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Le travail permet-il à l'homme de s'humaniser ?

Extrait du document

« Travailler pour s'humaniser ? Travailler pour le seul argent ? pour le seul profit ? À la réflexion, cette position paraît bien réductrice, et bien partielle.

Elle ne prend nullement en compte les données d e l'anthropologie, la signification du travail dans l'élaboration d e la personnalité humaine.

En vérité, on ne saurait travailler pour le seul profit ; au contraire, peut-être bien nous faut-il travailler...

pour travailler, c'est-à-dire pour nous édifier véritablement.

Ici, le travail acquiert une autre signification : il devient une construction de formes signifiantes, une édification de nous-mêmes : une genèse de la personnalité. L'homme ne saurait se contenter de travailler en vue du seul gain.

Qu'est-ce qui, en effet, le rend véritablement heureux ? C'est la contemplation objective d e lui-même dans le monde.

Quand l'homme aperçoit, dans les choses objectives, sa propre conscience extériorisée, il expérimente une forme de liberté qui l'arrache à son immédiateté biologique.

Il accède à la véritable humanité.

L'homme est, en effet, un être pensant.

Or, en travaillant et en changeant les choses extérieures, il retrouve sa pensée dans le monde.

Il ôte aux choses leur caractère farouchement étranger et les marque du sceau de la pensée.

Travailler pour le seul gain ? Non point, mais pour contempler la pensée inscrite dans les choses.

C'est ce que Hegel nous a magnifiquement montré, en particulier dans La Phénoménologie de l'Esprit.

L'homme, en transformant la nature et les choses, se construit et se réalise lui-même.

Il façonne la nature à son image et accède ainsi à la liberté.

Dès lors, travaille-t-il en vue du seul gain ? Non point, mais pour se retrouver libre, dans un réel, qui le reflète.

C'est par le travail que l'homme se réalise en tant qu'homme et se définit : il est la structure même de la réalité humaine, non point un accident qui se surajoute à elle. « L'homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu'il est poussé à se trouver lui-même, à se reconnaître luimême dans ce qui lui est donné immédiatement, dans ce qui s'offre à lui extérieurement.

Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu'il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations.

» (Hegel, Esthétique, Textes choisis, PUF, p.

22).

L'homme ne saurait donc se contenter de travailler en vue du seul gain puisque son besoin le plus profond consiste à prendre conscience du monde extérieur et à en faire un objet dans lequel il se reconnaisse luimême. Mais il faut aller plus loin : l'homme doit travailler parce que l'action et le travail le libèrent de la mort.

Donc, il faut travailler pour changer les choses extérieures, les maîtriser, contempler sa conscience objectivée et, dès lors, nous libérer de l'angoisse de mort.

Travailler, non point pour le seul gain, mais pour que la face sombre et opaque de la mort soit mise à distance.

Ce que l'on peut montrer de deux façons. Tout d'abord, notons, avec Hegel, qu'en s'extériorisant, la conscience contemple avec satisfaction son être pour-soi objectivé. Ainsi, elle surmonte l'angoisse de la mort.

L'homme qui travaille s'affranchit ainsi de cette idée négative qu'est la mort.

Il faut travailler pour chasser l'idée de la mort.

C'est en travaillant qu'on s'affranchit de la terreur asservissante qu'inspire l'idée de la mort. En second lieu, on peut souligner, avec Hannah Arendt, que l'action est thaumaturgique : elle arrête la course inexorable vers la mort parce qu'elle introduit du neuf.

Sans l'action et le travail, l'homme serait jeté tête baissée dans le délabrement, dans l'entropie naturelle.

Agir et travailler, c'est faire surgir un élément neuf qui brise le mouvement précipité vers la mort.

Travailler pour le seul gain ? Que non point ! Il s'agit d'arrêter l'effroyable mouvement du temps, de commencer du neuf par notre propre initiative.

Travailler, en s o m m e , pour introduire une brèche dans le deuxième principe d e la thermodynamique (de CarnotClausius), qui nous dit que tout est voué à l'entropie.

« Laissées à elles-mêmes, les affaires humaines ne peuvent qu'obéir à la loi de la mortalité, la loi la plus sûre, la seule loi certaine d'une vie passée entre naissance et mort.

C'est la faculté d'agir qui interfère avec cette loi parce qu'elle interrompt l'automatisme inexorable de la vie quotidienne [...] La vie d e l'homme s e précipitant vers la mort entraînerait inévitablement à la ruine, à la destruction, tout ce qui est humain, n'était la faculté d'interrompre ce cours et de commencer du neuf.

» (H.

Arendt, Condition de l'homme moderne, p.

313).

Ainsi, nous travaillons, au plus profond de nous-mêmes, parce que nous ne sommes pas nés pour mourir, mais pour innover.

Thaumaturgique, notre travail nous arrache à la mort.

Nous ne travaillons pas pour le simple gain, mais pour faire échec à l'entropie, du moins tant que ceci est en notre pouvoir. Il reste, néanmoins, un dernier élément à prendre en compte : celui qui se rattache au travail purement créatif, celui des artistes et contemplatifs de toutes sortes.

Est-ce en vue du seul gain qu'ils travaillent ? Ils s'élèvent, plus que tout autre homme, à un élément spéculatif décisif.

Il faut pousser à son terme l'analyse anthropologique du travail. a.

Instrumentalisation Le travail répond à un schéma technique de production, qui donne à l'ouvrier un simple statut d'instrument.

Aristote prend l'exemple suivant : pour produire des vêtements, il faut de la laine, un métier à tisser et un ouvrier tisserand.

Mais chacun des trois n'est en quelque sorte qu'un rouage de la chaîne.

La seule différence est que l'ouvrier est un « instrument animé », c'est-à-dire doté d'esprit.

Mais techniquement il est « utilisé » comme les autres éléments.

Cela apparaît dans les sociétés modernes quand le travailleur coûte plus cher que la machine : on le licencie car, techniquement et économiquement, il n'est qu'un instrument devenu trop cher. b.

Exploitation Il y a, en plus, une duperie sur la rémunération du travail, dont Marx décrypte le mécanisme en distinguant travail et force de travail.

La force de travail est, en effet, ce que l'ouvrier loue au patron en échange de son salaire journalier.

Ce dernier, d'apparence équitable, est donc au minimum ce qu'il lui faut d'argent pour reconstituer sa force de travail le lendemain.

Mais cette force de travail, à son tour, crée de la valeur du fait qu'elle est employée à façonner des objets.

Donc, en rémunérant l'utilisation de la force de travail, le patron garde pour lui tout ce que celle-ci a permis de créer, au-delà du niveau de salaire reversé.

La tendance est même de payer le moins possible, ou de faire travailler le plus possible, car le profit en dépend.

Si la productivité technique est importante, c'est encore mieux. c.

Aliénation Marx décrit au xixe siècle des ouvriers totalement éreintés par des tâches pénibles ou répétitives et sans aucune qualification.

Les choses ont évolué, dans les pays occidentaux notamment, mais reste toujours ce qui peut s'appeler « aliénation ».

Le travailleur n'intervient pas dans les décisions sur son mode de travail, imposé par l'entreprise, les machines, le rendement et la concurrence, ni sur les objets à produire qui lui restent extérieurs et en lesquels il ne se reconnaît pas nécessairement.

C'est le travail lui-même qui devient un simple moyen de subsister à ses besoins.

Or cela devrait être l'activité qui le sort, l'élève au-dessus du monde des besoins.

Il y a donc aliénation, au sens où l'homme devient étranger à lui-même et à ses facultés les plus nobles.

Mais est-ce lié à l'essence même du travail, en toutes circonstances ?. »

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