t-il, le mieux comprendre et mieux adhérer, de l'intérieur en quelque sorte, à ses arguments.
Cela
suppose qu'il soit possible pour une subjectivité de se déplacer entièrement vers une autre et de percevoir le monde comme le fait la seconde.
Est-ce concevable ? Mais aussi : est-ce souhaitable ?
I.
L'autre comme autre humain
• « Se mettre à la place de l'autre» implique d'abord que cet autre soit bien admis comme un être humain.
L'altérité ultime, dans l'ensemble des vivants, se présente sans doute pour la conscience humaine sous l'aspect de la
présence animale, que Hegel tenait pour significative de l'incompréhensible.
Cet incompréhensible va même jusqu'à la tentative de sa suppression.
Qu'autrui existe semble être pour la pensée contemporaine une évidence.
Pourtant, l'idée d'un isolement de la conscience a longtemps persisté.
C ‘est, sans doute, parce que l'esprit des
philosophes était obsédé par le problème de la recherche de la vérité.
D'où l'opposition entre, d'un côté, le sujet connaissant et, de l'autre, le monde à connaître.
Dans cette confrontation, la
présence d'un tiers, à l'exception de Dieu, était exclue.
Le thème de l'altérité apparaît chez Kant dans ses considérations sur la moralité, mais surtout chez Hegel dans « La phénoménologie de l'esprit ».
C'est dans cet ouvrage – où Hegel décrit
le mouvement dialectique de la conscience, depuis la naïveté première de la « certitude sensible » jusqu'à l'universalité du « savoir absolu », ultime moment où la conscience prend
conscience de sa liberté – que se trouve la fameuse dialectique du maître & de l'esclave.
On peut y lire : « La conscience de soi est certaine de soi-même, seulement par la suppression de
cet Autre qui se présente à elle comme vie indépendante ; elle est désir.
»
La conscience, dans son rapport immédiat avec elle-même, n'est que l'identité vide du Je = Je, une tautologie sans contenu.
Toute conscience rencontre autrui, l'Autre, une autre
conscience de soi.
Il n'y a, en fait, de véritable conscience de soi que moyennant le retour à soi à partir de cet « être-autre ».
Autrement dit, la conscience de soi serait impossible dans un
monde où autrui n'existerait pas.
Si la conscience est mouvement et retour à soi-même à partir de l'être autre, elle ne peut d'abord l'être que par la négation de l'autre.
Autrement dit, la relation à autrui se présente
d'emblée comme une affaire de conflit.
Le « moi » de l'enfant, par exemple, ne se forme-t-il pas en s'opposant au non-moi ? N'est-ce pas dans l'opposition à ses parents que l'enfant forge sa
personnalité ? Toute conscience est désir de reconnaissance de soi et la satisfaction de ce désir ne peut advenir que moyennant la suppression de l'autre, en tant qu'être indépendant.
Le premier mouvement du désir serait de détruire et de consommer l'objet.
mais, dans cette expérience, je découvre que mon désir est conditionné par cet objet et que je suis donc
dépendant de cet objet que j'avais, pourtant nié : « Le désir et la certitude de soi atteinte dans la satisfaction du désir sont conditionnés par l'objet ; en effet la satisfaction a lieu par la
suppression de cet autre.
Pour que cette suppression soit, cet autre aussi doit être.
»
Loin d'atteindre la satisfaction complète et définitive, je découvre que, la satisfaction obtenue, le désir renaît, marquant toujours davantage ma dépendance à l'égard de l'objet, de cet Autre
que j'avais annihilé : « La conscience de soi ne peut donc pas supprimer l'objet par son rapport négatif à lui ; par là elle le reproduit plutôt comme elle reproduit le désir.
»
Dans ce cercle infini et infernal du désir, c'est-à-dire de « ce retour alterné et monotone du désir et de sa satisfaction par laquelle le sujet retombe sans cesse en lui-même et sans supprimer
la contradiction », la conscience découvre qu'elle ne peut se ressaisir que dans une autre conscience de soi.
La dialectique même du désir le conduit à son propre dépassement : de la pure
consommation de l'objet à l'intersubjectivité.
Le désir n'est plus seulement rapport égoïste de soi à soi, mais position de l'autre comme être indépendant et libre.
Je ne peux me reconnaître que si je reconnais l'autre et.
»
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