Aide en Philo

LE PROBLÈME DE L'ÂME ET DU CORPS EST-IL UN FAUX PROBLÈME ?

Extrait du document

« LE PROBLÈME DE L'ÂME ET DU CORPS EST-IL UN FAUX PROBLÈME ? Le matérialisme comme le spiritualisme classiques ont posé le problème des rapports de l'âme et du corps en termes cartésiens.

D'un côté la pensée consciente, d'un autre côté des mécanismes étalés dans l'espace.

Dans ces conditions, il est évidemment impossible, aussi bien de comprendre les rapports de l'âme et du corps que de les réduire l'un à l'autre. Le mécanisme, qui pense expliquer suffisamment notre comportement par un jeu de réflexes, ne sait que faire de la conscience.

Il la réduit à une lueur inutile, à un épiphénomène, c'est-à-dire à ce mythe très peu scientifique d'un phénomène sans effet. Le spiritualisme ne peut pas trouver dans des mécanismes dispersés dans l'espace la source de la pensée, intérieure et non spatiale.

Il réduit la pensée à ce mythe également très peu scientifique d'un phénomène sans cause.

On pourrait dire que, pour le spiritualisme, la pensée est encore un épiphénomène, cette fois au sens étymologique, c'est-à-dire, en traduction littérale, un phénomène surnaturel. Le spiritualiste postule que, par essence, la pensée est étrangère au corps.

C'est une hypothèse absolument invérifiable ; jamais une pensée ne s'est manifestée concrètement en l'absence de toute condition organique.

Sans doute Bergson prétend-il que, même dans le cas de très graves lésions cérébrales, la pensée est intacte, riche de tous ses souvenirs, mais qu'elle est incapable de s'exprimer, de se manifester parce que l'instrument organique est abîmé.

Seulement je ne puis aucunement me faire une idée de cette pensée désincarnée, de cet inconscient purement spirituel où résident — en dehors du cerveau — tous mes souvenirs.

Il est vrai que l'aphasique retrouve les mots qu'il a perdus, mais cela prouve seulement que la conception atomiste que Ribot s'était faite de la physiologie cérébrale est inexacte.

L'hypothèse du cerveau-instrument, impossible à prouver, conduirait à des conséquences étranges que Broad développe avec humour : « Supposons qu'un homme soit blessé à la tête ; avant la blessure il était d'un naturel gai et bienveillant, après il est sombre et sujet à des crises de folie homicide.

Dira-t-on que la blessure n'a rien changé à son esprit toujours aimable et gai mais que le changement dans son cerveau l'oblige à manifester son enjouement en prenant un air renfrogné et sa bienveillance en attaquant les gens avec des couteaux à découper ? ' » En fait, le malade n'a sans doute pas l'impression d'avoir une âme douce et bienveillante qui s'exprimerait curieusement par la fureur homicide, mais il est furieux, tout simplement.

Les rapports de l'âme et du corps n'étaient peut-être si difficiles à penser dans la philosophie classique que parce que, très arbitrairement, on avait établi préalablement entre l'âme et le corps une distinction absolue. En fait, les conceptions que la philosophie contemporaine tend à se faire du corps renouvellent complètement la question.

On trouve sur ce point des remarques convergentes dans des ouvrages aussi différents que La notion de fait psychique (Blanche) ; La conscience et le corps (Ruyer) ; Être et avoir (G.

Marcel) ; La phénoménologie de la perception (Merleau-Ponty) ; Variété V (Valéry). Je ne comprends pas les rapports de l'âme et du corps tant que je considère le corps comme un simple objet dans l'espace que je puis voir, toucher, explorer par les méthodes scientifiques.

Mais ce corps purement spatial, ce corps-objet, ce n'est pas mon corps, c'est le corps d'autrui, tel que je le vois, ou c'est ce cadavre que les étudiants en médecine étudient dans la salle de dissection '.

Mon propre corps n'est pas connu comme un objet mais j'éprouve de l'intérieur sa présence vivante.

Si je regarde mon corps, il est vrai, si je le touche, je me place au point de vue d'autrui, et mon corps m'apparaît comme une chose.

Mon corps m'est alors donné comme objet (ce qui est placé devant moi) et je peux dire d'après la formule de Gabriel Marcel que j'ai un corps.

Mais quand j'éprouve de l'intérieur la présence de mon corps, je suis un corps (le corps ne m'est plus extérieur comme un avoir, il est mon être même). Paul Valéry propose de distinguer au moins trois aspects du corps qu'on pourrait nommer le corps vécu, le corps vu et le corps su.

Le corps vécu est notre être même, «pour nous il n'est pas tout à fait une chose et il nous appartient un peu moins que nous ne lui appartenons».

Il n'y a pas de nom, ajoute Valéry, « pour désigner le sentiment que nous avons de cette substance de notre présence ». Le corps vu est « celui que nous voient les autres et qui nous est plus ou moins offert par le miroir et les portraits.

Il est celui qui a une forme et que saisissent les arts...

Il ignore la douleur dont il ne fait qu'une grimace».

Quant au «troisième corps», c'est celui que la science dissèque et étudie ; « il n'a d'unité que dans notre pensée puisqu'on ne le connaît que pour l'avoir divisé et mis en pièces...

Il s'en est écoulé des liquides écarlates ou blêmes, ou hyalins, parfois très visqueux.

Tout ceci, réduit en tranches très minces ou en gouttelettes, montre, sous le microscope, des figures de corpuscules qui ne ressemblent à rien.

On essaie de déchiffrer ces cryptogames histologiques ». Nous devinons maintenant l'erreur originelle de la position classique du problème.

On a cherché le rapport entre la pensée consciente et le corps-objet, et on a abouti à des impasses.

Il fallait plutôt chercher des rapports entre deux termes comparables, entre ma pensée consciente et mon corps « vécu », mon «corps propre», ce corps-sujet que je «n'ai» pas, mais que je «suis». Ici l'opposition conscience-corps s'affaiblit jusqu'à disparaître ; je suis conscient, je pense, je rêve, j'ai mal, je me sens heureux ou las. Ces modalités constituent mon psychisme.

Mais d'autre part, je me sens corps...

D'autre part...

pourquoi dire d'autre part ? Cette lassitude que j'éprouve ce soir après un dur effort, ou cet élan joyeux, hier dans le soleil matinal, ne sont-ils pas les façons que j'ai d'éprouver la présence de mon propre corps, de mon être total ? Et ne sont-ils pas en même temps des «pensées» au sens très large de Descartes, c'est-à-dire des états d'âme ? En ce sens la personne vivante est une ; ce que les classiques appelaient le corps, c'était la personne-objet telle qu'elle apparaît dans l'espace, au regard d'autrui.

Ce que les classiques appelaient pensée ou psychisme, c'était la personne-sujet, ce que je suis pour moi, ce que je sens vivre, ce que je peux appeler mon corps-sujet.

Au dualisme nous substituons donc un monisme originaire. Le corps-objet, le corps vu étant le corps lui-même, mais pour autrui, il est permis de chercher des correspondances entre la réalité et le spectacle.

Par exemple, si, vivant une émotion intense je passe de la colère à l'effroi, mon visage, mon corps tout entier exprimeront assez fidèlement à autrui ce que j'ai ressenti.

Il y a correspondance entre ce que j'ai vécu et ce qui est vu de moi-même. Mes expressions me révèlent, au moins en partie, et cette correspondance fidèle de « structures » est nommée isomorphisme par les partisans de la gestalt-théorie.

Ils veulent dire que les « formes » psychiques (le vécu) sont symbolisées fidèlement par les formes psychologiques objectives (le spectacle).

N'est-ce pas un retour au parallélisme ? Sans doute, mais il s'agit d'un parallélisme délivré de ses difficultés, puisque le dualisme n'est qu'apparent, que ce qui est vu et ce qui est vécu font un même être.

Ce parallélisme s'impose absolument parce qu'il est celui de deux perspectives différentes sur un même être.

Cependant, si le parallélisme est ici une hypothèse nécessaire, il serait parfois difficile à mettre en lumière (si on pouvait voir ce qui se passe dans mon cerveau-objet lorsque je fais ou, si vous voulez, lorsque ce même cerveau-sujet fait un raisonnement compliqué, on ne saurait sans doute pas reconnaître le rapport entre les mécanismes objectifs et les données conscientes).. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles