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Le témoignage

Extrait du document

« 1.

Du témoignage.

— Le témoignage est l'attestation d'un fait par un témoin, c'est-à-dire par une personne qui en a connaissance.

Le témoignage porte uniquement sur des questions de fait; c'est par là qu'il se distingue de l'autorité qu'on invoque surtout en matière de doctrine.

S'agit-il, par exemple, d'événements qui se sont produits loin de nous et que nous n'avons point constatés, nous recourons au témoignage; s'agit-il, au contraire, d'une question de droit ou de métaphysique à résoudre, nous invoquons l'autorité d'un jurisconsulte ou d'un métaphysicien.

Nous nous sommes occupés déjà de l'autorité et nous savons quels jugements portent sur elle Descartes et Pascal, étudions maintenant le témoignage. 2.

De l'importance du témoignage.

— Pour bien se rendre compte de l'importance du témoignage, il suffirait de faire un inventaire rapide des connaissances que nous possédons.

Le moindre examen nous révélerait bien vite, que la plupart n'ont été admises que sur la foi d'autrui.

— Nous ne vivons qu'un petit nombre d'années et ne pouvons explorer qu'un petit coin de l'espace : c'est grâce au témoignage que nous pouvons franchir ces étroites limites, bénéficier des travaux de nos semblables, mettre à profit leurs découvertes, faire sans cesse de nouveaux progrès; c'est grâce à lui que, suivant l'expression de Pascal, l'humanité peut être considérée comme un seul homme qui, en vieillissant, s'instruit toujours.

— Dans les sciences expérimentales, nous partons du point où en sont arrivés nos devanciers; dans les sciences exactes, nous admettons le plus souvent leurs calculs, sans qu'il nous semble nécessaire de les vérifier ; dans les sciences morales, les observations de nos semblables servent de contrôle naturel à nos propres observations — Enfin notre éducation morale est tributaire du témoignage, non moins que notre instruction, car beaucoup de nos habitudes sont dues soit aux exemples qu'on nous a donnés, soit aux conseils que nous avons reçus. 3.

Principe de la foi au témoignage.—Notre confiance dans le témoignage de nos semblables est si spontanée et si naturelle que les philosophes Écossais la font dériver de deux instincts : l'instinct de véracité et l'instinct de crédulité, l'un, qui nous porte à dire toujours la vérité, lorsque ni l'intérêt, ni la passion ne nous en détournent; l'autre, qui nous porte à croire que les autres agissent comme nous.

— Ce qui est vrai, c'est que naturellement nous nous servons de la parole pour exprimer nos pensées, et que naturellement aussi, par une induction rapide, nous jugeons de nos semblables par nous-mêmes.

Il est donc inutile de recourir à un instinct spécial pour expliquer notre croyance au témoignage; elle s'explique par le principe même qui sert de fondement à toute induction. Seulement, nous ne tardons pas à nous apercevoir du désaccord qui parfois existe entre la parole et la pensée; entre la pensée et la vérité.

Malgré la tendance qui le pousse à dire la vérité, l'homme, par intérêt ou par passion, peut chercher à la déguiser et à mentir.

— Dès ce moment il apprend à douter.

— De plus, il peut se 'convaincre lui-même d'erreurs qu'il a commises; il est amené alors à se demander si les autres, comme lui, ne sont pas jouets de l'erreur.

L'erreur et le mensonge étant possibles, il est donc indispensable de ne pas admettre sans examen tout ce qui nous est affirmé par autrui.

L'amour même de la vérité nous conseille ici la prudence. 4.

Critique du témoignage.

— Pour apprécier exactement la valeur du témoignage, il importe de soumettre aux règles de la critique, et les faits qui nous sont attestés, et l'attestation elle-même qu'on nous en donne. a.

Critique des faits.

— Les faits sur lesquels porte le témoignage se divisent en deux classes : les faits d'ordre scientifique, dont la reproduction et la vérification sont toujours possibles, et les faits d'ordre purement historique qui, suivant l'expression de Volney, sont des faits morts, et dont l'observation directe nous est à jamais interdite. Lorsqu'il s'agit de faits scientifiques, le témoignage de nos semblables pouvant toujours être contrôlé, notre confiance en lui n'est évidemment et ne peut être que provisoire : en nous appuyant sur son autorité, notre unique but est d'abréger nos recherches et de hâter nos travaux. Lorsqu'il s'agit de faits purement historiques, au contraire, le témoignage est l'unique source d'information dont nous puissions disposer; aussi, avant d'admettre les faits qu'il nous rapporte, devons-nous examiner avec soin quelle en est la nature et quels on sont les caractères. Et d'abord, nous devons nous demander si ces faits sont possibles, c'est-à-dire s'ils ne contredisent pas les principes de la raison et les lois bien établies de la science. Si ces faits sont possibles, il faut se demander, en second lieu,s'ils sont vraisemblables et probables.

Toutefois, notre examen particulièrement délicat et difficile.

En effet, combien de phénomènes ont été jugés invraisemblables, impossibles même, lui, plus tard, ont été reconnus réels ? Au siècle dernier, la croyance aux pluies de sang dont parle Tite-Live, aux pierres tombées du ciel, à l'existence de coquillages sur les montagnes, était considérée comme puérile et sans valeur; ces faits sont aujourd'hui expliqués.

Supposons un physicien qui eût affirmé, il y a cent ans, la possibilité du phonographe et du téléphone, il n'eût trouvé que des incrédules.

"La locomotion à vapeur, la télégraphie électrique, l'éclairage au gaz et par l'électricité, les rayons solaires devenus des instruments de dessin, d'impression, de gravure, sont autant de miracles humains" qui nous prouvent combien le domaine du possible est plus étendu que souvent on ne le croit.

— Il serait donc antiscientifique de rejeter d'une manière systématique tout ce qui est simplement vraisemblable, même à un faible degré; il faut se borner à suspendre son jugement, en attendant que des faits nouveaux et de nouveaux témoignages viennent nous éclairer. b.

Critique des témoins.

— Les conditions relatives aux témoins sont plus essentielles encore. Il faut tenir compte, en premier lieu, du nombre des personnes qui nous attestent un fait.

Un axiome de droit bien connu dit qu'un témoin unique est considéré comme nul en justice : Testis unus, testis nullus.

Cet axiome ne saurait avoir en histoire, non plus que dans la vie ordinaire, une valeur absolue ; néanmoins, quand un fait ne nous est attesté que par une personne, surtout si ce fait est extraordinaire, il y a souvent lieu de craindre ou qu'elle se soit trompée ou qu'elle veuille nous tromper.

Son intelligence et sa moralité nous éclairent sur le degré de foi que mérite son témoignage. Lorsqu'il y a plusieurs témoins, nos raisons de croire deviennent beaucoup plus fortes, surtout si ces témoins sont d'opinions, et de partis différents et s'ils ont des intérêts opposés. Ainsi, on met hors de doute les événements qui, à des époques agitées, sont racontés de la même manière par des écrivains appartenant soit à des nations, soit à des partis politiques en guerre les uns contre les autres.

— Cependant, le nombre des témoins n'empêche pas que nous n'ayons à tenir compte des qualités personnelles de chacun d'eux; or ces qualités peuvent se ramener aux deux suivantes : l'intelligence et l'honnêteté.

Si le témoin est intelligent, il est probable qu'il n'aura pas été trompé; s'il est honnête, il est probable qu'il ne sera pas trompeur.

Ses ouvrages, la manière dont il expose les faits, sa réputation nous renseignent sur le premier point; son caractère, sa conduite, l'estime dont il jouit, le ton général de son récit, nous renseignent sur le second. A toutes ces règles, il en faut ajouter une dernière, plus générale, car elle concerne la critique des faits et celle des témoins : c'est, en interrogeant le témoignage, de faire taire à la fois son intérêt, ses préjugés et ses passions pour poursuivre uniquement la découverte de la vérité.

Si l'expérience d'autrui nous est si peu profitable et nos erreurs si nombreuses, c'est que l'esprit de parti souvent nous aveugle, et nous rend incapables de discerner les faits et d'apprécier sainement les témoins. Nous avons étudié jusqu'ici le témoignage en lui-même, il nous faut le considérer maintenant dans son application à l'histoire.. »

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