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Le hasard n'est-il qu'une impression subjective ?

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« Le hasard nous sert souvent à qualifier une situation imprévue, telle qu'elle fait sens pour nous.

L'impression de hasard naît donc d'un jugement que nous portons sur le monde et traduit la saisie d'une cohérence inattendue ; l'expression « tomber par hasard » sur un ami dans la rue, ou sur un sujet à l'examen, que l'on aurait déjà traité, laisse transparaître le caractère contingent et accidentel du phénomène.

Mais il ne va pas de soi que cette appréciation personnelle puisse être érigée au rang de donnée objective : ce qui me paraît un hasard, ma rencontre inopinée avec une connaissance, n'en est pas un pour un tiers qui avait prévue cette rencontre, ayant eu connaissance de nos emplois du temps respectifs.

Le hasard n'aurait-il qu'un statut subjectif, traduirait-il les limites de la connaissance humaine ? Or, nous verrons qu'une détermination rigoureuse du hasard pourrait permettre d'hypostasier comme objectivement valable ce qui n'apparaît a priori que comme corrélatif d'un point de vue borné. I- Le hasard n'est qu'une impression subjective. Comment étayer le hasard autrement qu'à partir d'une expérience personnelle ? Il suffit de multiplier les points de vue sur une même situation pour discréditer toute tentation qui viserait à objectiver le hasard.

Ce dernier n'a pas de réelle positivité, il est plutôt l'indice d'une lacune dans notre connaissance des faits, davantage que le signe d'une réalité, c'est un manque qu'il indique, une incomplétude dans la chaîne de causalité liant les événements les uns aux autres.

Le hasard est donc davantage l'expression d'un sentiment : l'étonnement, que l'affirmation d'une vérité en soi. Ce que nous appelons hasard c'est cela qui, faisant sens, n'était pas pour autant attendu.

Mais hasard n'est pas synonyme de miraculeux : ce qui n'était pas attendu n'était pas pour autant imprévisible en soi.

Comme Laplace et Einstein l'ont souligné, le hasard nous apprend quelque chose sur l'homme, mais non sur le monde.

Il correspond aux limites inhérentes à la connaissance humaine ; ce qui est signifié par le hasard c'est un simple décalage entre la raison des choses et la perception lacunaire que j'en ai. Dans son système, Laplace a montré qu'en idéal, si nous connaissions toutes les lois de l'univers, si nous pouvions appréhender d'un coup d'œil son état à l'instant t, alors nous serions capable de déduire son état à l'instant t'.

Cet idéal positiviste est utopique, il a néanmoins le mérite de nous rappeler combien les progrès de la science sont corrélatifs d'une marche vers l'objectivité, acculant l'impression de hasard dans les recoins de la subjectivité naïve.

Croire que le hasard est un phénomène naturel, c'est croire que la réalité du monde n'est relative qu'à moi. II- Le hasard et la causalité. Le hasard, avons-nous dit, qualifie des faits cohérents mais imprévus.

Or, la cohérence d'un fait se concilie avec le principe de causalité, le hasard n'est donc pas un phénomène anarchique contrevenant à la loi de causalité.

Les thèses de Cournot sur le hasard, récurrentes dans toute son œuvre, nous permettent de penser ce rapport du hasard et de la causalité.

Loin que le hasard mime la causalité ou n'en revête que l'apparence, il est une des multiples figures de celle-ci. Cournot donne une définition célèbre du hasard : c'est la rencontre de deux séries causales indépendantes.

Par exemple, un homme pioche aveuglement des caractères d'imprimerie, lesquels s'avèrent composer un mot.

Deux séries causales, indépendantes l'une de l'autre se sont ici rencontrées : le fait de disposer des lettres les unes après les autres et le fait que la juxtaposition de telle série de lettre ait une signification propre.

Ces deux séries sont en effet indépendantes : la signification du mot n'a pas déterminé la main à piocher les lettres qui le composent, et l'acte de piocher n'a pas construit le sens du mot, lequel préexistait évidement à cette opération. Un commentateur de Cournot, Bertrand Saint-Sernin résume brillamment cette pensée en affirmant que sa conception du hasard fait de Cournot un « philosophe de la causalité multiple ».

Le hasard permet donc de penser la conciliation de la causalité et de l'accidentel ; l'un des mérites de Cournot est de penser l'existence de causalité indépendantes, c'est-à-dire de se défaire, à l'époque de la naissance d'un positivisme institutionnel, de l'idée qu'une même série de lois pourrait embrasser l'ensemble des phénomènes naturels.

La pluralité des phénomènes et leur irréductibilité les uns aux autres (par exemple l'irréductibilité du biologique au physico-chimique que Cournot est l'un des premiers à apercevoir) atteste de l'existence de séries causales indépendantes. III- Le hasard est un phénomène naturel. Contrairement aux penseurs positivistes il faut donc concéder qu'il y a une objectivité du hasard.

Celui-ci est un fait naturel et n'est en aucun cas relatif aux limites de notre subjectivité.

La prévisibilité ne vient même plus annuler le hasard : ce dernier n'étant en effet pas impossible en soi, il peut se voir assigner une probabilité plus ou moins grande, le prévoir ce ne serait pas l'annuler.

Sauf à prêter un caractère déterminant au calcul des probabilités, et à la décision du sujet de choisir parmi celle-ci, ce qui est un contresens. Autrement dit, il y a une irréductibilité objective du hasard, ce dernier existe comme fait naturel et ne peut être englobé dans un système d'explication scientifique plus général.

Le croire c'est en venir à l'hypothèse, assumée ou déguisée, comme c'est le cas chez Laplace, de l'existence possible d'un entendement tout puissant aux yeux duquel tout serait lié. Remarquons enfin que suivant la définition qu'en donne Cournot, le hasard n'apparaît plus comme un phénomène marqué par la rareté.

Au contraire, il ne cesse pas de se produire du hasard à tout moment, simplement, nous ne prêtons attention qu'à celui qui fait sens pour nous.

Tous les hasards ne nous alertent pas. Conclusion : De prime abord le hasard semble être l'indice d'un échec de la raison, la marque de son impuissance à embrasser la cohérence du monde.

Toutefois, une telle conception présuppose une idée naïve du hasard comme événement rare et subjectif.

Nous avons donc refait le chemin en arrière pour partir d'une définition claire du hasard ; celle-ci acquise, nous avons vu que le hasard, compris comme rencontre de séries causales indépendantes, pouvait être tenu pour un phénomène naturel.

Ce n'est donc qu'à la condition de se défaire d'une conception naïve du hasard que nous pouvons en penser l'objectivité et enrichir notre vision de la causalité.. »

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