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Le beau n'est-il que l'objet d'une perception ?

Extrait du document

« I.

Introduction. • Il est bien certain que l'intitulé de sujet tel qu'il se présente à nous nous invite à naviguer dans une certaine direction.

En effet, la formule « n'est-il que » suppose a priori que nous pouvons et devons questionner le sujet pour dépasser un premier niveau d'analyse concernant le Beau.

Mais quelle est l'acception de cette notion de Beau et que désigne-t-elle ? Nous n'allons pas ici fournir une définition stable et définitive.

En effet, il s'agira pour nous de dégager cette dernière au terme d'un itinéraire.

Néanmoins, en première approximation, nous verrons dans le beau le concept normatif fondamental de l'esthétique s'appliquant au jugement d'appréciation sur les choses ou les êtres qui provoquent le sentiment esthétique.

On nous interroge ici pour savoir si ce concept normatif représente seulement « n'est-il que » - la base d'une expérience correspondant à la fonction par laquelle l'esprit se représente des objets extérieurs - « l'objet d'une perception » -.

En d'autres termes, le concept normatif de Beau se donne-t-il à nous à travers une représentation sensible et ne peut-il apparaître que sous cette forme ? • Le Beau est-il réalité empirique ou idée ? Tel est le problème soulevé par la question.

Après tout, on parle souvent de l'idée de Beau.

Le problème est bien de savoir si la notion de Beau idéal conserve pour nous une signification fondamentale. A.

Le Beau, objet de la seule perception sensible. Le beau est, tout d'abord, ce qui s'offre à ma vue et à mes sens, cet ensemble de formes et d'apparences phénoménales ; il désigne en première approche l'objet d'une perception harmonieuse : ce concept normatif fondamental de l'esthétique, cette notion d'une perfection et d'une harmonie souveraine détenant une puissance normative ne sont-ils pas, en effet, constitutifs de mon expérience sensible ? Le Beau paraît appartenir aux objets de la vue ou de l'ouïe.

Ainsi, devant un visage qui me semble manifester « le Beau », la norme esthétique idéale, je saisis par les sens, par la représentation externe, une certaine harmonie qui me frappe, un certain lien entre la couleur, le teint, les traits, etc.

Il semble que le Beau inhérent à un visage soit un pur objet des sens, de la représentation sensible des objets extérieurs.

La régularité, l'harmonie d'une face humaine paraissent données empiriquement, sensiblement.

Si nous définissons la perception comme la construction sensible de l'objet, opérant au moyen de jugements - nous savons, en effet, que la perception est construite, à la différence de la sensation -, nous dirons alors que le concept normatif esthétique se donne à moi à travers cette représentation des choses externes.

Toute analyse de l'appréciation esthétique, que cette dernière porte sur un objet du monde sensible (visage, corps, etc.) ou sur une oeuvre d'art (tableau, etc.), semblerait ainsi renvoyer à un fondamental élément perceptif.

Nous avons donné plus haut l'exemple du visage qualifié de beau, mais nous pourrions aussi songer à un tableau, à une toile : ne s'agit-il pas, avant tout, de regarder les résultats des coups de pinceau, le vernis posé sur les couleurs, etc.

? Le Beau désigne, dans cette perspective, une relation fondamentale à un sujet percevant.

Il suppose une chose réelle, existant indépendamment de nous, donnée à une certaine conscience saisissant la juste proportion des parties au sein d'une harmonie globale.

Bien plus, il semble que le Beau perde toute signification en dehors de cette relation d'un sujet percevant à une matière sensible : il se ramènerait, en définitive, à l'agrément de nos sens appréhendant un objet en conformité harmonieuse avec eux.

« Le Beau, c'est une belle jeune fille » déclare le sophiste Hippias à Socrate, dans le dialogue Hippias majeur ; convenance sensible, harmonie empirique, n'est-ce pas ce qui est constitutif du Beau comme réalité sensible individuelle ? Mais cette description nous laisse insatisfaits.

Elle relève d'une approche éminemment réaliste.

La saisie du beau ne pourrait s'effectuer que par rapport à des objets externes et réels, elle serait liée à la représentation de l'existence d'une chose.

Voici qui pose problème comme nous allons le voir.

D'autre part, quand j'appréhende le Beau, est-il bien vrai que mon expérience soit rigoureusement perceptive, qu'il n'y ait pas en elle autre chose, par exemple l'effervescence d'une émotion ? Ainsi faire du beau l'objet d'une perception sensible semble, pour une double raison, poser problème.

Le beau ne relève-t-il pas d'une autre description et d'une autre analyse ? B.

Le Beau, objet d'une contemplation désintéressée. Quelle naïveté, en effet, que de vouloir faire de l'objet esthétique et du Beau des qualités ou des notions s'attachant au réel ! Le Beau n'est pas, à proprement parler, réel ; il se donne, apparemment, à moi, au sein d'une perception, dans le monde des apparences sensibles et des formes empiriques.

Mais on ne saurait dire qu'il s'agisse véritablement d'une « perception du Beau ».

Il y a là une impropriété de langage.

Un exemple simple va nous le faire saisir.

Soit le tableau de Claude Monet, Les Coquelicots (1873) : dans le champ de blé et dans l'herbe, la vive percée des fleurs.

Mais le Beau que j'appréhende ici est-il, au sens strict du terme, « perçu » ? Certes, le tableau peut m'inciter (très faiblement) à une pratique, à une conduite : l'abandon du travail et le repos au sein de la nature.

Ce comportement serait la suite logique d'une perception pure.

Qui dit, en effet, perception dit pratique utilitaire.

S'il n'est pas exclu que le tableau de Monet puisse (par instants) me suggérer cet abandon, en vérité, au moment où je saisis le tableau comme objet se rapportant au Beau, ma contemplation se fait désintéressée.

Elle s'arrache à toute pratique et je flotte sans percevoir à proprement parler.

Ce ne sont d'ailleurs pas les détails du tableau ou ses « morceaux » que je perçois.

Stricto sensu, je ne perçois plus rien : qui dit percevoir sous-entend que je reste fixé dans l'objet existant.

Or, ce n'est pas un jugement d'existence qui est, du point de vue esthétique, mien.

Ce qui s'offre à moi est rigoureusement déréalisé.

D'ailleurs, quand nous sortons d'un musée ou d'une séance de cinéma, nous éprouvons très souvent un curieux sentiment quand nous nous retrouvons dans la rue.

A ce moment là, nous faisons retour à ce qui existe objectivement et s'offre à nous dans la perception.

Au contraire, ma vision esthétique, mon mouvement intentionnel vers le Beau ne correspondent qu'à un intense détachement : je suis arraché à moi-même, au réel, à l'univers quotidien de la perception.

Je suis littéralement envoûté.

Il est indifférent pour moi que l'objet beau soit ou non pourvu d'existence.

Le Beau n'est pas perçu, il n'est pas donné dans la perception : c 'est un irréel.

La saisie du Beau, loin d'être perceptive, n'est pas liée à la représentation de l'existence d'une chose, à la perception.

Le Beau est la visée d'une conscience imaginante.. »

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