Aide en Philo

Le conflit des consciences

Extrait du document

« VOCABULAIRE: CONFLIT (n.

m.) Violente opposition matérielle (conflit social), morale (conflit des devoirs) ou rationnelle (KANT : conflit de la raison avec elle-même) ; contrairement à la concurrence, le conflit suppose divergence de but entre les protagonistes. La conscience vient du latin conscientia, qui signifie « accompagné » (cum) de « savoir » (scire).

Être conscient signifie donc que lorsque l'on sent, pense, agit, on sait que l'on sent, pense ou agit.

Mais il convient de distinguer la conscience directe ou immédiate, qui accompagne ainsi tous les actes du sujet, de la conscience réfléchie, conscience qui se saisit elle-même comme conscience.

La première consiste à « avoir conscience », tandis que la seconde consiste à « être conscient d'avoir conscience ».

Le passage de l'un à l'autre serait le fait de « prendre conscience ». A.

Tout rapport à l'autre est un rapport de forces Pour Hegel, le fait premier n'est pas la solitude du « Cogito » cartésien, mais le conflit des consciences.

De même que dans la logique dialectique la thèse implique immédiatement l'antithèse, de même la conscience de soi ne se pose qu'en supposant aux autres consciences.

Si j'étais tout seul, dire «je» n'aurait aucun sens.

Dire «je» c'est reconnaître la singularité des autres, reconnaître qu'il y a d'autres «je» que le mien mais en même temps me distinguer d'eux et entrer en conflit avec eux.

En effet, quand je dis «je», je désire être reconnu par les autres comme une personne autonome, comme une conscience.

Lorsque le guerrier vainqueur laisse la vie sauve à son adversaire, il en fait un esclave (« servus », celui qui a été conservé) qui le reconnaîtra pour maître (ainsi la conscience du vainqueur ne sera ce qu'elle est que parce qu'elle reconnaîtra son écho dans une autre conscience).

Mais on voit ici que la communication échoue dans et par son effort même pour se réaliser puisque le moi ne reconnaît l'autre que pour l'asservir, pour le réduire au rôle de témoin et de miroir, ce qui aboutit à nier sa qualité de personne et de conscience. Cela apparaît très nettement dans l'analyse du regard proposée par Sartre dans une perspective très hégélienne.

Pour Sartre, la communication par le regard est immédiatement une communication de consciences.

En effet, le regard d'autrui a d'emblée pour moi un sens humain.

Dès qu'autrui me regarde, je cesse de voir ses yeux comme des choses, comme de simples objets qu'on pourrait décrire.

«Si j'appréhende le regard, je cesse de percevoir les yeux...

Ce n'est jamais quand des yeux vous regardent qu'on peut les trouver beaux ou laids, qu'on peut remarquer leur couleur1.» Seulement la communication par le regard serait d'emblée conflictuelle.

«Être vu» c'est se sentir menacé par autrui, vulnérable.

Surpris par le regard d'autrui, je me sens gêné, «j'ai honte de ma liberté en tant qu'elle m'échappe pour devenir objet donné ».

A mon tour, « les gens que je vois...

je les fige en objets, je suis par rapport à eux comme autrui par rapport à moi.

En les regardant, je mesure ma puissance ». Ainsi l'expérience du conflit ne révèle autrui comme conscience que pour déterminer instantanément la destruction de cette conscience.

Faut-il admettre d'ailleurs que les rivalités, les conflits, l'expérience «sadique» de la domination comme l'épreuve « masochiste » de la soumission soient privilégiées du point de vue de la connaissance d'autrui ? Il semble à beaucoup que ces expériences pénibles ne permettent pas de communication profonde précisément parce que les consciences rivales cherchent plutôt à se dissimuler qu'à se livrer.

Nédoncelle écrit que « la connaissance curieuse ou maligne a pour corrélatif la stratégie défensive de l'opacité et de la dissimulation psychique». LA RELATION MAÎTRISE-SERVITUDE CHEZ HEGEL 1.

De la conscience à la conscience de soi Dans La Phénoménologie de l'esprit (1807), Hegel retrace le développement progressif de l'esprit universel, depuis la certitude sensible immédiate jusqu'au savoir absolu, qui réalise l'unité du sujet et de l'objet.

Or, l'une des étapes de ce développement est le passage de la conscience à la conscience de soi, passage qui requiert, selon Hegel, la médiation d'autrui.

Je ne peux m'affirmer comme sujet libre et indépendant que si je suis reconnu tel par une autre conscience. 2.

Comment l'on devient esclave Cette reconnaissance de l'un par l'autre s'effectue sur le mode de la lutte : chaque conscience cherche à s'imposer en niant celle de l'autre.

Mais la lutte est inégale : celui qui est le plus attaché à la vie finit par se rendre, tandis que celui qui tient davantage à la liberté qu'à la vie manifeste sa supériorité (vis-à-vis de son existence sensible comme vis-à-vis de l'autre).

C'est donc en risquant sa propre vie que le sujet accède à l'autonomie : « L'individu qui n'a pas mis sa vie en jeu peut bien être reconnu comme personne, écrit Hegel ; mais il n'a pas atteint la vérité de cette reconnaissance comme reconnaissance d'une conscience de soi indépendante.

» Épargné, le vaincu entre au service du vainqueur : il sera son esclave, il lui obéira en tout. 3.

Comment l'esclave s'affranchit par le travail En mettant sa vie, par peur de mourir, entre les mains de son maître, l'esclave a certes perdu la liberté.

Cependant, le travail servile contraint l'esclave à transformer la nature pour satisfaire des désirs qui ne sont pas les siens.

Il apprend par là-même à dominer le monde naturel, et à s'en rendre maître.

C'est ainsi qu'il conquiert une nouvelle liberté et devient véritablement homme.

De son côté, le maître, qui se contente de jouir passivement des choses, finit par devenir dépendant de son esclave.

C'est ce renversement qu'on appelle « dialectique » (d'où vient l'expression : « dialectique du maître et de l'esclave », par laquelle on désigne la relation maîtrise-servitude chez Hegel). B.

Ma liberté est menacée par le regard d'autrui Prolongeant la perspective hégélienne, Sartre montre que l'homme est fondamentalement un être-pour-autrui.

L'autre est la condition et le moyen de ma propre reconnaissance ; il est « le médiateur indispensable entre moi et moi-même ».

Je ne me connais jamais qu'à travers le regard qu'autrui pose sur moi.

Mais en me constituant comme sujet, le regard de l'autre me fige et me « réifie » (littéralement, me transforme en res, en « chose »).

Dès que je suis vu par autrui, je suis ravalé au niveau des choses.

C'est ce qu'illustre bien l'expérience de la honte.

Le jaloux qui épie par le trou d'une serrure est tout entier absorbé par ce qu'il est en train de faire.

Que quelqu'un le surprenne, et le jaloux est instantanément « épinglé » comme jaloux ; il devient l'otage de cette essence d'être jaloux dans laquelle l'enferme le regard d'autrui. « Imaginons que j'en sois venu, par jalousie, par intérêt, à coller mon oreille contre une porte, à regarder par le trou d'une serrure.

Je suis seul [...] Cela signifie d'abord qu'il n'y a pas de moi pour habiter ma conscience.

Rien donc, à quoi je puisse rapporter mes actes pour les qualifier.

Ils ne sont nullement connus, mais je les suis et, de ce seul fait, ils portent en eux-mêmes leur totale justification.

Je suis pure conscience des choses [...].

Cela signifie que, derrière cette porte, un spectacle se propose comme « à voir », une conversation comme « à entendre ».

La porte, la serrure sont à la fois des instruments et des obstacles : ils se présentent comme « à manier avec précaution » ; la serrure se donne comme « à regarder de près et un peu de côté », etc.

Dès lors « je fais ce que j'ai à faire » ; aucune vue transcendante ne vient conférer à mes actions un caractère de donné sur quoi puisse s'exercer un jugement : ma conscience colle à mes actes, elle est mes actes ; ils sont seulement commandés par les fins à atteindre et par les instruments à employer.

Mon attitude, par exemple, n'a aucun « dehors », elle est pure mise en rapport de l'instrument (trou de la serrure) avec la fin à atteindre (spectacle à voir), pure manière de me perdre dans le monde, de me faire boire par les choses comme l'encre par un buvard [...]. Or voici que j'ai entendu des pas dans le corridor : on me regarde.

Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est que je suis soudain atteint dans mon être et que des modifications essentielles apparaissent dans mes structures [...]. D'abord, voici que j'existe en tant que moi pour ma conscience irréfléchie.

C'est même cette irruption du moi qu'on a le plus souvent décrite : je me vois parce qu'on me voit, a-t-on pu écrire [...] ; pour l'autre je suis penché sur le trou de la serrure, comme cet arbre est incliné par le vent.

[...] S'il y a un Autre, quel qu'il soit, où qu'il soit, quels que soient ses rapports avec moi, sans même qu'il agisse autrement sur moi que par le pur surgissement de son être, j'ai un dehors, j'ai une nature ; ma chute originelle c'est l'existence de l'autre.

» Sartre, « L'Etre et le Néant », Gallimard, pp.

305-306. Le texte de Sartre décrit clairement deux états de la conscience.

Dans le premier, une conscience solitaire est occupée, par jalousie, à regarder par le trou d'une serrure ce qui se passe derrière la porte.

Cette conscience est alors entièrement livrée à la contemplation du spectacle jusqu'à s'y fondre; elle est tout entière ce spectacle qu'elle regarde, elle est la série des actes motivés par la jalousie (se pencher, ne pas faire de bruit, regarder).

Cette conscience ne se connaît même pas comme jalouse (ce qui supposerait un recul réflexif): elle est rapport au monde sur la mode de la jalousie.

La conscience n'a pas de consistance propre qui lui permette de s'appréhender comme moi; elle se confond immédiatement avec toutes ces choses sur lesquelles elle s'ouvre. Brusquement surgit un autre (j'entends des pas, on me regarde): je suis surpris, il va penser que moi, je suis jaloux.

C'est alors (dans le cadre d'une expérience de la honte d'avoir été surpris) que ma jalousie prend consistance (et par là-même aussi mon être comme jaloux); elle n'est plus seulement une manière diffuse d'agir dans ce monde: elle est cette qualification de ma personne, ce jugement sur moi porté par un tiers.

Je suis quelqu'un, je ne suis plus une pure ouverture sur le monde: on me détermine comme un homme jaloux (on me donne une "nature", je deviens "quelque chose" sous le regard de l'autre (autrui me chosifie). Mais au moment où je deviens quelqu'un, je suis dépossédé de moi-même: c'est à l'autre de décider si je suis un curieux, un jaloux ou encore un vicieux. CITATIONS: « Ma chute originelle c'est l'existence de l'autre.

» Sartre, L'Être et le Néant, 1943. Garcin : « Pas besoin de gril, l'enfer, c'est les Autres.

» Sartre, Huis clos, 1944. « La pitié est une espèce de tristesse mêlée d'amour ou de bonne volonté envers ceux à qui nous voyons souffrir quelque mal duquel nous les estimons indignes.

» Descartes, Les Passions de l'âme, 1649. « Il est doux, quand la vaste mer est soulevée par les vents, d'assister du rivage à la détresse d'autrui ; non qu'on trouve si grand plaisir à regarder souffrir; mais on se plaît à voir quels maux vous épargnent.

» Lucrèce, De la Nature, 1er s.

av.

J.-C. « La pitié est un sentiment naturel qui, modérant dans chaque individu l'activité de l'amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l'espèce.

» Rousseau, Sur l'origine de l'inégalité, 1755. « Chacun se croit seul en enfer et c'est cela l'enfer.

» René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, 1961. « Autrui comme autrui se révèle dans le "Tu ne commettras pas de meurtre" inscrit sur son visage.

» Levinas, Totalité et Infini, 1961. Pour Levinas, la rencontre d'autrui, vécue dans le face à face avec le visage de l'autre, constitue la relation éthique primordiale.

Parce que ce visage s'offre à moi dans le plus total dénuement, il est d'une certaine façon une invitation à la violence ; « en même temps, ajoute Levinas, le visage est ce qui nous interdit de tuer ». « Si le regard pouvait tuer, si le regard pouvait féconder, la rue serait pleine de cadavres et de femmes grosses.

» Valéry, Quel Tel, 1941.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles