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Pourquoi parle-t-on ?

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« Introduction -Parler, c'est produire par la voix un certain langage, dans une langue donnée ; et une langue, c'est un système de signes linguistiques organisés ; il n'y a donc de parole que selon un langage articulé et symbolique (cf.

Aristote, De l'Interprétation, 1). -Comme le remarque Aristote, le langage articulé est le propre de l'homme ; il est donc naturel, si l'on veut déterminer les raisons de la faculté humaine de la parole, de voir ce qui constitue encore le propre de l'homme. -Selon Aristote, deux autres caractéristiques sont définitoires de l'homme, et ce qu'elles lui appartiennent en propre : sa nature socio-politique, et sa nature rationnelle. -Ainsi, le langage humain tient-il à la nature socio-politique et rationnelle de l'homme ? Ou bien faut-il en rechercher la cause en amont de ces caractéristiques ? Le langage ne constitue-t-il pas une faculté qui dépasse les autres carctéristiques propres de l'homme, tout en les fondant ? I.

La parole constitue la conséquence de la nature politique de l'homme (Aristote). Aristote (Politique, I, 2) : l'homme est le seul animal à avoir la parole ; tandis que les animaux peuvent utiliser les sons de la voix pour exprimer la douleur et le plaisir, l'homme possède la parole ( logos), qui lui permet d'exprimer l'utile et le nuisible, ainsi que le juste et l'injuste.

L'homme est le seul animal à posséder les valeurs politiques, celles-là mêmes qui sont traduites dans le langage articulé, et c'est la possession commune de ces valeurs, transmises et exprimées par le langage, qui constitue une cité, c'est-à-dire une communauté politique.

Ainsi, le langage a une nature profondément politique : on parle pour partager des valeurs "politiques" (au sens où la justice constitue une vertu, par exemple, qui assure la bonne tenue de la cohésion sociale), dont le langage constitue le principal vecteur.

Par suite, un homme est un homme parce qu'il vit en communauté (sans quoi, selon Aristote, il est soit une bête, soit un dieu), et donc parce qu'il parle, puisque la parole est d'elle-même le signe de la nature politique de l'homme : il n'y a de parole que parce qu'il y a échange, et la condition principielle de l'échange, c'est le vivre-ensemble. II.

Mais il n'y a pas de parole sans cohérence et sans rationalité : on parle aussi et surtout pour penser (Descartes). Tous les hommes sans exception, même fous ou stupides, sont capables de parler ou d'employer des signes pour faire connaître leur pensée.

Au contraire, il n'existe aucun animal qui soit capable d'employer le langage, sinon pour le répéter sans le comprendre (les pies ou les perroquets par exemple).

Si les animaux ne parlent pas, ce n'est donc pas par défaut d'organes convenables - les imitations peuvent être très bonnes pour certains oiseaux -, mais ils ne pensent pas ce qu'ils disent, et ne sont pas capables d'inventer un système de signes pour se faire comprendre.

Seul l'homme dispose d'une raison, les animaux n'en ont aucune.

Même l'animal le plus doué n'est pas capable d'égaler l'enfant le plus stupide.

Enfin, si les animaux avaient la moindre trace de raison, ils seraient en mesure de nous le faire savoir, ce qui n'a jamais eu lieu.

La faculté de langage est donc étroitement liée à la raison : elle y trouve son origine et sa capacité de développement. Parler ne consiste donc pas à associer des mots, mais à penser ce que l'on dit, et à dire ce que l'on pense. Descartes ( Lettre au marquis de Newcastle) : les bêtes, contrairement à l'homme, ne parlent pas, et pourtant nombre d'entre elles sont également des êtres vivant en société.

La cause du langage se trouve donc ailleurs, car si les bêtes expriment des passions, il n'y a pourtant pas chez elles de véritable langage. Descartes fournit une réponse avec la thèse de l'animal-machine : étant dépourvus d'âme et de raison, l'animal se trouve naturellement dépourvu de langage, il y a donc une corrélation évidente entre la pensée et le langage ; par ailleurs, cette idée se trouve déjà, par exemple, chez Platon, qui affirmera, par la bouche de Socrate, que la pensée constitue un dialogue intérieur de l'âme avec elle-même : l'on parle donc pour penser, peu importe que cette parole soir oralisée ou non ; elle constitue une figure de dédoublement du sujet pensant, qui s'adresse à lui-même comme à un interlocuteur.

La pensée trouve donc une origine qui n'a pas lieu dans les passions, contrairement aux autres animaux : l'homme emploie des signes linguistiques pour communiquer des pensées, et l'absence de ces signes chez les animaux montrent précisément qu'ils ne pensent pas.

Plus que le critère politique, c'est donc le critère rationnel qu'il faut ici retenir pour déterminer la cause première du langage humain. III.

Parler, c'est activer autant la nature rationnelle que sociale de l'homme : car parler, c'est avant tout interagir (Habermas) Habermas (Morale et Communication) : le langage implique nécessairement, d'une part, la nature sociale de l'homme ou, plus précisément, l'intersubjectivité dans laquelle il évolue ; et d'autre part, il implique aussi sa nature rationnelle, car parler c'est être rationnellement motivé par l'autre pour agir conjointement.

Habermas oppose deux types d'activités humaines : d'une part, l'activité stratégique, qui constitue l'activité où l'on manipule l'autre, où l'on influe sur l'autre pour obtenir la continuation de l'interaction ; d'autre part, l'activité communicationnelle, où chacun est motivé rationnellement par l'autre pour agir conjointement.

Le langage est donc essentiellement communication, et c'est à travers elle que les hommes parviennent rationnellement à une entente, laquelle est obtenue à la mesure de la reconnaissance intersubjective des exigences de validité.

Ainsi, le langage est en lui-même porteur de socialité et de rationnalité, à partir du moment où les individus qui en prennent la charge acceptent d'entrer dans le communicationnel, c'est-à-dire dans le libre débat intersubjectif à partir duquel des accords pourront être noués, ces accords dépendant de certaines exigences de validité eux-mêmes fixés par le débat.

Toute action, rendue possible par le communicationnel, est donc avant tout interaction.

Parler, c'est donc interagir afin d'agir rationnellement en coordination avec les autres. Conclusion -La parole révèle la nature socio-politique de l'homme, puisqu'elle constitue avant tout un échange d'informations : elle suppose donc la présence d'autrui en face du sujet parlant ; le premier objet de la parole comme sa fin ultime, semble être certaines valeurs "politiques" qui assurent la cohésion sociale. -Mais la parole est également une parole "raisonnée", elle permet d'exprimer les pensées humaines, celles-là mêmes qui font défaut aux autres animaux.

Si l'on parle, c'est donc pour mieux penser. -La cause de la parole semble donc devoir être trouvée au carrefour de la socialité et de rationalité : dans le communicationnel, l'homme trouve sa possibilité d'entente avec l'autre comme sa possibilité d 'agir avec l'autre.

Le langage constitue une structure qui rend possible l'homme comme rationnel et comme social, il dépasse donc ces deux caractéristiques fondamentales de l'homme pour mieux les fonder.

Si l'on parle, c'est donc davantage pour faire advenir notre essence politique et rationnelle, plutôt que pour l'exprimer ; c'est en ce sens que la parole constitue le premier objet de toute éthique possible, car elle est toute entière exigence : nous parlons pour réaliser notre nature.. »

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