Parler, est-ce penser ?
Extrait du document
«
Il apparaît aberrant de dire d'un jeune enfant qui n'a pas encore parfaitement accès à la parole qu'il ne pense pas
pour autant.
La question ne porte pas tellement sur un rapport de simultanéité entre parole et pensée que sur la
manière dont est structurée leur relation.
Est-ce par le langage que notre pensée prend corps ou est-ce la pensée
qui dicte nos paroles ?
Ce n'est pas seulement la possibilité d'un échange optimum entre les individus qui pose problème, mais aussi la
définition de la nature de cette « pensée » : ne la considère-t-on que dès lors qu'elle est consciente ? Parler, n'estce pas sans cesse effectuer des concessions entre le code que nous utilisons et la pertinence de notre
pensée forcément intime ?
Enfin, si la parole est la mise au monde de notre pensée, celle-ci ne peut-elle pas acquérir un statut différent,
transformant le sujet parlant en un sujet moral, religieux ou politique, bref en un sujet agissant ?
I.
ADÉQUATION DE LA PAROLE ET DE LA PENSÉE
Descartes établit dans sa lettre au marquis de Newcastle du 23 Novembre
1646 que l'homme est le seul être dont on peut dire qu'il parle, puisqu'il est le
seul être pensant.
Si les animaux sont capables d'exprimer des sentiments
telle la joie ou la tristesse, on ne peut réellement dire qu'ils parlent, puisqu'ils
le font par instinct.
Et si le perroquet par exemple semble articuler des
syllabes, ce n'est que par imitation, habitude, voire dressage.
Parler, c'est
donc penser : même les sourds et muets inventent un langage pour
communiquer leurs pensées.
Tous les hommes sans exception, même fous ou stupides, sont capables de
parler ou d'employer des signes pour faire connaître leur pensée.
Au contraire,
il n'existe aucun animal qui soit capable d'employer le langage, sinon pour le
répéter sans le comprendre (les pies ou les perroquets par exemple).
Si les
animaux ne parlent pas, ce n'est donc pas par défaut d'organes convenables
- les imitations peuvent être très bonnes pour certains oiseaux -, mais ils ne
pensent pas ce qu'ils disent, et ne sont pas capables d'inventer un système
de signes pour se faire comprendre.
Seul l'homme dispose d'une raison, les
animaux n'en ont aucune.
Même l'animal le plus doué n'est pas capable
d'égaler l'enfant le plus stupide.
Enfin, si les animaux avaient la moindre trace
de raison, ils seraient en mesure de nous le faire savoir, ce qui n'a jamais eu
lieu.
La faculté de langage est donc étroitement liée à la raison : elle y trouve
son origine et sa capacité de développement.
Parler ne consiste donc pas à
associer des mots, mais à penser ce que l'on dit, et à dire ce que l'on pense.
De plus, dans la tradition socratique, le langage est l'ami du philosophe, autant que ce dernier est l'ami de la raison.
C'est par le dialogue que s'ouvre la voie vers la vérité, par un échange entre deux individus.
Parler, au sens noble du
terme, ce n'est pas, comme les sophistes, faire du langage un instrument de pouvoir, mais tenter une réelle
élévation vers l'idée.
Ce qui est dit ineffable ce n'est pas, comme le pense la « belle âme » un sentiment si noble que les mots ne
pourraient le rendre avec justesse.
C'est au contraire, une pensée si brouillonne qu'elle ne peut trouver son
extériorité.
« C'est dans les mot que nous pensons » écrit Hegel dans L'encyclopédie des Sciences Philosophiques :
ce n'est que par le langage articulé que la pensée est pleinement en tant qu'elle est au monde.
II.
PENSER PAR LA PAROLE
Mais le langage que nous utilisons est avant tout un code que nous utilisons pour penser.
Ainsi Nietzsche raille-t-il le
« fait de grammaire » cartésien du je pense donc je suis en dénonçant le caractère absolument arbitraire de cette
première personne du singulier.
Cet usage ne constitue en fait que l'héritage d'un code, suscitant ainsi des
croyances qui lui sont dépendantes.
Nietzsche voit la pensée consciente comme une toute petite partie de la
pensée qui se déroule continuellement chez l'homme, partie qui doit être communicable afin d'échanger avec son
prochain.
La parole ne nous sert qu'à penser dans le troupeau..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- On dit souvent pour expliquer, ou même excuser, un comportement humain : « c'est naturel ? ». Quel est le sens de cette expression ? Que faut-il en penser ?
- Connaître et penser chez Kant
- Kant: penser, la Critique de la Raison Pure
- Merleau-Ponty: Il est impossible de penser objectivement autrui
- " Philosopher, est-ce penser différemment" ?