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Le progrès technique est-il favorable au déploiement de l'homme ?

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« Introduction : Comment caractériser de prime abord le progrès technique ? En effet, si nous parlons de progrès, il nous faut supposer les notions d'évolution et d'amélioration.

La technique serait donc quelque chose qui évolue et qui s'améliore à travers les siècles.

De plus, le progrès n'a, à proprement parler, pas de limites.

Des l'instant où quelque chose s'arrête, elle ne progresse plus.

Nous devons dès lors examiner si la technique est bien un progrès constant.

Elle se caractérise essentiellement par son souci d'efficacité et la réussite des moyens mis en œuvre pour parvenir à une fin donnée.

Or, nous ne devons pas oublier non plus qu'elle est un atout proprement humain.

Autrement dit, son progrès devrait aussi permettre le progrès de l'homme ou de l'humanité en général.

L'homme, grâce à la technique pourrait déployer entièrement ses capacités et affirmer un pouvoir de plus en plus présent sur la nature ou les événements qui l'entourent.

Or, le déploiement de l'homme consiste-t-il uniquement en un déploiement de son pouvoir sur les choses ? Il n'est pas dit, en effet, que la technique nous permette de progresser moralement.

Il y a donc alors nécessité de repenser son essence pour considérer dans quelle mesure elle est capable de nous orienter vers un déploiement bénéfique de nos facultés. I/ le progrès technique nous rend « comme maîtres et possesseurs de la nature ».(Descartes) Si nous devons parler de « progrès » technique, il nous faut insister sur ce que représente cette progression.

Nous devons supposer que l'homme acquiert des techniques qui changent et se perfectionnent au fur et à mesure des époques.

Dans ce cas, si les animaux possèdent bien des techniques (la ruse du chat pour attraper un oiseau par exemple), celles-ci ne changent pas radicalement avec le temps et ne sont utilisées que pour combler les besoins essentiels.

A l'inverse, nos techniques évoluent et se révèlent de plus en plus efficaces.

Elles nous permettent par exemple de passer par delà certaines limitations que nous imposent l'espace et le temps.

Aussi est-il possible, en quelques heures d'avion, de se rendre à l'autre bout de la planète.

Ce progrès repose donc sur le fait que l'homme ne possède pas à l'origine d'atouts particuliers, mais qu'il dispose de la possibilité de transformer le monde qui l'entoure, de se construire des outils, pour se doter d'un pouvoir de plus en plus fort.

Nous pouvons alors affirmer qu'il y a là un double déploiement de l'homme.

Non seulement, il met à jour ce que son intelligence lui permet de faire, mais en plus, cela lui permet de s'ouvrir d'avantages aux autres, de s'épanouir en profitant des moyens techniques pour s'enrichir culturellement, voyager…Que l'on pense donc ici aux formidables partages que la communication via Internet nous ouvre.

Ce pouvoir spécifique que représente le progrès technique est illustré par Platon, dans son ouvrage Protagoras, à travers le mythe de Prométhée.

Prométhée et Epiméthée sont chargés par les Dieux de répartir les qualités aux êtres vivants.

Ainsi sont distribués les peaux pour se prémunir du froid, les griffes pour se défendre… Seulement, l'homme est oublié dans ce partage.

« Alors Prométhée, ne sachant qu'imaginer pour donner à l'homme le moyen de se conserver, vole à Héphaïstos et à Athéna la connaissance des arts avec le feu ; car sans le feu, la connaissance des arts était impossible et inutile ; et il en fit présent à l'homme.

» Le feu, ici, symbolise donc la première technique que l'homme peut utiliser pour se défendre.

Par sa connaissance des arts (ici, technè), l'homme peut alors trouver par lui-même le moyen de s'affranchir des contraintes naturelles qui pèsent sur lui et se mettre à l'abri des aléas naturels. Dans la sixième partie du « Discours de la méthode » (1637), Descartes met au jour un projet dont nous sommes les héritiers.

Il s'agit de promouvoir une nouvelle conception de la science, de la technique et de leurs rapports, apte à nous rendre « comme maître et possesseurs de la nature » .

Descartes n'inaugure pas seulement l'ère du mécanisme, mais aussi celle du machinisme, de la domination technicienne du monde. Si Descartes marque une étape essentielle dans l'histoire de la philosophie, c'est qu'il rompt de façon radicale et essentielle avec sa compréhension antérieure.

Dans le « Discours de la méthode » , Descartes polémique avec la philosophie de son temps et des siècles passés : la scolastique, que l'on peut définir comme une réappropriation chrétienne de la doctrine d'Aristote. Plus précisément, il s'agit dans notre passage de substituer « à la philosophie spéculative qu'on enseigne dans les écoles » une « philosophie pratique » .

La philosophie spéculative désigne la scolastique, qui fait prédominer la contemplation sur l'action, le voir sur l'agir.

Aristote et la tradition grecque faisaient de la science une activité libre et désintéressée, n'ayant d'autre but que de comprendre le monde, d'en admirer la beauté.

La vie active est conçue comme coupée de la vie spéculative, seule digne non seulement des hommes, mais des dieux. Descartes subvertit la tradition.

D'une part, il cherche des « connaissances qui soient fort utiles à la vie » , d'autre part la science cartésienne ne contemple plus les choses de la nature, mais construit des objets de connaissance.

Avec le cartésianisme, un idéal d'action, de maîtrise s'introduit au cœur même de l'activité de connaître. La science antique & la philosophie chrétienne étaient désintéressées ; Descartes veut, lui, une « philosophie pratique » .

« Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices qui feraient qu'on jouirait sans aucune peine des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé […] » La nature ne se contemple plus, elle se domine.

Elle ne chante plus les louanges de Dieu, elle est offerte à l'homme pour qu'il l'exploite et s'en rende « comme maître & possesseur » . Or, non seulement la compréhension de la science se voit transformée, mais dans un même mouvement, celle de la technique.

Si la science peut devenir pratique (et non plus seulement spéculative), c'est qu'elle peut s'appliquer dans une technique.

La technique n'est plus un art, un savoir-faire, une routine, elle devient une science appliquée. D'une part, il s'agit de connaître les éléments « aussi distinctement que nous connaissons les métiers de nos artisans » .

Puis « de les employer de même façon à tous les usages auxquels ils sont propres » .

Il n'est pas indifférent que l'activité artisanale devienne le modèle de la connaissance.

On connaît comme on agit ou on transforme, et dans un même but.

La nature désenchantée n'est plus qu'un matériau offert à l'action de l'homme, dans son propre intérêt.

Connaître et fabriquer vont de pair. D'autre part, il s'agit « d'inventer une infinité d'artifices » pour jouir sans aucune peine de ce que fournit la nature.

La salut de l'homme provient de sa capacité à maîtriser et même dominer techniquement, artificiellement la nature. Ce projet d'une science intéressée, qui doive nous rendre apte à dominer et exploiter techniquement une nature désenchantée est encore le nôtre. Or la formule de Descartes est aussi précise que glacée ; il faut nous rendre « comme maître et possesseur de la nature » .

« Comme » , car Dieu seul est véritablement maître & possesseur.

Cependant, l'homme est ici décrit comme un sujet qui a tous les droits sur une nature qui lui appartient (« possesseur » ), et qui peut en faire ce que bon lui semble dans son propre intérêt (« maître » ). Pour qu'un tel projet soit possible, il faut avoir vidé la nature de toute forme de vie qui pourrait limiter l'action de l'homme , et poser des bornes à ses désirs de domination & d'exploitation.

C'est ce qu'a fait la métaphysique cartésienne, en établissant une différence radicale de nature entre corps & esprit.

Ce qui relève du corps n'est qu'une matière inerte, régie par les lois de la mécanique.

De même en assimilant les animaux à des machines, Descartes vide la notion de vie de tout contenu.

Précisons enfin que l'époque de Descartes est celle où Harvey découvre la circulation sanguine, où le corps commence à être désacralisé, et les tabous touchant la dissection, à tomber. Car ce qu'il y a de tout à fait remarquable dans le texte, c'est que le projet de domination technicienne de la nature ne concerne pas que la nature extérieure et l'exploitation des ressources naturelles.

La « philosophie pratique » est utile « principalement aussi pour la conservation de la santé » .

Le corps humain lui aussi, dans ce qu'il a de naturel, est objet de science, et même objet principal de la science.

« S'il est possible de trouver quelque moyen qui rende les hommes plus sages et plus habiles qu'ils n'ont été jusqu'ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher.

» La véritable libération des hommes ne viendrait pas selon Descartes de la politique, mais de la technique et de la médecine.

Nous deviendrons « plus sages & plus habiles » , nous vivrons mieux, en nous rendant « comme maîtres & possesseurs de la nature » .

La science n'a pas d'autre but. II/ Le progrès technique procure -t-il pour autant une amélioration morale ? Si nous ne pouvons plus douter que le progrès technique nous permette d'augmenter notre pouvoir, devons-nous en conclure qu'il nous rend nécessairement meilleurs ? Les deux derniers siècles précédents par exemple ont connu un progrès technique incomparable.

Mais, ces siècles marquent aussi l'apparition d'une misère ouvrière sans précédent, de deux guerres mondiales dévastatrices où la technique a eu un rôle fondamental sur le nombre de morts et la mise en place de politiques d'extermination.

Cela pour aboutir à une bombe atomique ou à une manipulation du nucléaire qui pourrait détruire la planète entièrement.

De plus, l'insertion de la technique dans le monde du travail a aussi son importance.

En effet, depuis le XIXème siècle, les outils ont été progressivement remplacés par des machines.

Quelle différence fondamentale poser entre les deux termes ? L'outil reste dans la main de l'homme, l'homme le contrôle comme bon lui semble : il le sort, il l'emploie et le range.

La machine, à l'inverse, possède une certaine autonomie.

Elle s'avère d'ailleurs beaucoup plus rapide et plus efficace que l'homme dans certains domaines (la calculatrice pour calculer par exemple…)Cela au point de pouvoir remplacer l'homme lui-même dans son travail.

Certes, les machines demandent encore d'être modifiées ou réparées par l'homme mais leur efficacité peut conduire les possesseurs de ces machines à exploiter ceux qui en dépendent pour vivre.

Rousseau, dans le Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes nous trace ainsi le portrait d'un progrès technique qui va de pair avec une décadence morale.

« A mesure que le genre humain s'étendit, les peines se multiplièrent avec les hommes.

La différence des terrains, des climats, de saisons, put les forcer à en mettre dans leur manière de vivre.

(…) Dans ce nouvel état, avec une vie simple et solitaire, des besoins très bornés, et les instruments qu'ils avaient inventés pour y pourvoir, les hommes jouissant d'un fort grand loisir l'employèrent à se procurer plusieurs sortes de commodités inconnues à leurs pères ; et ce fut là le premier joug qu'ils s'imposèrent sans y songer, et la première source de maux qu'ils préparèrent à leurs descendants ; car outre qu'ils continuèrent ainsi à s'amollir le corps et l'esprit, ces commodités ayant par habitude perdu presque tout leur agrément, et étant en même temps dégénérés en de vrais besoins, la privation en devint beaucoup plus cruelle que la possession n'en était douce, et l'on était malheureux de les perdre sans être heureux de les posséder.

» Ainsi, le progrès technique, non seulement ne contribue pas à notre bonheur, mais en plus nous rend malheureux lorsque nous en sommes privés. III/ Le déploiement de l'homme peut-il se passer du progrès technique ? Si le progrès technique semble avoir ses avantages comme ses inconvénients, cela serait-il censé de l'adorer comme un bienfaiteur suprême ou de décider de se passer entièrement de ce qu'il peut nous apporter ? Aussi, nous est-il nécessaire de revenir sur sa définition.

Nous l'avons vu, ce qui caractérise le progrès technique, c'est la présence de machines qui nous entourent et qui peuplent notre monde au quotidien.

Ces machines ont bien entendu leur utilité puisque nous continuons à en user, mais le fait qu'elles nous soient si proches nous conduit peut-être à voir le monde et le considérer presque unilatéralement à travers l'image qu'elles nous en donnent.

Or, cela pourrait conduire à considérer l'efficacité et la réussite pragmatique que nous montrent les moyens techniques comme seul critère d'importance au monde.

Il est alors à se demander quelles seraient la place de l'art ou de la philosophie, qui n'ont pas la vocation première d'être « utiles » au sens propre du mot ? De la même façon, la technique est en perpétuel progrès.

Or, dans les domaines cités précédemment peut-on véritablement parler de progrès ? Heidegger, dans les Essais et conférences revient sur ce qu'est la technique.

Il affirme que son essence est l' « Arraisonnement.

» Dans le langage courant, cela s'emploie pour arrêter arbitrairement un navire en pleine mer ou un avion en vol pour le contrôler et vérifier sa cargaison.

La technique de la même façon est ce qui nous permet d'exercer une volonté et de presser son exécution pour qu'elle soit réalisée au plus vite et au mieux.

Or, si cela est nécessaire parfois, tout concevoir de cette façon violente en revient à nier la possibilité d'une méditation ou d'une approche contemplative. Sciences & techniques obéissent à un destin commun qui est celui de la rationalité.

Le principe fondateur de celle-ci est le principe de raison selon lequel l'homme doit rendre raison de tout ce qui est.

L'homme se trouve soumis à un impératif dont il ne perçoit plus l'origine.

Il est alors exposé à un danger suprême: celui de perdre toute possibilité d'entendre le sens d'être autrement que dans son acception technique.

Pour la technique, le réel est un fonds destiné à l'arraisonnement. La technique peut donc se retourner contre la nature après en être issue et constituer un danger pour elle, et ce en un sens qui n'est pas exclusivement matériel, mais qui est aussi spirituel.

Dans son analyse de la technique, Heidegger, très au-delà de la bonne conscience écologique, met en lumière une certaine relation d' « arraisonnement » : à force de vouloir se rendre « maître et possesseur de la nature », comme le disait Descartes, l'homme met, selon la riche métaphore heideggerienne, la nature « à la raison » : Heidegger parle aussi d' « arraisonnement » , comme si la technique abordait la nature en pirate ; Qu'est-ce à dire ? Dans sa conférence titrée « La question de la technique », Heidegger part de la question suivante : « quelle est donc l'essence de la technique moderne pour que celle-(ci puisse s'aviser d'utiliser les sciences exactes de la nature ? » Pour répondre à cette question, il faut inverser le rapport traditionnel entre science et technique. En apparence, la technique suit les sciences exactes de la nature ; en réalité, la relation est presque inverse : c'est l'application technique qui renforce un certain aspect de ces sciences naturelles : « La physique moderne n'est pas une physique expérimentale parce qu'elle applique à la nature des appareils pour l'interroger, mais inversement : c'est parce que la physique –et déjà comme pure théorie- met la nature en demeure de se montrer comme un complexe calculable et prévisible de forces que l'expérimentation est commise à l'interroger », ajoute Heidegger.

Et peut-être en effet peut-on aller jusqu'à dire que lorsque la science travaille, elle a déjà en vue les applications techniques, qui peut-être alors l'orientent dans ses travaux : c'est bien ce que veut dire Heidegger quand il dit que c'est pour appliquer son « questionnement », sa mise à la question, que la physique est expérimentale. La technique humaine, explique-t-il plus largement, accomplit un destin remontant à la philosophie grecque et au nom duquel elle organise la nature en objet : ce faisant, l'homme viole et épuise un certain « fonds », non pas celui des réserves quantitatives de minéraux, mais celui d'une réserve de dévoilement et d'étonnement.

est-il d'ailleurs si faux que notre rapport à la nature soit devenu à ce point médiatisé par la technique que nous ayons du mal à voir ce qu'est la nature ? Bref, c'est cet enjeu de la technique qui, aux yeux de Heidegger, illustre le mieux l'oubli de l'Etre dont il veut se faire le penseur.

Mais, dire que la technique contribue à l'oubli de l'Etre, ce n'est certes pas le rejeter en tant que telle : ce serait un grand contresens que de voir pour autant chez Heidegger une diabolisation ou un refus de la technique.. »

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