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Peut-on faire son devoir par habitude ?

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« [Introduction] La notion de devoir est polysémique : si elle implique toujours une obligation, cette dernière peut se rencontrer dans des domaines variés.

1.e « devoir » scolaire n'est pas lié à une obligation de même intensité que le devoir moral tel que le comprend Kant.

Il est vraisemblable que l'intervention de l'habitude dans l'exercice du devoir n'aura pas exactement la même portée dans tous ces domaines. [I - Le devoir quotidien] [A.

Sa diversité] Jour après jour, nombre de nos comportements apparaissent comme des variantes de ce qu'il nous faut faire : de la toilette du matin aux règles élémentaires de la politesse avec les autres, du parcours à accomplir vers un lieu d'apprentissage ou de travail aux vêtements que l'on doit porter pour ne pas se faire remarquer, nous accomplissons quantité de devoirs, mineurs ou importants, qui finissent par ne plus être perçus comme tels.

Au point que nos comportements sont mis sur le compte d'habitudes sociales qui nous rendent simplement conformes à ce que notre groupe attend de nous. [B.

Intervention positive de l'habitude] La plupart de ces conduites ont dû être progressivement apprises, généralement dans l'enfance : ce n'est pas spontanément que l'enfant salue les autres, ou qu'il est partant chaque matin pour l'école.

Des habitudes se forment ainsi, dont le résultat est d'inscrire les comportements dans une normalité diffuse.

Non seulement l'enfant s'habitue à aller à l'école (du moins en va-t-il ainsi pour la majorité des enfants, les réfractaires apparaissant, pour la famille et la société, précisément comme posant quelques problèmes), mais il s'habitue aussi au rythme des tâches qu'il doit y accomplir : tel « devoir » — « au sens scolaire » — sera rendu tel jour.

Ce qui, initialement, exigeait une attention véritable et un exercice de la volonté, se fait avec plus de facilité (on a moins à y penser) lorsque l'habitude en est prise. [C.

Moindre application de la volonté] Lorsque l'individu a ainsi intériorisé de nombreuses choses à faire par habitude, il peut mieux se consacrer à d'autres tâches : en ne portant plus sur l'ensemble de ce qu'il doit quotidiennement accomplir, sa volonté se concentre mieux sur ce qui reste précisément inhabituel.

D'un côté, il gagne du temps, de l'autre il est plus efficace.

Sans doute peut-il arriver que l'habitude joue des tours : si un jour je dois effectuer un parcours en autobus un peu irrégulier, il est fort possible que par habitude, j'oublie de descendre trois arrêts plus tôt...

Mais dans l'écrasante majorité des cas, l'habitude est incontestablement une aide précieuse dans le quotidien. [II - Le devoir en morale] [A.

Le conformisme] Au sens strict, la conduite envers autrui, donc par exemple l'obligation d'être vêtu ou la politesse, concerne bien la morale.

Toutefois, on doit reconnaître que cette dimension disparaît d'une multitude de relations quotidiennes, transformées en simples habitudes d'origine sociale.

Dès que l'enfant a pris l'habitude de la politesse minimale, il n'en ressent plus du tout l'obligation.

Et il ne viendrait sans doute à l'esprit d'aucun théoricien de la morale de le lui reprocher ; on se contente de constater qu'il est suffisamment bien éduqué (comme le dit Rousseau, on lui a donné de « bonnes moeurs »), et tout le monde juge son comportement « satisfaisant » : il en fait assez et on ne peut lui demander davantage dans ce domaine. L'individu devenant ainsi, par simple habitude, « conforme » au modèle de sa société, on peut qualifier globalement son comportement par le terme de « conformisme ».

Et l'on voit que ce dernier, dans ce contexte, n'a rien de négatif. [B.

Extension du conformisme] Ce conformisme peut toucher des valeurs dont l'importance morale est incontestable ou plus cruciale, comme l'honnêteté, ou le respect de la vie d'autrui.

C'est à ce niveau qu'il révèle une certaine ambiguïté, que Kant a fortement soulignée : le commerçant qui rend « honnêtement » la monnaie à toute sa clientèle agit-il ainsi parce qu'il a l'habitude d'être effectivement honnête, ou agit-il ainsi par intérêt, pour conserver sa clientèle ? Dans le premier cas, il serait encore, bien qu'assez vaguement, du côté de la morale, mais dans le second, il n'y serait plus, puisque l'intention qui dirige son comportement n'a plus rien de moral.

En d'autres termes, on doit distinguer l'action « faite par devoir » de celle qui n'est que « conforme au devoir », seule la première étant sans équivoque.

Faire son devoir par habitude, c'est se contenter d'être « conforme au devoir », et tout le problème, pour celui qui prétend juger l'action de l'extérieur, sans en connaître l'intention précise, est de savoir si ce conformisme correspond à une réalité morale, ou s'il n'est qu'une apparence. [C.

Le conformisme peut néanmoins suffire] En raison même de la rigueur de son interprétation de la moralité, Kant admet qu'il n'y a peutêtre jamais eu au monde une action purement morale, rigoureusement accomplie « par devoir », sans l'intervention de quelque autre détermination, si minime soit-elle.

Il serait malvenu d'être sur ce point « plus kantien que Kant »...

Et l'on peut sans doute considérer que, en ce qui concerne la moralité « ordinaire », celle qui s'applique à des situations assez quotidiennes dans lesquelles ne surgit pas un authentique problème de morale, le conformisme est suffisant : faire son devoir par habitude affaiblit sans doute la conscience du devoir à accomplir, mais dans la mesure où le résultat est satisfaisant (c'est-à-dire où la vie des hommes reste harmonieuse, et où aucune valeur morale ne se trouve bafouée), on peut s'en contenter.. »

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