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Le travail n'est-il qu'un gagne pain ?

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« « Gagner son pain à la sueur de son front » : c'est la condamnation énoncée par Dieu envers Adam, la rupture avec l'état d'innocence du Jardin d'Eden.

Et la Modernité, avec l'émergence de la partition du travail, semble avoir renouvelé l'équivalence stricte et exclusive entre travail et subsistance. Cependant, considérer le travail comme un gagne-pain semble très historiquement connoté : ne voir que le travailleur aliéné abruti par sa tâche renvoie à la critique marxiste qui correspond à l'essor industriel du dix-neuvième siècle.

Quelles sont dès lors les conditions réduisent le travail à sa dimension de subsistance ? Comment concilier le travail et une certaine éthique du bonheur ? LE TRAVAIL COMME GAGNE PAIN H.

Arendt souligne dans Condition de l'Homme moderne que sous l'Antiquité, celui qui travaille, c'est celui qui répond aux besoins de son Maître, afin que se dernier puisse se consacrer à la vie contemplative.

Dégagé des obligations, il se repose sur l'esclave, chargé de faire face à la matière.

Le travail est un gagne-pain, et le dernier des modes de vie : travailler, c'est seulement veiller à sa survie dans un éternel assujettissement au Maître. De plus, l'organisation moderne du travail réduit l'ouvrier à sa force de travail, niant par là son individualité.

Ce qui intéresse le bourgeois capitaliste, c'est le profit et non un possible développement personnel des travailleurs.

Ces derniers ne peuvent accomplir les quatre phases de production que constituent projet, recherche de moyens, volonté effective, habileté et savoir faire.

Dès lors, travail est exclusivement synonyme de nécessité. Plus profondément, la critique qu'adresse Heidegger notamment dans La Question de la technique repose sur une déshumanisation du travail depuis l'émergence écrasante de la technique.

En instaurant une relation de supériorité avec la Nature, l'Homme nie la possibilité d'une relation juste avec le reste des étants.

Le travailleur est exclusivement considéré comme homo technicus, sans autre objectif qu'une utilisation maximale à moindre frais. L'homme veut gagner sur la Nature mais se perd lui-même dans ce mouvement. LE TRAVAIL COMME ACOMPLISSEMENT DE SOI Rousseau le souligne : l'homme se différencie de l'animal par sa perfectibilité, c'est-à-dire qu'il ne naît pas avec toutes ses capacités, mais qu'il peut les développer tout au long de sa vie, alors que l'animal n'agit que par instinct. Par le travail, l'homme développe ses facultés tant physiques que spirituelles, le travail de la matière, offrant une résistance, le pousse à trouver des solutions adaptées afin de répondre à ses besoins.

Par là, le travail n'est pas un simple gagne-pain, il pousse au contraire l'homme à éprouver ses capacités.

Par ailleurs, le travail humaine tant l'homme que la Nature qui l'environne. De plus, renversant la perspective classique, Hegel, par l'exposé de sa dialectique du Maître et de l'esclave, met en avant que le premier est condamné à être tributaire du regard et des actions de son serviteur alors que ce dernier, au contact de la matière, repousse les limites de son être.

Travailler, c'est gagner son autonomie au sens fort du terme, sortir de cet état d'asservissement aux besoins pour les dominer et y répondre en conscience. Enfin, ce que dénonce Marx, ce n'est pas tant le travail lui-même que les conditions dans lesquelles il s'effectue.

Ce qui réduit le travail à un gagne-pain, c'est lorsqu'il fait de l'homme un moyen et non une fin.

Le travail possède une valeur d'échange, qu'il soit verbal ou économique.

Ce n'est que lorsque que l'homme est abruti par la matière qu'il travaille qu'il est aliéné.

Ainsi, un homme travaillant dans des conditions optimales pourrait envisager non un bonheur proche de l'absence de trouble, mais un état de bien-être durable qui s'inscrit dans le dépassement des difficultés de la matière, dans le développement de son être. LE TRAVAIL CREATIF COMME MODELE On pourrait voir dans le travail de l'artiste le modèle de tout travail qui se situerait aux antipodes du « gagne-pain.

» Car l'artiste par son travail ne fait que pas que matérialiser le spirituel, il fabrique également des mondes et participe ainsi au renouvellement des structures mentales.

Par la redécouverte du réel, il procure aux contemplateurs une nouvelle vision qui demande réceptivité, lucidité, questionnement.

L'œuvre peut ainsi se penser comme un dialogue entre celui qui l'a fabriquée et son public. Evoquant le « dialogue », on entre dans une nouvelle perspective de travail, celle du travail intellectuel.

Les dialogue socratiques mettent en avant la difficulté qu'il existe à faire « accoucher » les esprits, de les libérer de leurs préjugés et de leurs automatisme de pensée, de la doxa.

Ce que cherche Socrate, c'est une possibilité de pensée autonome, conduite par l'exigence de se rapporter à l'essence des choses au non au faits, qui ne sont constituent que des béquilles illustratives.

Cet arrachement de la pensée peut être considéré à la lumière du mouvement consistant à renoncer à répondre de manière immédiate à ses besoins.

Si ce sont les philosophes qui dirigent la Cité idéale de Platon, c'est parce qu'ils n'ont de cesse de regarder vers le Bien, et non vers l'intérêt immédiat. Perdre son travail, ce n'est donc pas uniquement perdre le moyen de survivre, de se nourrir, de se vêtir, de se loger, mais perdre la reconnaissance de ses paires.

Ce n'est pas seulement ne plus pouvoir répondre à ses besoins, mais ne plus pouvoir exercer son corps et son esprit face à la résistance de la matière.

Ne considérer le travail que comme un « gagne-pain » revient à nier la possibilité d'une activité qui s'exercerait dans le sens d'un développement de celui qui l'effectue, et finalement réduire l'homme à une machine. C'est ainsi que l'on peut concevoir une relation entre bonheur et travail : l'homme oisif, réduit à l'animalité, ne développe pas les facultés présentes en lui, et ne peut prétendre ni à une création de sa vie, ni à une influence sur le milieu qui l'environne.. »

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