L'exercice de la réflexion suppose-t-il le rejet de toute croyance ?
Extrait du document
«
INTRODUCTION
Il est fréquent de souligner que la croyance est toujours irrationnelle, c'est-à-dire peu ou mal fondée.
Au contraire,
la réflexion se veut à l'écart de tout sentiment, entièrement traversée par une exigence logique.
Si les deux
attitudes semblent ainsi opposées, doit-on en déduire que l'exercice de la réflexion suppose le rejet de la croyance?
DÉVELOPPEMENT
I.
La croyance n'a pas besoin de raisons
— La vraie croyance — notamment religieuse — est «aveugle» ou se passe de raisons : « Credo quia absurdum »
(saint Augustin), et Kierkegaard le répète.
Je crois parce que
c'est absurde.
Saint
Augustin
Cette phrase définit la foi.
Nous n'avons nulle preuve de
l'existence de Dieu.
Croire en Dieu (ou n'y pas croire) relève
d'un choix d'existence mais qui reste infondable en raison.
Dans une perspective fidéiste, au contraire, on ne peut accéder à une vérité religieuse que par la seule foi sans
aucun recours à la raison : celle-ci éloigne de Dieu.
Aussi , le croyant doit totalement s'abandonner aux seules
principes de la Révélation .
« La foi est différente de la preuve : l'un est humaine, l'autre est un don de Dieu »
(Pascal).
C'est sur le terrain de la raison que la raison a raison et, s'il n'y a rien en
dehors d'elle, elle est réponse à tout (« Tout le réel est rationnel et tout le
rationnel est réel »).
A tel point qu'elle ne pourrait tenter de se nier qu'en
s'affirmant.
Mais peut-elle rendre raison d'elle-même ? Le croire serait
s'engager dans un processus de régression à l'infini, dont on ne peut sortir
que par un saut hors de la raison...
un acte de foi dans la raison...
tout à fait
irrationnel.
Il n'y a pas de raison de la raison.
Et si la raison trouve sa limite
dans une réflexion sur son fondement, elle en rencontre une autre en se
heurtant à l'existence.
Kant avait bien montré que l'existence, absolue
position d'une chose, échappe à toute démonstration, mais il persistait à
aligner l'existence du sujet éthique sous l'universalité de la raison pratique (le
devoir).
Le sujet, de Descartes à Hegel, n'est qu'une abstraction qui ôte à
l'existence son existence : tel est le point de départ de la révolte de
Kierkegaard contre le rationalisme.
La conversion à l'existence est l'acte par
lequel le peseur subjectif se détourne de l'universalité des règles de la raison
uniformisant les règles de vie, pour se penser comme individu, « être
particulier existant, qui prend la décision absolue sur le plan de l'existence »
(« Post-Scriptum...
»).
La vérité de l'existence humaine est toute entière
dans le sens que lui assigne le choix subjectif de l'individu.
Si chez l'animal,
l'espèce est plus importante que l'individu, car celle-ci impose en quelque
sorte à celui-là ses règles.
Chez l'être humain, l'individu prévaut sur l'espèce
qui ne décide pas pour lui.
L'individu doit choisir pour son propre compte sans
pouvoir se dérober.
L ‘homme n'a donc pas un existence spéculative mais concrète et c'est dans et par cette
confrontation concrète aux « possibles » que l'homme donne forme à sa singularité et devient par là même un
« individu ».
Mais l'individu paie cette liberté du choix par l' « angoisse » qui est sentiment de malaise devant
l'inconnue de la possibilité.
L'existence est possibilité cad « angoisse ».
Et c'est cette vérité subjective que
recherche Kierkegaard dans les « Etapes sur le chemin de la vie ».
Or la leçon que donne l'existence de la
raison est qu'elle ne se plie pas à ses exigences.
Elle est par essence paradoxale, car chaque vérité existentielle a
sa contrevérité, non moins vraie qu'elle[1].
Ainsi, l'homme esthétique qui a choisi l'aventure, la jouissance
instantanée fera l'amère expérience de l'insatisfaction.
Pour avoir placé le définitif dans l'instant, sa vie ne sera
qu'un temps vide, car il faut que l'instant meure pour que l'instant naisse.
Avec le juif errant et Faust, Don Juan
sera la figure de l'existence esthétique oscillant entre le plaisir immédiat et le désespoir.
Pour avoir choisi de ne pas
s'attacher, Don Juan, de conquête en conquête, ne connaîtra que des échecs, sa victime se dérobe au moment
même où elle s'abandonne et la femme en soi n'est jamais possédée.
Pour lui, chaque femme représente une
possibilité d'existence.
Mais il choisit de ne pas choisir et reste suspendu entre toutes les possibilités qu'offrent ses
conquêtes.
A les vouloir toutes, Don Juan sombre dans l'angoisse du rien du tout, de la vacuité.
Puisque l'instant
est son plaisir, son plaisir ne dure qu'un instant.
Vivant en prédateur et non en constructeur, Don Juan ne peut
jouir que dans l'instant et le particulier et non dans le général et le durable.
A courir trop de proies, le chasseur ne
revient qu'avec l'ombre.
L'ironie –présence implicite de l'éthique dans l'esthétique- peut permettre à l'individu
d'échapper à cette existence inconsistante pour se convertir à l'existence éthique.
L'ironie, définie comme la
plaisanterie derrière le sérieux, lui fera prendre conscience que la liberté du vide n'est qu'un vide de liberté.
Et que le
choix est nécessaire, car il est le facteur le plus puissant d'individualisation de sa personnalité.
La volonté de
l'homme éthique pose le bien et le mal en s'opposant à la velléité de l'homme esthétique.
L'instant qui représentait
tout pour l'esthète n'était rien puisqu'il ne servait pas à faire un choix essentiel, existentiel et décisif mais à
maintenir l'individu entre différents possibles.
L'éthicien, homme de bonne volonté, soumet l'existence à l'unité de la.
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