Peut-on ne pas être soi-même?
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«
Introduction
Etre soi revient à imaginer que l'homme puisse recouvrir une identité stable lui permettant de se saisir comme un
« soi » au travers des différentes manifestations qualitatives qui le jalonnent.
L'individu serait ainsi capable d'avoir
sur lui-même un regard permanent, faisant de lui son propre juge.
Mais il apparaît que le sujet est voué à maintes
déterminations le rendant aveugle ou distrait face à ce qu'il est véritablement.
Par confort même, l'individu se
tiendrait parfois toute une existence sur un mode inauthentique, le rattachant à l'impersonnel, au plus impropre.
Si
chacun se décentre incessamment de la place qu'il devrait occuper, peut-on penser qu'un recentrement sur soi
suffit à caractériser l'homme de substance identitaire stable ?
I.
La quête de soi ou la lutte contre les passions
a.
La philosophie est véritablement née à travers la figure de Socrate.
Celui-ci tentait, par la puissance du
dialogue, d'exhorter ses interlocuteurs à se connaître eux-mêmes.
Il procédait ainsi par
le moyen de la « maïeutique », moyen permettant « d'accoucher les esprits ».
Socrate
alors déstabilisait chacun dans ses certitudes profondes.
Il permettait à l'autre de
retrouver en lui ce qu'il avait déjà, et ainsi de connaître véritablement les raisons de ses
actes.
Mais il apparaissait cependant que certaines choses ne pouvaient être révélées à
la connaissance humaine.
Ainsi l'essence de la justice, capable de produire chez l'homme
des actions justes, semble être difficilement atteignable.
Il faut savoir discerner ce
qu'on sait de ce qu'on ne sait pas, selon Socrate, et s'appliquer autant qu'on peut à
cette inscription de Delphes : « Connais-toi toi-même ».
Et Socrate dira ainsi que
l'attitude du sage consiste « à savoir ce qu'on sait et ce qu'on ne sait pas » (Platon,
Charmide, 164d-167a).
Connais-toi toi même
Il ne s'agit pas pour Socrate de se livrer à une investigation psychologique, mais
d'acquérir la science des valeurs que l'homme porte en lui.
Cette science importe
essentiellement — bien avant de connaître la nature ou les dieux.
Comment conduire sa vie pour être heureux ; voilà
la question qui hante tous les hommes.
L'opinion, confortée en cela par les sophistes, identifie le bonheur à la
jouissance, au pouvoir, à la fortune, à la beauté.
Sans doute tout cela n'est-il pas négligeable, mais ce sont là des
biens équivoques qui peuvent nous être utiles, ou nous nuire selon les circonstances, l'usage qui en est fait.
Pour
qu'ils deviennent utiles, il faut que nous sachions nous en servir et si l'homme agit toujours en vue de son bien
propre, il peut se tromper sur sa définition.
Si nul n'est méchant volontairement, c'est d'abord parce que nul ne veut
consciemment se nuire à lui-même et donc ce n'est que par accident que la conduite qu'il adopte peut
éventuellement s'avérer mauvaise.
Par accident, non volontairement, il faut entendre par là par ignorance : si je ne
connais pas la hiérarchie des biens, je serai nécessairement malheureux.
Par exemple, celui qui consacre son
existence à acquérir la richesse, en viendra naturellement à nuire à autrui, donc il s'exposera à la rigueur de la loi ;
de plus c'est là un bien qui dépend en large partie du hasard et qui peut échapper à tout instant.
Il est donc
inconcevable que sachant tout cela on puisse vouloir agir de la sorte.
C'est la science qui détermine l'action, elle ne
peut être vaincue par les passions, seulement par l'ignorance.
Le primat donné à la science explique les railleries dont Socrate accable aussi bien les institutions, en particulier le
tirage au sort des magistrats, que l'inspiration qui permettrait à certains de bien agir par une sorte d'illumination.
Faisant confiance au savoir et pensant que tous les hommes — fut-ce l'esclave — portent en eux le germe de ce
savoir, c'est une vision délibérément optimiste que Socrate offre de l'humanité.
b.
Dès lors ne pas être soi-même peut caractériser l'attitude de l'homme livré à une forte passion.
La passion
caractérise une forte dépendance en l'homme.
Ce dernier est le plus souvent ignorant de ce qui l'affecte, c'est-àdire de son objet et des fins que ça implique.
La passion diffère du désir puisqu'elle est constante et ardente, ce qui
empêche le sujet d'en être maître, et de s'en débarrasser volontairement.
Dès lors la passion peut mener le sujet à
une sorte de délire ou d'ensorcellement.
Et c'est bien ce que nous fait comprendre St Augustin lorsqu'il alla à
Carthage, et qu'il recherchait un objet à cette passion qui le dévorait, l'amour : « Je n'aimais pas encore mais
j'aimais l'amour […].
Aimant l'amour, je cherchais un objet à mon amour » (Les confessions, III, 1).
On retrouve ce
sens ancien pour lequel la passion consiste à subir une action.
Et le fait de subir amoindrit en l'homme sa possibilité
d'être maître de lui-même.
D'où l'idée, que l'on retrouve déjà chez les Stoïciens, selon laquelle la passion est néfaste
pour l'individu, dans la mesure où elle va à l'encontre de la quête du bonheur, de la sérénité de l'âme.
Ainsi Epictète
fera la distinction dans son Manuel (écrit par un de ses disciples, Arien) entre « ce qui dépend de nous » et « ce qui
ne dépend pas de nous ».
Et ce qui ne dépend pas de nous (la mort d'un proche, la maladie etc.) doit être mis à
l'écart, et ce pour ne pas perturber ou freiner l'homme qui est en quête de lui-même.
II.
l'incessante perte de toute identité stable
a.
Montaigne montre dans ses Essais que vouloir saisir l'être, c'est comme vouloir empoigner de l'eau.
La raison
n'est pas un honorable refuge, d'où une déconstruction de l'homme et de ses prétendues facultés, c'est ce
qu'appelle Montaigne « la vanité et dénéantise de l'homme ».
Il y a une vacuité ontologique de l'homme, alors que
ce dernier croit le plus souvent fermement à sa raison, ou à son être.
Avec Montaigne on peut douter sur tout, sauf.
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