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Pierre Soulages

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Pierre Soulages est né à Rodez le 24 décembre exactement. Ni ce lieu, ni cette date ne sont indifférents. La date, d'abord, parce que Soulages a singulièrement réussi à gagner une génération. On a aligné son nom à la suite de ceux de gens plus âgés que lui. Il avait l'âge d'un jeune peintre, mais il avait rang de maître. Ce n'est pas rien. Je crois que cela tient à la conscience qu'il a tôt prise des vrais problèmes de la peinture. Problème n'est pas le mot. Je pense que Soulages jeune s'est interrogé sur la signification de l'acte qui nous requiert ici : l'acte de peindre. Pour lui, c'est emportement. Peindre a revêtu à ses yeux un caractère d'urgence. Il a refusé les délices, les jolies choses. Il a mis par-dessus tout le corps à corps avec la peinture. L'instinct de peindre a fondé son art de peindre... Il s'est immédiatement fixé sur une question essentielle : celle de la signification, mais en refusant tout ce qui n'était point dans la spécificité de la peinture (la littérature, notamment).

« Peintre de l'abstrait, il fait table rase de toutes les influences pour produire une peinture puissante, à base de lignes et de rythmes, qui se concentre autour de la couleur noire.

Utilisant des outils plus que des pinceaux, il nomme invariablement ses toiles Peinture ou Composition, de manière à éloigner toute tentative d'interprétation figurative.

Il a également réalisé des vitraux (Sainte-Foy de Conques). Pierre Soulages Pierre Soulages est né à Rodez le 24 décembre exactement.

Ni ce lieu, ni cette date ne sont indifférents.

La date, d'abord, parce que Soulages a singulièrement réussi à gagner une génération.

On a aligné son nom à la suite de ceux de gens plus âgés que lui.

Il avait l'âge d'un jeune peintre, mais il avait rang de maître.

Ce n'est pas rien.

Je crois que cela tient à la conscience qu'il a tôt prise des vrais problèmes de la peinture.

Problème n'est pas le mot.

Je pense que Soulages jeune s'est interrogé sur la signification de l'acte qui nous requiert ici : l'acte de peindre.

Pour lui, c'est emportement.

Peindre a revêtu à ses yeux un caractère d'urgence.

Il a refusé les délices, les jolies choses.

Il a mis par-dessus tout le corps à corps avec la peinture.

L'instinct de peindre a fondé son art de peindre... Il s'est immédiatement fixé sur une question essentielle : celle de la signification, mais en refusant tout ce qui n'était point dans la spécificité de la peinture (la littérature, notamment). Le lieu, ensuite : on voit bien le jeune Soulages amoureux des architectures romanes, avec leurs grands pans de murailles qui cessent d'être des lignes de soutien pour devenir des formes pleines ; puis amoureux du roc et de l'arbre qui magnifient la couleur noire, montrant au contre jour du soleil que c'est le noir qui donne son sens et son ampleur à l'univers diurne.

Nous y sommes.

Ou presque. Soulages variera encore, mais dans les mêmes zones, allant son train comme qui maîtrise sa certitude.

Voyons comment cela commence : par une domination du romantisme, certes ! mais aussi par un refus de l'impressionnisme.

Le sentiment est insuffisant autant que la fugacité des instants.

Ce qui dure, c'est ce qui dit.

Ce qui triomphe du réel, c'est ce qui domine (ou dompte) le réel.

Quoi donc ? La métaphore.

Faisons halte un instant ! Qu'est-ce que la métaphore ? C'est la poétique, c'est-à-dire une totalité : l'homme en face du monde.

Or, le monde est une question sans cesse posée, une question urgente ; c'est aussi une question qui ressemble à l'Hydre, elle a mille têtes.

Rien ne sert de répondre fragmentairement aux fragments de la question (voilà pour les pommes de la nature morte, les arbres du paysage, le nez aquilin du portrait).

Il faut répondre en tout à tout : c'est la démarche de Soulages. Demeurons au terrain de la mythologie : c'est nous introduire (et s'introduire) dans le labyrinthe.

Répondre d'un coup à la question équivaut à livrer une métaphore définitive et unique.

C'est vrai.

Aussi, maintenant, contemplez Soulages au travail : d'une toile à l'autre la métaphore se meut à peine, bouge presque imperceptiblement.

C'est une avancée sûre et, oui : "nette", vers l'accomplissement de la métaphore ultime... Dès le départ, on voit Soulages accepter, et même provoquer lorsqu'il peint les accidents (qui proviennent de la texture du matériau, de la spécificité de l'outil) lorsque ces accidents appartiennent à l'ordre de sa peinture et l'informent sur sa poétique, et les refuser avec une singulière obstination lorsqu'ils relèvent du domaine des sentiments, de la littérature, ou de l'instant fugace (qui fait l'anecdote).

Ses premières toiles proscrivent l'état d'âme cher aux peintres intimistes : il ne veut pas qu'en une ligne tremblée le spectateur tende à découvrir l'émotion du peintre.

Il ne force pas l'œil, et pose comme condition essentielle et nécessaire à l'art de peindre la liberté du spectateur.

Ses premières toiles se présentent comme de grands signes donnés d'un coup, et d'un seul regard saisis ; à l'opposé de ce chemin que l'œil doit parcourir, prenant un bout du fil et remontant, par le travail de voir (par une "histoire", donc), tout l'écheveau jusqu'à ce que l'œuvre proposée soit déchiffrée entièrement.

Soulages, refusant de toutes ses forces l'anecdote, refuse également ce décryptage du tableau sur lequel les peintres graphiques vaille que vaille fondent leur art.

Pour lui, comme il s'agit de répondre au monde par une métaphore, il est essentiel que la liberté du spectateur se trouve confrontée avec une métaphore (celle-là même) non plus dévoilée mais surgie.

Une toile de Soulages (surtout en ce temps-là, de 1948 à 1958) ne se lit pas, ce n'est pas un discours peint, c'est un surgissement... Autres caractéristiques : la forme, l'espace et le temps.

Pour Pierre Soulages, la forme est donnée, matière, couleur et surface compris, dans et par le seul acte de peindre, c'est-à-dire dans l'application sur la toile, avec une brosse, le pinceau large ou le couteau, de la couleur.

La forme, pour lui, cesse d'être un fragment de l'espace proposé, d'abord cerné de traits puis empli de couleur, mais le contraire : couleur appliquée sur la toile, étant forme aussitôt et, ensemble, créant son propre espace.

En effet, et les peintures sur papier de notre auteur le démontrent, les grandes formes noires, par le découpage qu'elles font de ce qu'il y a derrière elles, dotent la surface blanche ou colorée de valeurs différentes, par les contrastes qu'elles suscitent.

Ce qui fait que, s'il n'y a pas, comme nous l'avons vu, "lecture" des œuvres de Soulages, mais voyage aventureux du regard dans l'espace (ce qui est, on me l'accordera, différent) il y a plusieurs propositions contenues dans une même métaphore, et que le spectateur (sans pour autant cesser d'être libre) voit se succéder dans le temps.

Ce qui tourne autour des toiles de Soulages et les montre neuves, c'est la lumière, puis l'ombre. Plus tard, dans son évolution, Soulages ajoutera à l'opacité de ses premières compositions les étranges transparences qui sont dans ses œuvres des années 60, et qu'il obtient d'une manière singulière puisqu'il met de la couleur et, dans le même "geste", avec le même instrument, l'arrache.

Il ne s'agit plus du signe, mais de l'espace.

Disons, pour tout clarifier, qu'on ne se promène pas dans une peinture de Soulages, mais qu'on vieillit avec elle.

Tant cet espace devenu requérant vise, de toute sa force, à dompter le temps. Comme si la métaphore tellement cherchée était au prix de ce piège ("le temps piégé", je crois bien que c'est ce qui n'a cessé de jouer pour Pierre Soulages le rôle de désir impératif et premier).

Je lui cède la parole : "Plus le rythme est fort et moins l'image, je veux dire la tentative d'association figurative, est possible.

Si ma peinture ne rencontre pas l'anecdote figurative elle le doit, je crois, à l'importance qui y est donnée au rythme, à ce battement des formes dans l'espace, à cette découpe de l'espace par le temps... L'espace et le temps cessent d'être le milieu dans lequel baignent les formes peintes, ils sont devenus des instruments de la poésie de la toile.

Plus que des moyens d'expression et des supports d'une poésie, ils sont eux-mêmes cette poésie." Les critiques ont souligné, avec raison, le métier de Soulages, et l'accord de ce métier avec la poétique, et qui à chaque fois, à chaque technique différente, l'informe de sa poésie même.

J'ajoute que cette maîtrise des techniques tient à l'honnêteté du peintre : son "métier" (si l'on veut) est basé sur la spécificité du moyen choisi, sur la sûreté de son instinct de peintre que Soulages songe non à détourner de leur but mais à plier tout à son projet.

C'est, par exemple, ce qui a fait de lui l'un de nos meilleurs graveurs.. »

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