N'y a-t-il que des passions déraisonnables?
Extrait du document
«
Les passions ont un sens ambigus : dans le langage courant on considère qu'une passion confère du sens à
l'existence.
On entend souvent les gens conseiller à quelqu'un qui s'ennuie dans la vie de se trouver une passion.
La
passion du sport permet au sportif de s'accomplir, d'accepter les multiples inconvénients que cela peut aussi parfois
lui procurer.
Or la passion est tout d'abord un phénomène interne, c'est une émotion de l'âme ou un mouvement
irraisonné qui paralyse le sujet, de sorte qu'on peut affirmer qu'une passion se subit comme l'indique son étymologie
(pathos = subir, souffrir).
De ce fait la passion peut occasionner des troubles en ce sens qu'elle possède
complètement l'agent qui du coup devient patient, car il ne s'appartient plus, car il n'agit plus sous la conduite de la
raison.
Au premier abord la passion apparaît comme étant contraire à la raison, mais cela va-t-il de soi ? Autrement
dit, n'y a-t-il de passion que déraisonnables ? La passion recoupe donc plusieurs sens : d'un côté elle est un moteur
d'action de l'autre elle est ce qui enferme tout sujet.
Faut-il donc affirmer qu'il existe de bonnes et de mauvaises
passions ? En quoi la passion peut-elle s'opposer à la raison ? Peut-on se passer des passions ?
I La condamnation des passions
A : Dans l'Anthropologie d'un point vue pragmatique, Kant montre que la
passion se différencie de l'émotion en arguant que la première jouit d'une
durabilité plus longue.
En effet la passion agit comme une rivière qui creuse
toujours plus profondément son lit alors que l'émotion agit comme une eau qui
rompt la digue.
Mais le point commun entre les deux, c'est qu'elles troubles la
réflexion, qu'elles empêchent de faire un bon usage de sa raison.
Kant affirme
que les passions sont « des gangrènes pour la raison pure pratique ».
Or à la
différence de l'émotion , la passion n'est pas irréfléchie car elle relève d'une
disposition de l'esprit ressortissant à la faculté inférieure de désirer.
Les
passions constituent donc un obstacle pour la morale car elles empêchent le
sujet de déterminer sa volonté par la raison qui est la faculté supérieure de
désirer.
Le sujet qui est soumis aux passions détermine sa volonté par des
inclinations sensibles qui fournissent la matière à l'action morale.
Or chez Kant
une action pour être morale doit être accomplie par respect pour la loi morale
qui est issue de la raison pure pratique.
Par conséquent agir sous l'égide de la
passion c'est déterminer sa volonté par des objets extérieures à celle-ci, ce
qui est pour Kant hétéronomie.
"Les passions, puisqu'elles peuvent se conjuguer avec la réflexion la
plus calme, qu'elles ne peuvent donc pas être irréfléchies comme les
émotions et que, par conséquent, elles ne sont pas impétueuses' et
passagères, mais qu'elles s'enracinent et peuvent subsister en même
temps que le raisonnement, portent, on le comprend aisément, le plus grand préjudice à la liberté ; si
l'émotion est une ivresse, la passion est une maladie, qui exècre toute médication 2, et qui par là est bien
pire que tous les mouvements passagers de l'âme; ceux-ci font naître du moins le propos de s'améliorer,
alors que la passion est un ensorcellement qui exclut toute amélioration." KANT
1.
Introduction
• Ce texte, extrait de l'Anthropologie du point de vue pragmatique, se rapporte au thème de la passion et soulève le
problème de la nature de cette dernière.
La passion, dysfonctionnement majeur, pathologie dangereuse ou
mouvement psychique fécond pouvant porter l'âme vers de grandes choses ?
• Quelle est l'idée directrice de ces lignes? La passion est une véritable maladie de l'âme, portant atteinte à notre
liberté.
• On saisit ce que le texte nous fait gagner, son enjeu: une attitude pratique concernant le jeu passionnel.
Si la
passion est une désorganisation pathologique, nous devons tenter — si possible — de la dominer.
Or, la passion
porte atteinte à la liberté.
Donc la maîtrise de la passion est difficile.
2.
Étude ordonnée
A.
Première grande partie: « Les passions [...] préjudice à la liberté»
Dans cette première partie, Kant souligne que la passion porte atteinte à notre liberté.
Toute cette partie analyse le
mécanisme passionnel et conclut, à partir de l'analyse de ce mécanisme, que passion et liberté sont difficilement
compatibles.
Analysons plus en détail le raisonnement de Kant.
Les passions, définies comme des déséquilibres psychiques intenses et durables, se caractérisent par une certaine
relation à la réflexion, conçue comme retour de la pensée sur elle-même.
L'émotion, au contraire, désigne un
déséquilibre passager et violent, une surprise de l'âme aussi soudaine que momentanée, surprise parfaitement
irréfléchie, c'est-à-dire soustraite à tout retour de l'esprit sur ses opérations.
Par opposition à l'émotion, la passion
peut se conjuguer, c'est-à-dire se combiner et s'unir, avec la réflexion: elle a le pouvoir de se joindre à elle.
La
réflexion de Kant signifie ceci : alors que l'émotion s'élève rapidement à un degré tel de sentiment que la réflexion
devient impossible, la passion est compatible avec l'analyse introspective, le retour de l'esprit sur lui-même et ses
mécanismes.
L'amoureux d'une femme, le passionné du pouvoir, etc.
sont parfaitement en mesure de revenir sur les
sources et origines de leurs passions.
Ainsi, nous avons affaire d'un côté à des mécanismes passagers (émotions).
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