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Peut-on dire que tout se transforme sans cesse ?

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« Il semble y avoir deux manières de penser le devenir : soit comme le corrélat d'un événement, soit comme une loi de la nature.

Selon la première manière, les étants du monde ne sont pris dans le devenir, ne se transforment, que lors d'événements, c'est-à-dire en vertu d'une cause singulière et limitée dans le temps.

D'après la seconde manière, le devenir revêt une valeur ontologique : être c'est en même temps se transformer.

Une telle lecture, qui hypostasie le devenir comme sens d'être de l'étant, est-elle valable ? Peut-on dire que tout se transforme sans cesse ? I-Les choses ne se transforment pas sans cesse. Quoique pris dans le temps, les étants du monde ne sont pas soumis à une perpétuelle transformation.

Il y a une différence entre le fait d'exister dans le temps, c'est-à-dire de subir les effets du temps, et le fait de se transformer, l'un n'est pas le revers de l'autre.

La transformation implique autre chose que la temporalité, elle implique que l'étant soit soumis à un dynamisme interne qui l'affecte au point de le changer.

Ce peut être un dynamisme biologique : la larve se transforme en papillon, l'embryon en organisme viable ; un dynamisme spirituel : par exemple Pascal lorsqu'il fait sa fameuse expérience mystique.

Il peut exister divers types de dynamismes. La transformation est une épreuve radicale, au sens où elle affecte l'étant, elle est comme une rupture dans l'existence.

Il arrive qu'une chose transformée ne puisse pas être reconnue ; par exemple si un ami peut être transformé par la maladie au point que son apparence physique s'en trouve affectée.

La transformation est donc corrélative d'un événement, elle occupe un certain temps mais ne se confond pas avec l'existence en général.

Si les étants étaient soumis à un devenir constant, ce serait le chaos, nous ne reconnaîtrions plus rien. Il faut au contraire soutenir que l'ordre du monde est bâti sur une logique de la conservation ; ainsi que le soutenait Lavoisier, dans une formule célèbre « Rien ne se perd, rien ne se crée ».

La conservation des substances est au principe de l'existence ; les transformations ne sont que des accidents, devenir ce n'est pas changer l'être mais le conserver dans le temps.

La transformation d'un étant est une chose contingente, et qui ne va pas nécessairement contre la loi de la conservation, en témoigne l'évolution des espèces où les transformations accidentelles sont sélectionnées en fonction du degré de sécurité supplémentaire qu'elles apportent à l'espèce. Dans ce cas la transformation se fait au service de la perpétuation. II-Le problème du mouvement. Toutefois, le prisme avec lequel nous percevons l'étant peut changer : si l'on adopte par exemple le regard que la physique aristotélicienne porte sur le monde, notre perception du devenir change du tout au tout.

Contrairement à ce qui se passe avec la physique mécaniste de Galilée, Descartes et Newton, le mouvement n'est pas conçu seulement comme le déplacement local d'un mobile.

Il est pensé comme le corrélat de la vie ; la croissance, l'altération, le changement en général, sont autant de mouvements, lesquels sont l'indice d'une vie. Tandis que dans la physique classique, le mouvement est compris comme un simple déplacement spatial, soumis à la loi de la causalité, chez Aristote, il revêt un caractère plus essentiel.

Finalement tout est mouvement, chaque chose est soumise à la dynamique du mouvement naturel, d'après laquelle la chose doit rejoindre son lieu naturel (ainsi si la pierre lancée retombe, ce n'est pas en vertu des lois newtonienne de la gravitation mais parce que la Terre est son lieu naturel). Dès lors que le mouvement n'est plus conçu comme un événement, comme quelque chose d'occasionnel, un simple transport local, mais comme un mode d'être, il faut bien reconnaître que chaque chose est soumise à une transformation constante.

Seule les formes parfaites, circulaires selon les grecques, demeurent éternelles et ne sont pas soumises au devenir.

Mais, appartenir au monde terrestre, c'est ne pas cesser de se transformer.

Le repos, et il en sera de même avec Leibniz, n'est pas conçu comme le mode d'être de l'étant, qui demeure toujours le même, mais comme un simple cas particulier du mouvement.

Même l'étant en repos est pris dans une dynamique de transformation. III-Tout se transforme sans cesse. Il ne faut donc pas égaler la transformation à une transfiguration, la transformation est une constante de l'existence, elle ne correspond pas pour autant nécessairement à un changement radical.

Comme Bergson le montre à propos du moi : il se confond avec la durée et ne cesse pas de se transformer, étant emporté par le temps.

Je suis toujours autre que moi-même, jetée en avant de moi, mon être n'est pas une persistance mais un continuel devenir.

Si l'on peut accepter que la nature ou le moi ne cessent pas de se transformer, en tant que vivants pris dans le temps, n'est-il pas plus délicat de concevoir le fait que les objets, apparemment inertes, de notre quotidien, soit eux aussi soumis à une transformation perpétuelle ? N'y a-t-il pas une césure entre le vivant et le non-vivant sur ce point ? Comme Colingwood, Bachelard ou Ruyer l'ont montré, il n'en est rien ; la physique quantique apporte en effet les preuves de ce que la matière constitutive de nos objets est continuellement en activité.

Si l'on adopte le point de vue de la micro-physique, on s'aperçoit que les particules sont prises dans un dynamisme récurrent ; les électrons sont illocalisables, ils peuvent occuper au même moment plusieurs positions, tandis que les atomes sont constamment en activité, cherchant à regagner des électrons pour compléter leur couche électronique. La matière n'est donc pas tant régie par un principe de conservation de la substance, comme le pensait la physique classique, que par un principe de conservation de l'activité : les particules micro-physiques ne cessent pas en effet de se transformer, elles ne connaissent pas le repos.

En adoptant une certaine lecture du monde, on s'aperçoit donc qu'il n'est pas désuet de soutenir que les choses se transforment sans cesse, que cela se passe sous nos yeux ou à une échelle qui nous est invisible. Conclusion : Tenir que la variation n'est qu'un accident, un événement ponctuel et ne se confond pas avec l'être, c'est demeurer tributaire du point de vue d'une physique classique, attachée à une conception appauvrie du mouvement.

Dès lors qu'on prend conscience, en revenant à Aristote, et en prenant appui sur la physique moderne, du caractère ontologique du mouvement et de l'activité, on peut adhérer à la thèse d'après laquelle tout se transforme sans cesse.. »

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