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La technique peut-elle tenir lui de sagesse ?

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« [Introduction] « Le monde est plein de m erveilles, mais aucun n'est plus formidable que l'homme.

» Voilà l'avertissement que nous adressait le poète tragique grec Sophocle, il y a 2 500 ans.

La technique vise l'utile et tout homme vise au bonheur.

La question est de savoir si nous pouvons faire l'équation suivante : technique = bonheur.

Si cette équation se révélait exacte, la technique serait le souverain bien et la philosophie, dont on annonce régulièrement la disparition, vide de sens.

Quelle est la fin suprême de toute activité humaine ? [I – La technique vise l'intérêt] La technique a indéniablement amélioré nos conditions de vie.

Grâce à elle, l'homme est passé d'une position précaire dans la nature à une position de maître.

La technique a permis de maîtriser notre environnement : nous vivons plus vieux et en meilleure santé, nous nous déplaçons plus vite grâce à l'avion, nous communiquons aux quatre coins de la planète grâce à Internet, etc.

L'homme développe de plus en plus de techniques nouvelles, en une sorte de course effrénée, mais vers quoi ? Car nous sommes, dans la logique de la technique, dans le monde du désir d'avoir, de posséder.

La sagesse peut-elle se définir par la simple jouissance de possessions, de facilités de circulation, de communication ? Cette « ronde infernale des besoins », comme l'appelle G.

Friedmann, jamais entièrement satisfaits — on n'a jamais tout ! — ne s e m b l e p a s m e n e r à la sérénité recherchée par le sage.

La technique, au-delà d e s o n efficacité, pose le problème des fins d e toute activité humaine, d u sens, d e la valeur d e cette activité. Comment s'y prendre pour être heureux ? Avoir plus ou être plus ? [II - La valeur du progrès technique] Les bienfaits de la technique pour l'humanité ne sont pas à remettre en cause.

Mais la quantité ne signifie pas la qualité.

Quel est le sens de la technique face à la philosophie ? Vaut-elle d'être universellement désirée au point que la recherche désintéressée qui caractérise la philosophie n'ait plus d'objet ? Kant a montré que l'intérêt, l'utilité, l'efficacité, signes représentatifs de la technique, n'obligent jamais légitimement le sujet : ils concernent la vie pratique et n'ont pas d e caractère moral.

La technique n'a donc pas d e valeur morale et l'humanité n'est pas meilleure parce qu'elle maîtrise de plus en plus rapidement son environnement. Les impératifs hypothétiques tiennent com pte d e s règles d e l'habileté, du savoir-faire.

Ils font dépendre le but visé, par exemple construire une maison, faire fortune, des m o y e n s o u conditions les plus propres à l'atteindre.

Au contraire, affirme Kant, l'homme qui s'interroge sur la valeur d e s o n activité doit s e demander s'il « traite l'humanité, en soi c o m m e en autrui, toujours c o m m e u n e fin et jamais simplement comme un moyen » : tel est l'impératif catégorique, impératif du devoir et donc de la conscience morale. Le respect dû à la raison s'étend évidemment au sujet raisonnable, c'est-à-dire à la personne humaine. II faut faire à Kant une place d'honneur à l'origine du courant personnaliste, d'abord parce qu'il insiste sur l'autonomie de la personne humaine qui ne relève que d'elle-même, ensuite parce qu'il exige le respect de la personne humaine.

La personne raisonn able n'est pas seulement la source des valeurs, elle est aussi la valeur par excellence.

D'où la seconde maxime : «Agis toujours de telle sorte que tu traites l'humanité en toi et chez les autres comme une fin et jamais comme un moyen» (à partir de cette m a x i m e on condamnera aisément l'esclavage et plus généralement toute forme d'exploitation de l'homme par l'homme). La technique n'est donc pas neutre.

Si elle n e p o s e pas le problème des fins, elle n'en véhicule pas moins dans ses visées, dans ses méthodes, des partis pris et des intérêts (pourquoi, par exem ple, avoir parié sur le tout-nucléaire ? pourquoi développer la recherche sur le clonage ? pourquoi continuer à utiliser des moteurs diesel si polluants ? etc.).

La technique, au service de l'homme, est aussi au service des idéologies dominantes.

La s a g e s s e n'est a u service d e rien, elle ne s'intéresse pas à l'efficacité matérielle. [III - La technique ne doit pas remplacer la philosophie] Nous venons d e l e constater : la technique ne nous garantit rien.

Freud l'avait bien deviné qui écrivait dans Malaise dans la civilisation : « Les hommes d'aujourd'hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la nature qu'avec leur aide il leur est devenu facile de s'exterminer mutuellement jusqu'au dernier.

Ils le savent bien, et c'est ce qui explique une bonne part de leur agitation présente, de leur malheur et de leur angoisse.

» On est bien loin du bonheur. • Freud s'interrogeait aussi sur le but d e la technique : « Le progrès d e la civilisation saura-t-il, et dans quelle mesure, dominer les perturbations apportées à la vie e n c o m m u n par les pulsions humaines d'agression et d'autodestruction ? A ce point de vue, l'époque actuelle mérite peut-être une attention toute particulière.

Les hommes d'aujourd'hui ont poussé si loin la maîtrise des forces de la nature qu'avec leur aide il leur est devenu facile de s'exterminer mutuellement jusqu'au dernier.

Ils le savent bien, et c'est ce qui explique une bonne part de leur agitation présente, de leur malheur et de leur angoisse.

Et maintenant, il y a lieu d'attendre que l'autre d e s d e u x "puissances célestes", l'Éros éternel, tente un effort afin de s'affirmer dans la lutte qu'il mène contre son adversaire non moins immortel. » (Malaise dans la civilisation, dernier paragraphe).

Ainsi se termine ce livre de Freud écrit en 1929.

Quelques années plus tard, Freud devra fuir le nazisme.

Thanatos aura gagné contre Éros.

La m ort étouffa la vie. Le sage, s'il ne refuse pas l e m o n d e technique, sait que le bonheur ne s'y trouve pas : l a s a g e s s e ne doit rien à autrui et ne prive personne.

C'est une quête intérieure, un désir d'être entièrement dégagé des attachements m atériels — encore une fois, il ne s'agit pas d'être contre le bien-être m atériel mais d'y être indifférent.

Les Stoïciens affirmaient que la sagesse se trouve dans l'ataraxie, c'est-à-dire dans l'absence de troubles : être imperturbable à l'égard de tout ce qui ne dépend pas de nous. Ainsi, si la technique peut tenir lieu d'idéologie, elle ne doit pas tenir lieu de sagesse — ou alors c'est le règne du profit, de l'efficacité à tout prix, c'est-à-dire m ê m e au prix de l'élimination d e l ' h o m m e .

D a n s u n m o n d e o ù la technique serait le bien suprême, l'homme ne serait plus qu'un moyen, un instrument dont certains profiteraient.

C'est d'ailleurs ce que l'on reproche le plus à l a mondialisation de l'économie. [Conclusion] La finalité de l'humanité ne peut donc pas recevoir de réponse de la technique.

Seule la philosophie, dans sa fonction contemplative, mais surtout dans sa fonction m orale et politique, permet à l ' h o m m e d e d o n n e r sens et valeur à son activité.

Et cela, malgré ceux qui « se croient capables de voir plus loin et plus sûrement avec des yeux de taupes fixés sur l'expérience qu'avec les yeux issus en partage à un être qui était fait pour se tenir debout et contempler le ciel », comme le dit si bien Kant.. »

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