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Peut-on être victime de la mode ?

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« Introduction Depuis le XVe siècle, la mode alimente un flot continu de discussions morales, sociales, esthétiques, philosophiques, qui s'amplifie au XIXe et au début du XXe siècle.

Des écrivains (Carlyle, Baudelaire, Mallarmé, Oscar Wilde, Proust), des sociologues et des anthropologues (Spencer, Sumner, Tarde, Veblen, Goblot, Simmel, Sapir) la prennent alors pour thème de réflexion, voyant en elle soit une modalité transitoire du style, une création futile mais attachante, soit une pourvoyeuse de nouveauté, gaspilleuse d'énergie, mais capable d'ébranler la tradition et les mœurs, pour le meilleur et pour le pire, soit, surtout, un témoignage privilégié du comportement de l'homme en société et en particulier de la soumission de l'individu aux normes collectives.

Quand le sociologue Olivier Burgelin déclare aujourd'hui que « la mode ne se contente pas de s'emparer du vêtement, mais [...] concerne en profondeur [...] tout le vêtu (la société, le discours, la culture) », cette remarque indique clairement que les chercheurs appliquent le parti de la pluridisciplinarité à l'étude de la mode.

Les sciences humaines comme les sciences appliquées conjuguent désormais leurs méthodes d'investigation pour une meilleure connaissance du phénomène de la mode dans sa totalité.

Dès lors la mode peut-elle être comprise à la lumière d'une « victimo-genèse » collective, et non simplement individuelle ; ou, pour le dire plus simplement, être victime de la mode, n'est-ce pas là une qualité proprement collective, sans laquelle aucune « mode » proprement dite ne pourrait être reconnue ? I.

la mode, principe de différenciation sociale a.

Depuis Herbert Spencer, de nombreux sociologues, et en particulier Simmel, ont tenté de rendre compte du rythme caractéristique de la mode par une sorte de dialectique de l'imitation et de la distinction : les classes inférieures adopteraient, dès que la chose leur est matériellement et culturellement possible, les formes extérieures de la vie sociale des classes supérieures.

Celles-ci, ne pouvant plus, en régime démocratique, avoir recours aux lois somptuaires pour sauvegarder leur « distinction », seraient contraintes au changement ; et le mouvement se répéterait indéfiniment.

De fait, les études de psychologie sociale font ressortir la présence de deux motivations, apparemment opposées, à suivre la mode : le souci de faire comme les autres et celui de se distinguer (Hurlock).

Certaines analyses relient cette dualité de motivation à la différenciation sociale : ainsi la publicité adressée aux classes supérieures met l'accent sur la distinction des produits, celle qui s'adresse aux classes populaires insiste au contraire sur la conformité (B.

Barber et L.

S.

Lobel).

Il est probable cependant que les deux ordres de motivation coexistent chez la plupart des individus.

Comment la mode pourrait-elle d'ailleurs créer des signes de distinction entre des classes et des groupes sociaux sans que ces signes agissent en même temps comme signes de reconnaissance au sein de ces classes ou de ces groupes ? b.

En parallèle aux cycles de la mode, définis souvent aujourd'hui en termes de tendances, naissent des mouvements de mode que leurs exégètes dénomment « états d'esprit » ou « mouvements alternatifs » ou encore « looks » parce qu'ils développent, en complément de la panoplie de leur parure, un langage, une éthique et une esthétique spécifiques (par exemple, dans les années 1980, les groupes de musique punk ou rap).

L'examen de certains de ces mouvements de groupes qui se fixent une règle de vie et un style de comportement originaux en révèle la diversité. II.

La mode souligne toujours une forme de victimologie inconsciente a.

Du point de vue psychanalytique, le vêtement est à la fois ce qui dissimule le corps, et en particulier les parties sexuelles, et en même temps ce qui le met en valeur et tient la curiosité sexuelle en éveil.

Le vêtement a donc pour but de satisfaire des tendances contradictoires, ce qui le rend comparable au symptôme névrotique, la fonction dite de protection apparaissant dans cette perspective comme une simple rationalisation (Flügel).

Selon la théorie du narcissisme, d'autre part, la pulsion autoérotique, après s'être tournée vers le corps d'autrui, tend à revenir au moins partiellement sur le corps du sujet, en même temps que celui-ci passe du comportement actif au comportement passif : il veut tout à la fois voir et être vu (l'exhibitionniste ne différant à cet égard de la normalité que parce qu'il s'arrête sur ce stade qui normalement n'est que préliminaire).

Les comportements à l'égard de la mode montrent que ce double désir de voir et d'être vu est transféré sur le vêtement et partiellement sublimé.

Ainsi la psychanalyse fait apparaître le vêtement comme fortement érotisé, ambivalent, et comme objet de transfert et de sublimation des tendances exhibitionnistes.

Ces traits sont à rattacher aux conflits sociaux dont la mode fait l'objet. b.

L'individu se trouve aussi rapidement noyé dans ce flot incessant de nouvelles tendances, dans cette avancée sans fin des diverses manifestations de la mode.

Les sociétés industrielles, dans lesquelles la mode est le reflet de l'image sociale que chacun doit tendre pour se rendre visible par rapport à l'autre, induisent les individus vers une infinité de tendances déterminée par les différents moyens techniques et industriels.

Ainsi l'industrie créée la mode.

Et les individus, revêtant tous ces mêmes qualités déterminantes de la « mode », au lieu de se rendre visibles, se rendent bien plutôt invisibles, puisque chacun se fond dans un milieu où aucune détermination de la mode ne ressort véritablement du lot. c.

Ainsi, devant cet état d'indifférenciation la plus totale, où seuls quelques détails propres à satisfaire la sensibilité de chacun attirent l'attention, la mode créée un défi illusoire pour chacun de s'établir au rang d'une multitude informe, d'une masse régie par les seules lois impériales du marché capitaliste.

Quand l'offre est constitutive et productrice de la demande, elle oblige en quelque sorte tout un chacun à adhérer à tel ou tel type de produit qu'elle met sur le marché.

Dès lors, au regard des intérêts économiques qui gouvernent l'illusoire schéma de l'offre et de la demande, la mode s'établira à partir de ces « figures » types qui remplissent nos images télévisuelles etc., ces « stars » qui, comme la mode qu'elles amènent, ont une longévité éphémère et inconsistante.

Tout un chacun est alors sujet, devant ses préoccupations quotidiennes, à revêtir l'habit de ce dont il est préoccupé.

Un problème d'identification s'instaure, et celle-ci, loin de s'arrêter au simple niveau vestimentaire de telle ou telle célébrité, s'élabore au contact d'une image entière qui n'est que pure fiction ou construction résultant d'un montage dont les fins ne servent qu'au profit de ceux qui en décident. Conclusion Il y a bien une science de la mode qui permet de comprendre en un sens en quoi des individus ont tendance à vouloir faire part de leur appartenance à tel ou tel groupe.

Aussi, la mode est une manière pour le sujet de se différencier par rapport à telle ou telle détermination sociale.

Mais la mode elle-même peut être au fondement de cette différenciation, sans que le sujet en prenne véritablement conscience.

Tout se complique quand la mode n'est que le reflet d'une tendance X à un moment T, reflet d'une entreprise plus lucrative que significative.

L'individualité ainsi s'efface, et sous prétexte que chacun peut vouloir ce qu'il veut, la collectivité ellemême, vue de l'extérieure, perd tous ses éléments capables d'introduire du sens nouveau.

La mode agresse ainsi la totalité dans son essence, savoir, dans la possibilité insigne de faire ressortir d'elle-même des éléments créateurs.. »

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