Le travail dénature-t-il l'homme ?
Extrait du document
«
Le substantif « travail » est un dérivé du terme latin « tripalium ».
Il qualifiait originairement le « supplice des
trois pieux ».
D'usage originairement métaphorique, il s'est finalement imposé pour qualifier le travail.
Celui-ci est
donc associé indiscutablement à l'idée de souffrance, comme le souligne le philosophe contemporain Alain lorsqu'il
écrit que « le propre du travail, c'est d'être forcé ».
"Le propre du travail, c'est d'être forcé." Alain, Les Arts et les dieux, 1943.
Pour qu'il y ait travail, il faut qu'il y ait contrainte.
Si cette conception du travail est vraie lorsqu'il s'agit d'exécuter
des travaux pénibles, dans les sociétés modernes il est souvent vécu comme l'activité essentielle des êtres humains.
Ceux-ci s'identifient alors à la fonction qu'ils occupent dans l'entreprise : à ce titre, le travail pose la question des
finalités de l'existence.
Le travail, l'activité productive, est effectivement générateur de souffrance car il demande des efforts et génère de la fatigue,
ce qui peut le rendre haïssable par certains.
Boris Vian est de ceux là et affirme que « le travail est probablement ce qu'il y a
sur cette terre de plus bas et de plus ignoble.
Il n'est pas possible de regarder un travailleur sans maudire ce qui a
fait que cet homme travaille, alors qu'il pourrait nager, dormir dans l'herbe ou simplement lire ou faire l'amour avec sa
femme.
».
Or, souffrance peut faire penser à une soumission à quelque chose de contre nature, Mais la souffrance générée par une
activité est-elle le signe que celle-ci est contre-nature ? D'un point de vue social, l'intérêt du travail s'explique facilement.
Celui-ci est
d'une grande utilité d'un point de vue collectif, comme le rappelle David Hume[1] à propos de la division des tâches,
propre du travail : "quand chaque individu travaille isolément et seulement pour lui même, ses forces sont trop
faibles pour exécuter une oeuvre importante ; comme il emploie son labeur à subvenir à toutes ses différentes
nécessités, il n'atteint jamais à la perfection dans aucun art particulier...
La division des tâches accroît notre
capacité." Dans La Bible[2], on trouve cette phase, « l'homme est né pour le travail comme l'oiseau pour voler », qui
sous-entend que le travail au centre de la nature humaine.
Pourtant, Karl Marx[3] affirme que « dès qu'il n'existe
pas de contrainte physique ou autre, le travail est fui comme la peste », comment quelque chose de détestable par
l'homme pourrait-il être inhérent à la nature humaine ? Le travail dénature-t-il l'homme ? Comment penser le
rapport du travail à la nature humaine ?
I.
Tout travail est synonyme d'aliénation physique et mentale, en ce sens, il détruit ce
qui fait partie des caractéristiques humaines naturelles : son corps et sa liberté.
Par conséquent,
le travail semble être contre-nature, issu d'une nécessité, d'ordre sociale, créée artificiellement.
Rousseau[4] élabore une fiction dont la fonction est généalogique, elle sert à expliquer la création
artificielle du travail : « dès l'instant qu'un homme eut besoin du secours d'un autre [...], l'égalité
disparut, la propriété s'introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des
campagnes riantes qu'il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt
l'esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.
» Karl Marx[5] apporte des précisions quantà la nature de cette aliénation lorsqu'il s'agit de travail « mécanique » né de la division des tâches : « En
quoi consiste l'aliénation du travail ? D'abord dans le fait que le travail est extérieur à l'ouvrier, c'est-àdire qu'il n'appartient pas à son essence, que donc, dans son travail, celui-ci ne s'affirme pas mais se nie,
ne se sent pas à l'aise, mais malheureux, ne déploie pas une libre activité physique et intellectuelle, mais
mortifie son corps et ruine son esprit.
» ; Marx[6] précise alors que le travail à la chaîne réduit l'homme à
une machine : "Dans la manufacture et le métier, l'ouvrier se sert de son outil ; dans la fabrique il sert la
machine.
Là le mouvement de l'instrument de travail part de lui ; ici il ne fait que le suivre.
Dans la
manufacture les ouvriers forment autant de membres d'un mécanisme vivant.
Dans la fabrique ils sont
incorporés à un mécanisme mort qui existe indépendamment d'eux." Ceci dit, dans ces extraits, Marx
semble mettre de côté les « libre activité physique et intellectuelle » ainsi que le travail en manufacture.
Sa critique ne s'adresse donc qu'à un type spécifique de travail : le travail en usine, à la chaîne.
II.
Mais le travail a sa part dans la prise de conscience de l'individu qu'il vit en société, vie
sociale qui, elle-même est dans la nature humaine.
Il semble donc s'inscrire dans un processus
naturel.
Durkheim[7], à ce propos, écrit que « ce qui fait la valeur morale de la division du travail [...],
c'est que, par elle, l'individu reprend conscience de son état de dépendance vis-à-vis de la société.
»
III.
Le travail ne se réduit pas à la division d'un travail mécanique.
Il peut s'agir par exemple
de travail individuel et/ou intellectuel.
le travail n'est pas toujours subi, mais peut-être choisi.
Dans ce cas, il permet, certes d'échapper à l'ennui et au malheur, mais il peut surtout permettre
l'accession au bonheur.
Or, le bonheur ne peut venir que de l'accomplissement,.
»
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