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Peut-on ignorer le passé ?

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« [Introduction] Le temps est par essence insaisissable alors que nous y sommes plongés.

Si le passé est irréversible, définitivement passé, nous avons pourtant sur lui un certain pouvoir, celui de la mémoire.

Elle garde le passé et le fait ressurgir quand nous le voulons ou à l'improviste d'une association d'idées ou de sensations.

Ignorer le passé, faire comme s'il n'existait pas, est-ce possible ? Peut-on vouloir oublier ? A-t-on même le droit de ne pas vouloir connaître ce qui a été, de traiter l'histoire sans considération ? [I - L'homme est un être inscrit dans l'histoire] Le temps, écrit Saint-Augustin, « est une distension de l'âme » que seul l'homme connaît : son flux équivaut au passage d'un néant à un autre, d'un passé à un futur dans un présent insaisissable.

L'expérience quotidienne nous enseigne que tous les phénomènes se déroulent dans le temps, dont la caractéristique essentielle est son irréversibilité : on ne peut pas remonter le cours du temps, si ce n'est en imagination, on ne peut pas faire que ce qui a été ne soit pas.

Le succès de la science-fiction repose sur des histoires et des machines « à remonter le temps », à voyager dans le futur ou dans un autre temps, une autre dimension.

L'imagination humaine tente ainsi de surmonter, de refuser, de supprimer cet obstacle majeur qu'est le temps : le temps est sans doute la plus fondamentale aliénation de l'homme, puisqu'il mène à la mort. L'individu découvre sa propre contingence et celle d e l'humanité en prenant conscience du temps.

Il découvre aussi qu'il est un être historique : il se saisit doté de mémoire et riche de possibilités pour le futur.

Peut-il vouloir ignorer le passé, c'est-à-dire tout ce qui pèse sur lui, tout ce qui fait sa personnalité actuelle, que ce soit sur le plan biologique, social, historique, psychologique ? Par sa nature même, « la connaissance du passé humain », comme H.I.

Marrou appelle l'histoire, reste l'héritage de chacun d'entre nous. On peut choisir d'accepter ou de refuser un héritage.

Peut-on ignorer le passé ? [II- L'oubli permet de vivre au présent] Freud a démontré que « les hystériques souffrent de réminiscences », c'est-à-dire qu'ils souffrent d e ne pas pouvoir oublier certains souvenirs, certaines scènes pathogènes : le névrosé n'en a jamais fini de liquider son Passé.

Il le ressasse.

L'oubli n'est donc pas une déficience de la mémoire, mais au contraire une force qui permet de vivre au présent.

Il faut savoir digérer le passé.

Nietzsche soulignait déjà que l'incapacité à se défaire du passé est source d'insatisfaction et de ressentiment.

L'oubli est le gardien de la tranquillité. Dans La Généalogie d e la morale, Nietzsche a montré que l'oubli n'est pas une faculté passive qui résulte de l'inertie du psychisme, de ses fatigues ou de sa faiblesse.

L'oubli est un pouvoir actif d'enrayement.

Il correspond à la phase de "digestion psychique" des événements, comparable à celle de la digestion organique des aliments auxquels nous ne pensons plus une fois absorbés.

L'oubli est l'effet d'une assimilation.

C'est un temps mort durant lequel se fait table rase ou place nette pour les choses nouvelles et plus nobles : "La faculté active d' oubli est une sorte de gardienne, de surveillante chargée de maintenir l'ordre psychique, la tranquillité, l'étiquette." Des sentiments comme le bonheur, la sérénité, l'espérance, la fierté ou la jouissance de l'instant présent ne pourraient exister sans la faculté d'oubli.

Freud de son côté a souligné le caractère vital d e l'oubli des événements pénibles et désagréables.

C'est spontanément que l'inconscient oppose une résistance aux souvenirs d'impressions ou à la représentation d'idées pénibles.

Pour l'inconscient, l' oubli est un instinct de défense comparable au réflexe de fuite face au danger.

S'il est souvent difficile d'effacer de sa mémoire des sentiments de remords et de culpabilité, s'il est vrai que l'oubli n'est jamais volontaire, il faut supposer une "économie" dans l'organisation du psychisme humain, où l' oubli de certains événements sert l'intégrité de l'ensemble.

Parfois tenu en échec par des instances plus puissantes qui cherchent à réaliser leurs buts, l'oubli s'opère par un déplacement d'objet.

Si l'événement douloureux n'est pas oublié, l'oubli sera transféré sur les circonstances ou des objets qui y sont liés, montrant qu'il réalise par là un véritable "travail". On peut donc ne pas vouloir solliciter sa mémoire parce que le passé est trop lourd à porter : les personnes qui ont vécu des événements douloureux, essaient d e ne plus y penser, leur expérience étant incommunicable aux autres, ou si terrible, lorsque les souvenirs surgissent, qu'elles essaient d'oublier le passé pour pouvoir vivre le présent (c'est le cas des rescapés des camps de la mort, des guerres ou des grandes catastrophes naturelles par exemple).

On peut donc ignorer le passé : il suffit qu'il ne soit pas réactivé.

Se pose alors le problème de la responsabilité morale. [III - A-t-on le droit d'ignorer le passé ?] Nous avons vu que l'homme est par essence un être historique : ce qu'il est actuellement et le monde dans lequel il évolue résultent de ce qui a été.

L'histoire est une conquête de l'humanité : le passage d'un temps cyclique, figé puisque éternel recommencement du même, au temps linéaire, temps du devenir, du flux, est la quête du sens de ce qui est arrivé, arrive ou arrivera à l'humanité.

L'histoire renseigne donc sur les actions humaines, sur les faits sociaux.

La tâche de l'historien apparaît difficile : « réveiller le passé, le remettre au présent [...] et déterminer de plus si les contemporains ont été mystifiés », dit Merleau-Ponty. Ainsi, ignorer l'histoire, c'est refuser de comprendre ce qui a été et ce qui est.

C'est donc ignorer les raisons et le sens de ma présence dans le monde, c'est vivre dans l'illusion que l'homme vit indépendamment de ce qui l'entoure.

Parler d'histoire n'aurait donc plus de signification puisque seul l'homme a une histoire, en ce sens qu'il a conscience de son passé, de celui de l'univers.

Excepté l'homme, aucun vivant ne se souvient de ses ancêtres, aucun vivant ne peut parler du possible, de l'avenir.

L'homme a donc une responsabilité morale à tenir compte de l'histoire, à l'étudier, à la transmettre. [Conclusion] On peut ignorer le passé, on peut vouloir l'oublier.

Mais chacun est responsable du silence qu'il pose sur l'histoire, sur la mémoire de l'humanité.

Il ne faut sans doute pas vivre dans la commémoration permanente, mais la connaissance de l'histoire engage chaque individu.

Il est du devoir et de la dignité de l'homme de chercher à comprendre le passé pour essayer de ne pas recommencer les mêmes tragédies.

Il y a un devoir de mémoire.. »

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