Les passions sont-elles naturelles ?
Extrait du document
«
problématique: La passion se situe dans l'affectivité et est généralement qualifiée de désir né d'un manque.
Elle se
caractérise par la focalisation de la conscience sur un objet au détriment de tout le reste et implique un état de
dépendance.
Elle semble liée à la nature de l'homme et pourtant on l'associe souvent au dérèglement et à la
maladie.
Au lieu de persévérer dans son être, l'homme contiendrait en lui la source de sa destruction.
Dès lors, on
peut se demander si les passions sont naturelles ou contre-nature?
I) La source naturelle des passions
- Selon Descartes dans le Traité des passions, tout ce qui n'est pas la
manifestation de l'activité volontaire est considéré comme passion.
Cette
force subie par l'âme correspond à l'action exercée par les « esprits animaux »
et ainsi à l'esclavage de l'âme par le corps.
Les passions sont des réactions
affectives de l'individu à certains objets et renvoient aux besoins et aux
tendances.
Elles se greffent sur les tendances qui ont une base biologique
comme par exemple l'amour qui est lié à la sexualité.
- Cependant si il est vrai qu'un être désincarné ne pourrait éprouver aucune
passion, on ne saurait expliquer totalement celle-ci à partir du corps.
L'animal
qui bien plus que nous est esclave de son corps, ignore les passions.
La
passion serait le propre de l'homme et correspondrait plutôt à un phénomène
psychologique complexe qui ne saurait se réduire à une explication purement
physiologique.
L'avarice, par exemple, est une passion abstraite qui exige le
concours de l'intelligence et de l'imagination humaine.
En effet, l'avare se
prive de tout pour accumuler de l'or, des richesses virtuelles qui représentent
des moyens de dépenses possibles.
- La psychanalyse voit la passion comme une force étrangère qui s'empare du
passionné, et se déploie « en lui, sans lui et malgré lui ».
L'origine de la
passion n'est donc plus ici biologique mais psychologique et même
inconsciente.
Dans son Désir d'éternité, Ferdinand Alquié explique que les
passionnés, « prisonniers d'un souvenir ancien qu'ils ne parviennent pas à évoquer à leur conscience claire sont
contraints, par ce souvenir, à mille gestes qu'ils recommencent toujours ».
Ainsi, Don Juan est si certain de ne pas
être aimé, que toujours il séduit et refuse de croire à l'amour qu'on lui porte, le présent ne pouvant lui fournir la
preuve qu'il cherche en vain pour guérir sa blessure ancienne.
Dans « le Désir d'éternité » (1943), Alquié distingue précisément la passion passive et la passion active :
1 — La passion passive est caractérisée par le refus du temps.
Le passionné est l'homme qui préfère le présent
immédiat au futur de sa vie.
« Pour l'ivrogne, l'essentiel est de boire sur-le-champ, pour l'amoureux de retrouver sa
belle au plus tôt, pour le joueur de courir au casino.
Mais demain, voici l'amoureux au désespoir, l'ivrogne malade, le
joueur ruiné.
Ils ont sacrifié leur bonheur aux sollicitations immédiates, ils n'ont pas su se penser avec vérité dans le
futur ».
Cette négation du temps comme avenir est ce que Alquié appelle « le désir d'éternité ».
Or c'est du passé
que le présent tient sa puissance de fascination, dans cette forme de passion.
Elle est égocentrisme et résurgence
du passé.
Le passionné aime dans l'objet de sa passion le symbole de son passé : l'avarice a souvent pour cause
une crainte infantile de mourir de faim, l'amoureux projette sur la femme qu'il aime l'image du visage qui se penchait
sur son berceau etc.
De là cette « joie d'enfant » du passionné adorant l'objet passionnel.
Étant refus du temps, la
passion passive est vouée à
l'inefficacité.
2 — La passion active est unité de l'esprit et volonté réalisatrice.
Elle retrouve le sens du futur comme lieu de son
action, elle est autonomie du sujet.
Par exemple, loin d'être infantile, possessif et cruel comme l'amour-passion,
l'amour-action sera oubli de soi, effort pour assurer l'avenir des êtres aimés, charité.
— La différence nettement établie enfin entre les deux genres de passions est inséparable, comme on le voit, du
plan moral.
Au fond la différence est surtout entre l'égoïsme des unes et l'altruisme des autres.
L'ambition est
pensée du futur et sera pourtant rangée dans les passions passives, mais si cette ambition prend la forme de la
passion de la science, elle risque d'être rangée dans les passions actives.
La vraie différence est bien, comme le
disait Descartes, dans l'utilisation de ce dynamisme passionnel aveugle qui est tantôt inefficace, tantôt utilisé, selon
le sentiment au service duquel il est et selon qu'il exclut ou intègre le discernement des valeurs.
II) La passion contre-nature : le dérèglement
- Les passions ne semblent pas être naturelles dans la mesure où elles ne sont pas innées.
En effet si la passion
était naturelle et spontanée pour l'homme, tout le monde serait passionné, ce qui n'est évidemment pas le cas
lorsque l'on regarde autour de nous.
Nous ne vivons pas dans une société de passionnés, bien au contraire, c'est la
raison qui domine et de plus, on rattache souvent la passion au désordre, à la maladie.
Elle est généralement vue
comme le dérèglement de la norme naturelle et à ce titre, beaucoup de moralistes l'ont condamnée.
Alors que le
sentiment, en tant que fixation d'une tendance sur un objet, est « régulateur de l'action » selon Jarnet, la passion
au contraire est source de désordre.
Elle constitue un sentiment devenu tyrannique, exclusif.
Par la polarisation du
psychisme sur un seul objet, la passion apparaît donc comme un trouble de cette fonction de valorisation du monde
qu'est le sentiment..
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