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Le travail abaisse-t-il l'homme?

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« LE TRAVAIL ABAISSE-T-IL L'HOMME ? Dans les religions monothéistes, le jour du repos est dédié à une communion avec Dieu qui exclut le travail des activités menées, comme si le fait de travailler pouvait constituer un obstacle à l'élévation spirituelle.

Ce jour saint, l'homme ne peut s'abaisser à répondre à la satisfaction de ses besoins, comme si cela l'abaissait à d'indignes besognes. Celui qui impose à la Nature une transformation de sa main serait-il moins homme que celui qui la contemple ? De quelle nature est cette humiliation que subirait l'homme ? Cette remise en cause de son orgueil ne pourrait-elle déboucher sur une lucidité nouvelle ? LE TRAVAIL ABAISSE L'HOMME EN FAISANT DE LUI UNE MARCHANDISE Avec l'émergence des sociétés industrielles apparaît le développement de nouvelles formes d'organisation du travail.

Division et répétition qu'elle induit transforment l'ouvrier en machine, force de travail qui n'a plus aucune emprise sur l'objet fabriqué en bout de chaîne.

Le travail est aliénation car le travailleur se vend pour parvenir à survivre : son travail concret se transforme en abstraction.

Cette organisation capitaliste du travail contraint le corps dans de simples réflexes de répétition et l'esprit par le peu de réflexion que ce type de tâche sollicite.

Dans les Manuscrits de 1844, Marx note que « dans les conditions de l'économie politique, cette réalisation du travail apparaît comme déperdition de l'ouvrier, (...) l'appropriation comme aliénation, comme dépouillement ». Ainsi, la seule fin du travail devient le salaire et non un épanouissement individuel.

Au niveau collectif, une mainmise est imposée par les patrons capitalistes non seulement sur le temps de travail mais aussi sur le temps de loisir ou de sommeil, qui doit être comptabilisé afin de rendre le travail plus productif.

En coupant la chaîne de réalisation d'un objet, qui comprend pour Marx quatre étapes que sont le projet, la recherche de moyens, la volonté effective, l'habileté et le savoir faire, l'ouvrier est aisément remplaçable par un autre. Plus profondément, la critique qu'adresse Heidegger notamment dans La Question de la technique repose sur une double déshumanisation du travail depuis l'émergence écrasante de la technique.

Double phénomène car : l'Homme semble avoir oublié le « comme » in « comme maître et possesseur de la Nature » dans la formule de Descartes et la considère comme un puit sans fin, un stock de ressources sur lequel il aurait tous les droits.

En instaurant une telle relation de supériorité, l'Homme nie la possibilité d'une relation juste avec le reste des étants.

Le travailleur est exclusivement considéré comme homo technicus, sans autre objectif qu'une utilisation maximale à moindre frais. LE TRAVAIL EN SOI ACCOMPLIT L'HUMAIN ET HUMANISE LA NATURE Ce que critique Marx, ce n'est pas, comme nous l'avons vu, le travail lui-même mais la manière dont il est considéré et organisé.

Car le travail rend les objets respectables dans la mesure où l'on y contemple de l'humain.

Si un seul et même homme parvient à réaliser les quatre étapes : projet, recherche de moyens, volonté effective, habileté et savoir faire, alors le travail forme tant l'esprit que le corps et l'homme peut tirer une réelle fierté de son travail en tant qu'il est intégralement sien.

L'homme se définit par la pratique, par ce qu'il parvient effectivement à réaliser en produisant ses propres moyens d'existence. Le travail comme reconnaissance des capacités physiques et intellectuelles de l'homme, possibilité de pourvoir à ses besoins de ses mains.

Reconnaissance qui est également sociétale. Dans La Phénoménologie de l'Esprit, Hegel présente la dialectique dite du Maître et de l'Esclave.

Si ce dernier est toujours occupé à répondre aux besoins de son maître, s'il ne peut goûter aux plaisirs et à l'oisiveté, l'esclave est néanmoins un être indépendant.

En transformant la nature, l'esclave se libère : il se réalise lui-même par son travail.

Il se réalise et se définit sans passer par le Maître, alors que ce dernier apparaît comme celui qui a le plus besoin de l'Autre. Par le travail, la nature s'humanise, elle prend la forme de la pensée humaine.

Le travail éveille des facultés qui pourraient rester en sommeil, c'est un véritable moteur de l'esprit humain : en transformant le monde, l'homme se réalise pleinement.

Le fondement de cette pensée se trouve dans la perfectibilité humaine, qui à la différence des animaux se transforme lui-même, et non seulement son environnement, lorsqu'il travaille.

L'oisiveté fait stagner l'homme dans son état initial, le travail ne peut que l'élever : par l'échange, il noue des liens entre les hommes, il est le fondement de toute société. LE TRAVAIL COMME NÉCESSAIRE ET SALUTAIRE HUMILIATION Nous n'avons jusqu'ici considéré que le travail manuel, mais c'est peut-être dans le cadre du travail intellectuel que le travail humilie l'homme, sans pour autant l'abaisser.

Socrate nomme sa méthode la maïeutique, l'art d'accoucher sous l'Antiquité.

L'accouchement est un acte douloureux, les dialogues socratiques mettent en lumière la difficulté d'arrachement à des préjugés ou des convictions, et sont nombreux les interlocuteurs de Socrate qui se sentent rabaissés par les discours du Maître.

Mais la ‘leçon de philosophie' qui leur est infligée débouche le plus souvent sur la joie d'une pensée plus juste, qui peut à présent devenir autonome.

Cette mise en doutes des idées reçues peut-être perçue comme un abaissement, elle est en fait l'expression du caractère infiniment perfectible de l'homme, de son progrès. Douter, le travail nécessaire du philosophe officialisé par Descartes, c'est à première vue s'humilier face au réel, c'est abaisser toute sa personne en ne lui accordant plus aucun crédit : les perceptions, les raisonnements sont mis en suspend.

Pourtant, cette faculté de remettre en question tout son être met en lumière un travail dont les fruits porteront à la fois sur soi et sur autrui.

Travailler, en ce sens, c'est mettre entre parenthèses son être, mettre de côté son orgueil afin de se consacrer à une recherche dont il est au coeur mais qui le dépasse. Le processus de création artistique, travail à part entière, a été décrit par les Romantiques comme un processus pénible, douloureux.

Cette affrontement avec la matière pour la transformer dans la perspective de lui insuffler une vision du monde ne transforme pas seulement l'artiste mais la société entière : en soumettant sa vision aux yeux du monde, il la fait apparaître au public, qui de son côté doit travailler à sa compréhension, acquérir une lucidité nouvelle. Ce travail de redécouverte du réel, qui ne peut-être exclusivement plaisant, demande un effort de lecture.

Cet effort, qui met entre parenthèses les clichés habituels, fait découvrir une nouvelle réalité porteuse de questionnements.

Ce ‘dialogue' entre les oeuvres et le public passe nécessairement par un travail de mise en retrait du soi. Ce sont donc certaines conditions de travail qui le font passer pour un abaissement de l'homme : dès lors que ce dernier est nié dans son individualité pour n'y voir qu'une force de travail, dès lors qu'il est emprisonné dans un rôle répétitif, le travail devient humiliant.

Non seulement pour l'homme contraint à ces conditions, mais pour l'ensemble de l'humanité qui cherche à dominer sauvagement la Nature en usant de la Technique. En revanche, le travail organisé de manière à conserver un lien avec la Nature, lien qui ne relève pas exclusivement de la domination, et avec l'ensemble de la communauté humaine contribue au perfectionnement de l'homme, voire l'humanise encore davantage.

L'abaissement peut être alors compris comme un moment de ce processus, qui débouche sur une plus grande compréhension de soi et d'autrui.. »

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