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Peut-on tout donner ?

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« Il est présupposé que ce n'est pas la possibilité de donner qui est interrogée, mais sa radicalité : or, en utilisant l'expression « tout donner », on ne peut s'empêcher de penser à l'expression très usitée dans l'opinion et qui fait référence à ce qui se voudrait être un don « corps et âme ».

Il ne parait pas pertinent de relever les objets qui se prêtent ou non au don, dans la mesure où nous ne ferions qu'interroger un état de fait.

En revanche, la problématique choisie interroge les modalités d'un don radical : attitude naturelle ou revanche de la conscience ? Les enjeux sont à la fois politiques et éthiques : politiques car le don fait figure d'exception dans la société marchande, éthique parce qu'il apparaît également comme un mode de relation particulier entre les hommes, dont la gratuité pourrait être synonyme d'accès au bonheur. Le don, activité naturelle Activité donatrice de la conscience : puisque nous sommes dans le monde par notre conscience, celle-ci n'est pas une entité close sur elle-même, mais en constante ouverture sur le réel : en d'autres termes, pour utiliser la terminologie husserlienne, nous ne sommes dans le monde que parce que nous orientons notre conscience : c'est l'intentionnalité.

Ainsi les objets qui nous entourent n'existent que par notre faisceau de conscience, par le don de sens que nous faisons.

Il est ainsi possible de tout donner, puisque nous n'avons cesse d'affirmer un acte créatif. Tout donner, cela revient à identifier, et nous n'avons de cesse de le faire. Le don, attitude première : Rousseau décrit l'état de nature primitif comme l'âge d'or de l'humanité.

Aux premiers temps de cette hypothèse méthodologique, les hommes n'éprouvent que deux sentiments les uns envers les autres : la compassion et la pitié.

C'est l'âge de la transparence des rapports, et l'on pourrait s'interroger sur sa survivance à travers le don, acte gratuit qui n'attend rien en retour.

Donner, ce n'est pas seulement faire grâce d'un objet ou de sa disponibilité, c'est réellement marquer l'autre par une présence empathique, qui n'attend rien en retour.

Le don, en tant qu'il est dans l'instant, constitue une sphère à part entière, et en un certain sens, même si l'objet du don ne constitue pas tout ce qui nous bâtit, sa modalité fait intervenir tout notre être, sans peur de jugement. On ne peut donner en totalité Tout donner, ce n'est pas être démuni : si le don se différencie de l'échange en tant précisément qu'il ne requiert rien en retour, il paraît incongru de ne pas considérer qu'il est néanmoins forgé par le mouvement de reconnaissance émanant de celui qui reçoit : en d'autres termes, un don n'est jamais parfaitement gratuit, et la sphère de la réciprocité ne peut lui être étrangère.

Ainsi, s'il est possible de donner sans mesure, il n'est pas possible d'être absolument démuni par le don.

Cela est particulièrement visible en matière de théologie : donner sur cette terre, c'est espérer le salut dans l'autre monde, et c'est, de plus, acquérir une reconnaissance sociétale. => Il n'est ainsi pas possible de tout donner, au sens où ne nous trouvons jamais, par le don, dans une situation qui appelle à la réciprocité. Tout donner, n'est-ce pas déprécier les facultés d'autrui ? : l'attitude de Socrate envers ses interlocuteurs consiste non en l'usage d'une parole dogmatique qui se voudrait voix de la vérité, mais en la proposition incessante de se rapprocher de l'essence de la chose sur laquelle on s'interroge.

Ainsi Socrate ne propose-t-il pas, à la différence des sophistes, de « donner » un discours tout fait, mais bien de se mettre en relation d'empathie avec l'interlocuteur, relation qui est synonyme de découverte d'autrui et de la confiance en ses possibilités.

Le dialogue ne « donne » pas la vérité mais par son dynamisme permet de s'en approcher : asséner la parole serait non pas faire don d'une connaissance mais réduire autrui à un médium passif, dénaturer la recherche. => Tout donner reviendrait à nier la possibilité de l'empathie avec autrui, et ainsi met un terme aux liens sociétaux. Le don : exception dans la société marchande : si, dans l'attitude de Socrate, il s'agissait de partager et de faire découvrir des connaissances qui ne relèvent pas de la société marchande, force est de constater que le don, dans ce dernier cadre, ne peut avoir que figure d'exception.

On ne peut donner qu'avec parcimonie de son argent, de son temps, car le faire totalement reviendrait à tourner le dos aux échanges financiers : c'est le cas par exemple des modes de fonctionnement sur le modèle érémétique, qui constitue une société à part pour ne vivre que de dons et par le don de soi à Dieu. S'il est un droit de donner, il ne peut rationnellement être étendu à l'universalité, puisque cela reviendrait à saper le principe de la société fonder sur l'échanges de biens marchands, mais pas seulement : en échangeant des biens, j'échange également des paroles, des affects. Au terme de cette analyse, il apparaît que « tout donner » est une attitude qui ne relève pas de l'exception si nous la considérons comme le mode de développement de la conscience : c'est même par là que nous donnons sens au monde, que nous existons.

De même, si le don est un héritier de la gratuité des échanges des premiers temps, il nous est possible de tout donner en retrouvant la transparence des premiers temps.

En revanche, dès lors que nous envisageons le don dans une économie qui sort d'une relation binaire, il apparaît que « tout » donner revient à introduire de l'inégalité dans les rapports : ce n'est pas se livrer entièrement mais attendre la reconnaissance, non pas faire cadeau mais soumettre à sa parole. Ce n'est donc pas tant un objet circonstancié qu'il fallait donner au « tout » dans l'expression « tout donner » mais bien envisager ses possibles modalités : il s'avère qu'il nous est possible de tout donner si cela demeure une précieuse expression, et ce afin de conserver tout son sens.. »

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