l'évidence du «je» implique-t-elle la dualité de l'âme et du corps ?
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Introduction
-Le "je", c'est la reprise réflexive de la pensée sur elle-même, dans son activité propre de penser.
Le "je", qui est l'évidence par la
pensée de sa propre effectuation, met dans directement en prise la pensée avec elle-même.
Cela suppose que par l' ego on a d'abord
prise sur notre esprit avant d'en avoir une sur notre corps.
-Or, cette emprise directe de l'âme sur elle-même n'implique pas nécessairement sa séparation ni même sa supériorité par rapport au
corps, si l'on conçoit une théorie naturaliste selon laquelle la pensée constitue elle-même une activité propre au corps.
Dans cette
perspective, l'évidence du "je" n'impliquerait rien d'autre qu'une reprise de l'âme par elle-même, mais cette reprise étant elle-même
comprise comme "naturelle" ou "corporelle"
-Comment est-il donc possible de dépasser le dualisme entre l'âme et le corps à partir de la conscience de soi ? Ce dépassement n'estil possible que par la supériorité de l'un des deux membres de la relation sur l'autre ? Ou bien peut-on dépasser ce dualisme en en
instaurant un autre, plus fondamental, qui ne recoupe pas celui de l'âme et du corps ?
I.
La méthode qui part du point de vue de la conscience aboutit au dualisme (Descartes).
Dans la recherche d'un fondement absolu de vérité, nous devons douter de tout, même de notre propre corps ; or, la première
certitude à laquelle nous parvenons est celle de notre propre conscience : "Je pense, je suis" (Discours de la Méthode) ; l'ego
cartésien constitue donc notre première certitude : l'individu est sa propre conscience, il est un "moi".
Cette identité première constitue
la certitude première à partir de laquelle peut s'édifier l'édifice du savoir théorique.
Le Je est ainsi saisi sur le mode de l'évidence
intuitive : je suis l'acte même de me saisir moi-même au sein de cet acte.
Le Je est explicitement identifié à la conscience par
Descartes (Principes de philosophie) : être conscient, c'est se saisir soi sous la forme du Je.
La conscience est identifié à la substance
pensante, par opposition à la res extensa, que constitue le corps : se saisir soi sur le mode de la conscience, c'est se saisir comme
essentiellement opposé à ce qui n'est pas pensée.
En partant de l'évidence de la conscience, on ne peut donc aboutir qu'à l'idéalisme
dualiste.
II.
Néanmoins, dans l'hypothèse naturaliste, la conscience est ressaisie sur le mode d'un monisme fondamental, celui
de la vie ou du corps (Nietzsche).
L'homme est intrinsèquement naturel, au sens où son être est intégralement déterminé par les forces obscures de la nature.
Nietzsche
distingue le "moi" du "soi" : le "moi", c'est l'homme tel qu'il se perçoit lui-même, comme conscience libre ; le "soi", c'est la force
naturelle qui est à l'oeuvre, de façon inconsciente, au sein même du moi.
En ce sens, le soi dirige partout le moi, il en constitue la
cause secrète de son action.
Le "moi" cartésien n'est donc pas transparent à lui-même, puisqu'il n'est pas à lui-même son propre
fondement.
Nietzsche fait de la substance égologique cartésienne l'influence fallacieuse d'une illusion grammaticale, celle qui consiste à
toujours penser le sujet de l'action comme séparée de l'action et comme la sous-tendant nécessairement.
Ainsi, l'on pense qu'à toute
pensée doit correspondre un sujet qui pense cette pensée ; or, selon Nietzsche, il n'y a précisément pas de substance pensante sous la
pensée, mais seulement une pensée dictée par des forces qui débordent la conscience : l'homme n'est donc pas sa propre conscience
de soi, son "essence" déborde, et de loin, cette prétendue conscience translucide.
L'hypothèse naturaliste démystifie donc le dualisme
idéaliste, en montrant que la conscience n'est pas à elle-même son propre fondement.
III.
En partant de la conscience, on peut aboutir à un dualisme ontologique, autrement plus fondamental que le
dualisme idéaliste (Sartre).
L'égoïté ne constitue pas la vérité de mon être.
Car la vérité de mon être, c'est la conscience, la conscience absolue qui surplombe le
monde et qui le révèle à lui-même comme monde pour moi.
Or, ce "moi", ce "je", n'est que la saisie de la conscience par elle-même
sur le mode de la réflexion : je suis ce que je me saisis comme tel, mais cette saisie ne se fait jamais que par l'intermédiaire d'un "je"
réifié.
Si la conscience n'est pas le "je", c'est parce que ce "je" appartient à la sphère mondaine extérieure à la conscience elle-même :
d'où une séparation ontologique fondamentale entre l'en-soi et le pour-soi.
La conscience est le pour-soi, et ce qui n'est pas elle, c'està-dire précisément tout (mais ce tout doit précisément être pour elle), appartient à la sphère ontologique de l'en-soi, dont précisément
le "je".
L'évidence égologique, qui n'est plus celle de la conscience, nous mène donc à un dualisme ontologique fondamental qui
dépasse celle de l'âme et du corps, puisque cette "âme" (si on la considère comme une entité psychologique) est constituée de la
même "étoffe" ontologique que le corps, précisément.
En partant de l'évidence de la conscience réflexive, on aboutit à une conscience
immédiate qui la coupe radicalement de tout, même d'elle-même en sa reprise réflexive.
C'est pourquoi le dualisme ontologique
précède et rend possible le dualisme entre l'âme et le corps, tout en le contestant, sur le plan purement ontologique.
Conclusion
-En partant de l'évidence égologique, il semble nécessaire d'aboutir à une position idéaliste, qui implique le dualisme entre l'âme et le
corps.
-Néanmoins, ce dualisme peut être réfuté et être ramené à un monisme, si l'on part d'une thèse naturaliste qui réduit la conscience à
une réalité corporelle ou "vivante" qui la fonde.
-Mais le vrai dépassement de ce dualisme ne passe précisément pas par la considération de l'un des deux termes de la relation ; car
en partant de l'évidence égologique, on peut aussi parvenir à une réalité qui la dépasse et la fonde, à savoir celle de la conscience
absolue, qui se sépare radicalement de toute considération égologique ou psychologique.
En ce sens, l'âme et le corps font partie d'une
même réalité ontologique, celle des réalités mondaines extérieures à la pure conscience, et qui sont ce qu'elles sont ; à cette réalité
s'oppose en la révélant celle du pour-soi, par laquelle tout en-soi prend sens pour une conscience.
Ainsi, l'âme et le corps sont des
êtres qui sont révélés à eux-mêmes par un autre type d'être, "autre" précisément parce qu'il n'est pas purement un être, mais une
puissance négatrice de l'être : la conscience, c'est ainsi moins ce qui sépare l'âme et le corps que ce qui les réunit au sein d'une même
opposition à sa propre réalité..
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