MACHIAVEL: une réputation de bonté
Extrait du document
«
« Un prince doit s'efforcer de se faire une réputation de bonté, de
clémence, de piété, de fidélité à ses engagements, et de justice ; il
doit avoir toutes ces bonnes qualités mais rester assez maître de soi
pour en déployer de contraires, lorsque cela est expédient.
Je pose
en fait qu'un prince, et surtout un prince nouveau, ne peut exercer
impunément toutes les vertus, parce que l'intérêt de sa conservation
l'oblige souvent à violer les lois de l'humanité, de la charité et de la
religion.
Il doit être d'un caractère facile à se plier aux différentes
circonstances dans lesquelles il peut se trouver.
En un mot, il lui est
aussi utile de persévérer dans le bien, lorsqu'il n'y trouve aucun
inconvénient, que de savoir en dévier, lorsque les circonstances
l'exigent.
Il doit surtout s'étudier à ne rien dire qui ne respire la
bonté, la justice, la bonne foi et la piété ; mais cette dernière qualité
est celle qu'il lui importe le plus de paraître posséder, parce que les
hommes en général jugent plus par leurs yeux que par aucun des
autres sens.
Tout homme peut voir ; mais il est donné à très peu
d'hommes de savoir rectifier les erreurs qu'ils commettent par les
yeux.
On voit aisément ce qu'un homme paraît être, mais non ce
qu'il est réellement; et ce petit nombre d'esprits pénétrants n'ose
contredire la multitude, qui d'ailleurs a pour elle l'éclat et la force du
gouvernement.
Or, quand il s'agit de juger l'intérieur des hommes, et
surtout celui des princes, comme on ne peut avoir recours aux
tribunaux, il ne faut s'attacher qu'aux résultats; le point est de se
maintenir dans son autorité; les moyens, quels qu'ils soient, paraîtront toujours honorables, et seront
loués de chacun.
Car le vulgaire se prend toujours aux apparences, et ne juge que par l'événement.
»
MACHIAVEL
Le « prince » ne désigne pas seulement le fils du roi, mais tout individu possédant le pouvoir suprême dans un
État.
Le « vulgaire » ne désigne pas celui qui se comporte de façon grossière, mais celui qui n'a rien qui le
distingue des autres, le commun des hommes, « l'homme moyen » cité au début.
Ce n'est pas un hasard si le texte est encadré par ces deux notions.
Il donne en effet des conseils au prince, de
telle sorte qu'il puisse garder son pouvoir.
Mais ce pouvoir s'exerce sur des hommes communs, ayant des défauts
et des attentes spécifiques, dont il faut tenir compte pour affermir ce pouvoir.
Il s'agit de bien peser les termes utilisés par l'auteur pour décrire les « qualités » psychologiques ou morales du
prince, car elles ont toutes un rapport avec la fonction politique du souverain, ou bien avec l'idée que le peuple
s'en fait.
La politique apparaît dans ce texte comme un art difficile, détaché des exigences morales du fait de la nécessité
d'être pragmatique et efficace, parfois totalement cruel.
Le souverain ne doit pas être sage, ou irréprochable
moralement, mais rusé et disposé à des compromis, y compris avec la morale et la vérité.
Peut-on gouverner de façon satisfaisante si l'on se montre toujours juste et sincère ? Quelles qualités faut-il
posséder ou acquérir pour être au pouvoir ? La politique doit-elle être dissociée de la morale et de la vérité ?
Machiavel rompt ici avec l'idéal antique que la politique doit améliorer les hommes, en étant pratiqué par des êtres
meilleurs que les autres du point de vue de la morale.
Il prend appui sur les hommes tels qu'ils sont, et non tels
qu'ils devraient être.
Le Prince est le souverain d'une cité, le chef de l' État.
— La fin majeure de son action, telle qu'elle est définie ici, c'est l'union des sujets, la paix civile, un ordre social
sûr.
— Pour atteindre ces buts, le Prince ne doit pas hésiter à mettre en oeuvre les moyens nécessaires.
Il peut ainsi
arriver que la cruauté soit politiquement nécessaire.
Intelligemment utilisée, elle permet finalement d'éviter des
désordres bien plus graves..
»
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