Peut on se connaitre soi même en ignorant autrui ?

« Peut-on se connaître soi-même en ignorant autrui ? INTRODUCTION Le monde dont j'ai conscience, le monde où je vis, est un monde où je ne suis pas seul.

Si d'ailleurs je suis un homme, c'est parce que j'ai grandi parmi les hommes.

Par exemple, je ne parle que parce qu'on m'a parlé. Cependant, si l'homme est un animal politique, un animal sociable qui se caractérise par le fait qu'il vit en société, cela veut-il dire que pour me connaître moi-même, pour connaître ce que je suis, j'ai besoin d'autrui ? Autrui désigne non pas tel ou tel autre, mais la figure de l'autre en général.

Autrui est à la fois celui qui diffère de moi, et celui qui me ressemble.

Ne puis-je pas ignorer son existence lorsque je cherche à savoir qui je suis ? « Connais-toi toi-même » est un enseignement célèbre de Socrate, professé à partir de l'inscription du temple de Delphes.

Mais il ne faut pas nécessairement se contraindre à rechercher le sens que cela avait pour Socrate ; il faut chercher à se poser la question naturellement.

Que peut signifier se connaître soi-même ? Quel est ce « soi-même » qu'il faut connaître ? En quoi s'agit-il d'une « connaissance », et comment la mettre en oeuvre ? S'agit-il de comprendre ce que l'on est, de connaître sa nature ? S'agit-il de saisir son identité ? Le fait de « se » connaître suppose une connaissance réflexive, une connaissance de soi par soi.

Pour cela, la pensée et la conscience semblent les outils privilégiés.

N'est-il pas alors possible d'ignorer autrui pour parvenir à cette connaissance ? Mais en même temps, en tant qu'autre moi, autrui n'apporte-t-il pas un modèle de ce que je suis ? N'apporte-t-il pas aussi un point de vue sur moi ? Puis-je me connaître en ignorant ces appuis et ces repères-là ? En même temps, ce point de vue d'autrui sur moi est peut-être quelque chose qui me détourne de ce que je suis plus qu'il m'en rapproche. Il s'agit également de s'interroger sur cette « ignorance » dont il peut être question.

Il peut en effet s'agir de la nécessité de faire abstraction d'autrui, ou simplement de ne pas en avoir besoin pour me connaître, ou encore de ne pas tenir compte du fait que je partage le même monde que lui. Dans une première partie, on constatera qu'il ne semble pas qu'autrui soit nécessaire pour se connaître soi-même. Dans une deuxième partie, on constatera toutefois que, vivant dans le même monde que lui, on ne peut pas faire abstraction du jugement d'autrui.

Enfin, on montrera même que la simple présence d'autrui, avant même qu'il nous juge, contribue à la conscience de soi. PREMIÈRE PARTIE : Ignorer autrui ? a) connais-toi toi-même Voici un extrait du Charmide, un texte où Platon dialogue à propos du fameux « connais-toi toi-même.

» Se connaître soi-même est assimilé à la sagesse par Critias, qui interprète en même temps l'inscription du temple de Delphes. Socrate introduit l'idée qu'il s'agit alors de savoir discerner ce qu'on connaît et ce qu'on ne connaît pas.

Ainsi, ce texte est un excellent point de départ pour analyser ensuite ce qu'on connaît ou ce qu'on ignore de soi-même, lorsqu'on suppose qu'on peut ignorer autrui. PLATON, Charmide, 164d-167a « - Critias : J'aurais presque envie de dire que se connaître soi-même, c'est cela la sagesse, et je suis d'accord avec l'inscription de Delphes.

Voila en quels termes, différents de ceux des hommes, le dieu s'adresse à ceux qui entrent dans son temple, si je comprends bien l'intention de l'auteur de l'inscription.

A chaque visiteur, il ne dit rien d'autre, en vérité, que : « Sois sage! » Certes, il s'exprime en termes quelque peu énigmatiques, en sa qualité de devin.

Donc, selon l'inscription et selon moi, « connais-toi toi-même » et « sois sage », c'est la même chose! - Socrate : Dis-moi donc ce que tu penses de la sagesse. - Critias : Je pense que, seule entre toutes les sciences, la sagesse est la science d'elle-même et des autres sciences. - Socrate : Donc elle serait aussi la science de l'ignorance, si elle l'est de la science?. »