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L'État doit-il être bienveillant ?

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« L'État bienveillant est celui qui cherche à assurer le bonheur du peuple (un état de satisfaction complète).

Le candidat montrera que le rôle de l'État est de garantir la liberté politique, autrement dit le pouvoir d'agir sous la protection des lois, et non de veiller au bonheur de ses sujets. L'amour de l'État pour le peuple est, au premier abord, séduisant.

Mais l'histoire montre que le paternalisme est, au fond, l'alibi du despotisme.

Le bonheur est une affaire personnelle.

Il appartient à chacun de le chercher dans la voie qui lui semble, à lui, être la bonne, pourvu qu'il ne nuise pas à la liberté d'autrui.

Le bonheur étant une chose subjective, l'État ne peut décider en quoi consiste le bonheur et ne peut contraindre personne à être heureux. L'État bienveillant ne peut qu'empêcher l'accès du peuple à la majorité.

C'est ce que souligne Kant: « Un gouvernement qui serait fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, tel celui du père envers ses enfants, c'est-à-dire un gouvernement paternel, où par conséquent les sujets, tels des enfants mineurs incapables de décider ce qui leur est vraiment utile ou nuisible, sont obligés de se comporter de manière uniquement passive, afin d'attendre uniquement du jugement du chef de l'État la façon dont ils doivent être heureux, et uniquement de sa bonté qu'il le veuille également, - un tel gouvernement, dis-je, est le plus grand despotisme que l'on puisse concevoir » (Doctrine du droit, chap.

II, section 1, § 49, trad.

Barni). Alexis de Tocqueville (1805-1859), imaginant sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde, voit des hommes vivant repliés sur la sphère familiale, préoccupés uniquement par de petits et vulgaires plaisirs, et au-dessus d'eux un pouvoir immense et tutélaire, « qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort ».

Il montre alors que l'État protecteur, paternel, ne peut que maintenir les hommes dans l'enfance et l'irresponsabilité : I.

L'Etat-Providence. C'est Tocqueville qui le premier sans doute, s'avisa de situer l'origine de l'État-Providence dans l'Ancien Régime. Selon lui la construction de l'État a eu des effets pervers, car en dépossédant de leurs pouvoirs toutes les instances qui pouvaient lui faire obstacle, l'Ancien Régime a habitué les individus à fuir les responsabilités qu'ils ont dès lors délégué en totalité aux pouvoirs publics.

Comme il le rappelle avec force: « le gouvernement ayant pris la place de la providence, il est naturel que chacun l'invoque dans ses nécessités particulières».

Tantôt ce sont les agriculteurs qui attendent de l'État le moyen d'améliorer les récoltes; en d'autres occasions les industriels qui exigent une limite à la concurrence si elle ne leur est pas favorable; et comble d'ironie, les nobles qui prient l'État de maintenir les privilèges qu'ils n'ont plus la force ou le courage de défendre.

On pourrait croire que la Révolution allait mettre un terme à une tendance si contraire à l'idée de citoyenneté, mais pour Tocqueville, bien loin d'en interrompre le cours, le régime démocratique l'aurait renforcé plutôt, jusqu'à abolir chez les individus la peine de penser et même de vivre. Le constat de Tocqueville est sévère, quelque peu partisan sans doute, et assurément excessif; car s'il est indéniable que l'origine de l'État-Providence s'est confondue avec une volonté de contrôle social, il ne s'ensuit pas que le contrôle social en constitue le fondement.

Devenu suffisamment fort pour réfléchir le sens de son pouvoir, l'État s'est en effet efforcé de donner à ses multiples interventions une légitimité qui ne devait plus rien à la volonté de dominer.

S'il ne se contente pas de maintenir l'ordre mais entreprend de l'aménager, c'est qu'il doute de la capacité de la société civile à réaliser par ses seules forces l'harmonie sociale à laquelle elle prétend.

Loin de former une totalité homogène, la société civile est constituée de volontés particulières qui comme telles sont motivées par des intérêts qui s'entrechoquent aveuglément plus qu'ils ne s'harmonisent rationnellement.

Chacun poursuivant son intérêt particulier obéit à la logique de ce qui le valorise sans s'inquiéter des conséquences de son action sur le corps social.

A supposer qu'une pénurie d'essence menace la société, chacun voudra au mépris des autres s'en procurer au plus vite, précipitant par là même la pénurie qui aurait pu être différée par une répartition équitable du carburant.

En d'autres termes, la société civile est aveugle parce que sa rationalité vise des objectifs à court terme et non des fins qui en réfléchissent le sens et la valeur.

C'est précisément dans la mesure ou il n'est pas soumis à des intérêts particuliers mais qu'il les transcende que l'État peut être défini par Hegel comme l'incarnation de la Raison.

Rationnel, il ne l'est pas seulement parce qu'il refuse de céder à l'intérêt immédiat, qu'il émane du corporatisme ou de l'opinion publique, mais parce qu'il amène souvent contre l'une et l'autre, les intérêts particuliers à servir l'intérêt général. Aveugle, la société civile l'est tout autant lorsqu'elle affirme que les inégalités ne sont pas des injustices.

Pour qu'il en soit ainsi, il faudrait que l'égalité de droit se double d'une égalité de fait qui offre à chacun les mêmes chances de faire valoir ses intérêts.

Le libéralisme le suppose, mais rien n'est moins sûr; car fort de la place qu'il occupe dans la société, ou favorisé par les informations qu'il possède sur l'état du marché, chacun sera tenté d'imposer à autrui un échange qui ne lui sera pas favorable, en sorte que l'avantage du premier sera toujours payé par les pertes du second.

Si on est théoriquement libre de refuser un emploi qu'on estime injustement rémunéré, notre refus nous engage plus que l'employeur, car celui-ci pourra toujours trouver un individu que la nécessité poussera à accepter les conditions qu'on aura déclinées.

Si l'employeur peut faire jouer la concurrence, l'employé est plutôt contraint de la subir. L'harmonie des intérêts dissimule par conséquent un conflit que l'égalité formelle des échanges ne suffit pas à dissiper.

C'est pourquoi les individus auront tendance à demander à l'Etat de tempérer les rigueurs du marché dès lors qu'ils risquent d'en être les victimes.

En ce sens, l'État intervient non seulement pour préserver les règles de la concurrence, mais aussi pour corriger les inégalités qui empêchent les plus défavorisés d'y faire face, car s'il est persuadé que les individus sont bien égaux en droit, il ne tient pas du tout pour acquis qu'ils le soient en fait. Comment d'ailleurs en serait-il autrement ? Si on soutient que les lois du marché sont naturelles, on ne voit pas en effet que la nature qui est dépourvue d'intentions, soit à même de produire la justice sociale dont l'existence dépend. »

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