La psychologie de l'artiste est elle nécessaire a la compréhension de son œuvre ?
Extrait du document
«
Notre sujet nous place d'emblée du côté d'une « esthétique de la réception » : cela signifie que nous devons déterminer ce qui se
passe pour un spectateur au contact d'une œuvre.
Plus précisément, nous devons nous demander quels recours permettent au spectateur
de comprendre l'œuvre : parmi ceux-ci, la psychologie de l'artiste est-elle nécessaire à la compréhension de l'œuvre ?
Afin de répondre, nous allons devoir déterminer ce qu'il faut entendre par « psychologie de l'artiste » ; nous pourrons nous aider en
cela d'une analyse de la signification de l'œuvre.
En somme, l'œuvre transmet-elle un message qui se trouverait déjà dans l'esprit de
l'artiste ? De ce point de vue, comprendre la psychologie de l'artiste serait alors comprendre l'œuvre elle-même.
Qu'en est-il
véritablement ?
I – Wittgenstein et le problème de la signification de l'œuvre
Face à des œuvres originales et inédites, notamment dans les musées d'art contemporain, nous avons tous été confrontés à des
créations plus ou moins obscures, c'est-à-dire dont le sens ne nous apparaissait pas évident au premier coup d'œil.
Or, comment, en ces
conditions, déterminer la signification de l'œuvre ? Comment savoir ce qu'elle veut dire ?
Un réflexe que nous avons est alors de se demander ce que l'artiste voulait dire.
Nous cherchons alors à déterminer quel message
celui-ci voulait faire passer, puis le comparons à son exécution artistique (celle que nous avons sous les yeux).
Cependant, qu'arrive-t-il
quand nous faisons cela ?
Il est clair qu'à ce moment, nous ne cherchons pas dans l'œuvre les conditions de sa signification, mais nous allons au-delà d'elle.
De la même manière, lorsqu'une phrase nous paraît obscure, nous demandons à notre interlocuteur : « Que veux-tu dire ? ».
Toutefois,
comme Wittgenstein l'a montré dans les Recherches philosophiques, le sens d'une phrase ne se trouve pas dans l'esprit (ou la pensée) de
celui qui parle.
Elle ne peut se trouver que dans la phrase elle-même.
Qu'est-ce que cela veut dire ?
En prenant pour hypothèse que le sens d'une phrase se trouve dans ma pensée, je peux dire « blablabla » et prétendre que je
voulais dire « le ciel est bleu ».
Ce qu'il faut comprendre, c'est que le sens de la phrase se trouve en elle, dans l'usage attesté des mots.
De même pour une œuvre, sa signification lui est inhérente – elle se trouve en elle – et non pas au-dehors, fût-ce dans l'esprit de
l'artiste.
II – Ricœur et l'œuvre comme texte
Essayons de démêler notre précédent argument en faisant usage de la notion de texte, telle qu'elle se trouve développée dans
l'œuvre de Paul Ricœur.
Pour celui-ci, il faut d'abord distinguer deux situations : 1° celle de l'interlocution, où deux personnes parlent dans
un jeu de questions/réponses ; 2° celle du texte (un livre, mais aussi une œuvre d'art, un film, etc.) où le spectateur se retrouve seul,
face à ce qu'il considère.
En somme, dans la première situation, les personnes en présence ont toujours la possibilité de poser des questions
supplémentaires afin de préciser ce qu'elles ne comprennent pas (Que veux-tu dire ?).
Il s'agit surtout de retrouver (comprendre) ce que
l'autre veut dire.
Cependant, dans la seconde situation, c'est-à-dire face à un texte, personne n'est là pour nous aider (et l'artiste peut
être mort).
Cela vient du fait que le texte est autonome, détaché de son auteur et que la seule aide pour pénétrer sa signification, c'est
précisément les éléments qui s'y trouvent.
Le texte est à comprendre à partir de lui-même.
Précisons encore cela.
Il est peu probable que l'œuvre nous fasse passer un message unique, auquel cas l'artiste aurait pu se contenter d'écrire une
simple phrase sur un papier.
Les ressources de l'œuvre se montrent dans sa matérialité (pour un peinture, les couleurs utilisées, la
technique picturale [pinceau, couteau, éponge…], etc.) et non dans un prétendu message qui lui préexisterait.
Ce n'est pas que l'œuvre
n'a pas de signification, mais qu'elle ne se comprend qu'à partir d'elle-même.
Autonome en tant que texte, l'œuvre l'est aussi bien face au spectateur que face à l'artiste.
Cependant, qu'est-ce qu'une telle
position engage vis-à-vis de l'art lui-même ? Précisons ce dernier point, qui sera l'occasion de nuancer notre thèse.
III – Umberto Eco et l'interprétation des œuvres
Le recours à la psychologie de l'artiste répond à deux exigences : 1° le sens de l'œuvre ne nous apparaît pas clairement, alors
nous « le » demandons à l'artiste.
2° L'œuvre ne nous semble pas pouvoir avoir plusieurs sens ; le demander à l'artiste permettrait donc
de lui donner un sens et un seul.
Or, nous n'avons jusqu'ici envisagé que la première perspective : le sens est dans l'œuvre, non dans
l'esprit de l'artiste ; autonome, l'œuvre développe son sens.
Mais, qu'en est-il de la seconde ? Examinons l'exigence d'une unité de sens
au sein de l'œuvre (celle-ci ne peut pas tout signifier), en faisant la distinction entre interprétation et compréhension.
Recourir à la psychologie de l'artiste c'est, disions-nous, obtenir la garantie d'un sens stable ; or, pas plus qu'elle ne trouve son
sens hors d'elle-même, l'œuvre ne possède un sens unique.
L'idée d'interprétation ne doit pas nous faire songer à l'éclatement du sens
comme si les différentes interprétations n'offraient que des vérités contradictoires concernant une même œuvre.
La phénoménologie a mis
au jour cet aspect constitutif de l'interprétation, au sens où si je vois un cube d'un certain point de vue, tandis qu'une autre personne le
regarde sous un autre angle, celui-ci nous apparaît différemment, tout en restant interprété comme étant un cube.
Ainsi, interpréter
l'œuvre à partir d'elle-même, c'est construire sa signification, c'est-à-dire l'enrichir en évitant de la figer, tout en allant puiser en elle sa
substance.
Dès lors, l'interprétation n'a besoin que de se concentrer sur l'œuvre.
Or, interpréter, est-ce comprendre ? Si comprendre, c'est
cum-prendere (prendre ensemble), alors notre réponse doit être nuancée.
En effet, si la psychologie de l'artiste ne doit pas recouvrir la
signification de l'œuvre, celle-ci peut être utile afin de saisir dans son ensemble les conditions d'émergence de son œuvre, prise au sens
de toute sa production artistique.
Le recours à la psychologie de l'artiste pourra désormais se faire de manière lucide et éclairée.
Conclusion :
Ainsi, la nature de l'œuvre d'art empêche de la voir comme un simple message, puisque cela signifie : 1° que l'artiste pourrait
l'énoncer en une formule, ce qui n'est pas le cas, puisqu'il a ressenti le besoin de créer une œuvre originale ; 2° que la signification de
l'œuvre est plurielle, soumise aux interprétations qui l'enrichissent (et qui ne la font pas éclater) ; 3° que l'œuvre est autonome par
rapport à toute psychologie, au point même que l'artiste puisse lui trouver d'autres significations au fil du temps.
Cependant, si la psychologie de l'artiste ne peut servir à interpréter une œuvre, elle peut permettre de comprendre son œuvre.
Il s'agit
non plus d'interpréter, mais de comprendre, en convoquant un maximum d'éléments afin d'éclairer (et non pas interpréter) l'œuvre (c'està-dire toutes les productions au cours d'une carrière) d'un artiste et non une œuvre en particulier..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Synthèse – Fiche d’identité de l’œuvre – Les Cahiers de Douai – Arthur Rimbaud
- Les Impatientes, Djaili Amadou Amal Œuvre présenté
- « C’est la folie qui détient la vérité de la psychologie » MICHEL FOUCAULT
- Correction d'une question problématisée : Comment la crise de 1929 se transforme-t-elle en dépression aux États-Unis et y entraîne-t-elle la mise en œuvre de solutions inédites ?
- Faut-il être cultivé pour apprécier une œuvre d'art?