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Léon Trotski

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" Je ne connais pas de tragédie personnelle. Je ne connais que la substitution d'un chapitre de la révolution à un autre ".       Eh bien, si, une tragédie personnelle. Rien, par chance d'ailleurs pour l'honneur personnel de Trotski, rien qu'une tragédie mineure, ne tirant pas à conséquence pour l'Histoire ­ celle dont on prétend qu'elle a un sens. Ou plutôt, en toute équité, une tragédie qui n'a de sens que pour un petit groupe et, par-delà ce groupe, pour ceux, individus ou catégories, qui, de fondation, se trouvent à quelque époque que ce soit, dans la situation où était Trotski.       Certes, Trotski fut sans conteste de 1917 à 1920 une figure majeure de la Révolution d'Octobre. Expulsé de France en 1916, conduit à la frontière espagnole, envoyé sous escorte à Cadix, embarqué sur un navire en partance pour les États-Unis où il arrive en janvier 1917, c'est à New York qu'il apprend quelques semaines plus tard que la révolution a éclaté à Petrograd. Il reprend la mer tout aussitôt, le 21 mars : encore un bref contretemps quand les autorités anglaises d'Halifax le jettent au passage dans un camp de prisonniers allemands et, libéré le 29 avril, le voici à Petrograd le 17 mai. Arrêté encore le 23 juillet au lendemain des " Journées de juillet " et jusqu'au 4 septembre, date du putsch manqué de Kornilov, il devient président du Soviet de Petrograd (23 septembre), président du Comité Militaire Révolutionnaire (9 octobre) chargé de préparer l'insurrection décisive. Après la prise du pouvoir par les Bolcheviques, le 7 novembre, on le verra successivement commissaire du Peuple aux Affaires étrangères jusqu'au traité de Brest-Litovsk (3 mars 1918), puis commissaire à la Guerre et président du Conseil Militaire Suprême : créateur de l'Armée Rouge, il est, de son fameux train, l'artisan de la victoire après trois ans d'une atroce guerre civile.     

« Léon Trotski " Je ne connais pas de tragédie personnelle.

Je ne connais que la substitution d'un chapitre de la révolution à un autre ". Eh bien, si, une tragédie personnelle.

Rien, par chance d'ailleurs pour l'honneur personnel de Trotski, rien qu'une tragédie mineure, ne tirant pas à conséquence pour l'Histoire celle dont on prétend qu'elle a un sens.

Ou plutôt, en toute équité, une tragédie qui n'a de sens que pour un petit groupe et, par-delà ce groupe, pour ceux, individus ou catégories, qui, de fondation, se trouvent à quelque époque que ce soit, dans la situation où était Trotski. Certes, Trotski fut sans conteste de 1917 à 1920 une figure majeure de la Révolution d'Octobre.

Expulsé de France en 1916, conduit à la frontière espagnole, envoyé sous escorte à Cadix, embarqué sur un navire en partance pour les États-Unis où il arrive en janvier 1917, c'est à New York qu'il apprend quelques semaines plus tard que la révolution a éclaté à Petrograd.

Il reprend la mer tout aussitôt, le 21 mars : encore un bref contretemps quand les autorités anglaises d'Halifax le jettent au passage dans un camp de prisonniers allemands et, libéré le 29 avril, le voici à Petrograd le 17 mai.

Arrêté encore le 23 juillet au lendemain des " Journées de juillet " et jusqu'au 4 septembre, date du putsch manqué de Kornilov, il devient président du Soviet de Petrograd (23 septembre), président du Comité Militaire Révolutionnaire (9 octobre) chargé de préparer l'insurrection décisive.

Après la prise du pouvoir par les Bolcheviques, le 7 novembre, on le verra successivement commissaire du Peuple aux Affaires étrangères jusqu'au traité de Brest-Litovsk (3 mars 1918), puis commissaire à la Guerre et président du Conseil Militaire Suprême : créateur de l'Armée Rouge, il est, de son fameux train, l'artisan de la victoire après trois ans d'une atroce guerre civile. Seuls les manuels staliniens de la pire période ont donc dérisoirement effacé le rôle primordial de Trotski : celui-ci fut, après Lénine, l'homme clef qui, à l'heure cruciale, sut exploiter et maîtriser la conjoncture pour qu'en puisse jaillir un nouveau pouvoir capable de s'asseoir durablement. Après LénineP190.

Avec le goût de la vérité qui le caractérise quand il ne se croit pas le devoir, par esprit de parti, d'être de mauvaise foi, Trotski lui-même, un jour de mars 1935 où, dans la petite ville française de Domène, la solitude et l'impuissance réduisent ce journaliste à n'écrire que son propre journal, refuse de céder à quiconque la seconde place qu'il estime lui revenir dans l'instauration du pouvoir soviétique : " Si je n'avais été présent en 1917 à Pétersbourg, la Révolution d'OctobreKW164 aurait quand même eu lieu pourvu que LénineP190 ait été là pour diriger.

Si ni LénineP190 ni moi n'avions été à Pétersbourg, il n'y aurait pas eu de Révolution d'OctobreKW164...

" Mais comment ne pas observer que cette place majeure, Trotski qui, né le 26 octobre 1879 dans la province ukrainienne de Kherson, meurt dans sa soixante et unième année, assassiné le 10 août 1940 à Coyoacan, banlieue de Mexico ne l'occupe que les cinq fulgurantes années où la Révolution se trouve dans sa phase proprement révolutionnaire : dans cette période qui, après la rupture de l'ordre russe ancien et l'effondrement brutal du régime impérial, se caractérise par l'irruption au centre de tout ce qui se tenait jusque-là à la périphérie sociale et politique, avant que ne se reconstitue un nouveau centre par sélection, au sein de l'ancienne périphérie, de la fraction à vocation majoritaire. On peut d'ailleurs se demander si Trotski n'avait pas pressenti que sa rencontre avec l'Histoire ne pouvait avoir lieu qu'en temps de révolution, qu'il ne pouvait assurer sa prise sur les hommes et les choses que dans le moment où les hommes et les choses perdaient leurs règles et leur ordre : ne serait-ce pas dès lors ce qui l'aurait conduit à chercher désespérément à prolonger, pérenniser cet instant ? Il y a en tout cas quelque chose de profondément logique dans le fait que l'apport théorique original de Trotski et le ressort du trotskisme, considéré comme une variété de tempérament révolutionnaire, se soient finalement identifiés de révolution permanente dont on a d'ailleurs souvent perdu de vue le contenu spécifique et concret pour n'en retenir que la dénomination et la signification littérales. Hors cet intervalle où, de la déconstruction de la Russie à la restauration de l'ordre soviétique, il oeuvra magistralement pour le compte d'une entreprise qui s'avéra ne pas être exactement celle à laquelle il croyait travailler, Trotski ne fut qu'un marginal.

On peut le vérifier en observant successivement ses lieux de résidence, ses comportements et ses choix politiques. Ses lieux de résidence : deux courts moments, Trotski vit au centre, là où les choses se passent, dans la capitale.

Bien entendu, les deux fois, c'est en 1905, à Saint-Pétersbourg, pendant la première révolutionP327M3 et en 1917, à Petrograd puis Moscou pendant la seconde.

Tout le reste de sa vie, Trotski le passe sur les confins.

Confins de l'empire russe : sa jeunesse et son adolescence, après avoir quitté à neuf ans l'obscur village de la steppe méridionale où les Juifs avaient reçu l'autorisation de s'installer comme colons agricoles, Trotski les vit à Odessa et à Nikolaïev d'où en 1900 il est déporté en SibérieP327M2 : il n'aura alors demeuré à Moscou que six mois en 1899 encore est-ce en prison à l'occasion d'un transit. C'est encore aux confins de l'empire en Kirghizie, dans la ville d'Alma-Ata que, de janvier 1928 à janvier 1929, s'écoule sa dernière année en terre soviétique avant l'exil définitif.

Confins de l'Europe et du monde : quand, en 1902, il s'échappe de Sibérie et par Irkoutsk, puis l'Ukraine, gagne Londres, il sillonne un moment l'Europe sans se fixer nulle part.

Genève, Munich, Paris ne l'accueillent que pour une conférence ou un meeting. C'est à Vienne qu'il s'installe de 1908 à 1914.

Encore est-ce la période relativement heureuse où l'émigration russe, même importunée par la police du tsar, peut aisément s'établir dans les grandes villes d'Europe occidentale et centrale, où les ressources en hommes, en moyens d'information, en occasions professionnelles, en institutions culturelles sont abondantes.

Au contraire, quand, en 1929, dans ces temps de la montée des fascismes et des démocraties apeurées, commencent les dernières tribulations, c'est plus loin, toujours plus loin du centre, ou des centres, qu'il faut aller : Turquie, Norvège, Mexique.

Tous les efforts que Trotski et ses partisans déploient pour obtenir l'autorisation de séjour dans un pays moins décentré comme la France échouent. De là l'énorme place, la place dévorante que prennent progressivement dans sa vie les instruments de transmission : tout ce qui le relie aux centres, les lettres, les télégrammes, les secrétaires.

C'est d'ailleurs par là qu'on peut l'atteindre : n'est-ce pas en devenant l'amant d'une de ses secrétaires qu'un agent de la GuépéouKW090, Ramon Mercader, peut entrer en rapport avec lui et l'abattre d'un coup de piolet dans son cabinet. »

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