La passion rend-elle aveugle ?
Extrait du document
«
Vous pouvez ici partir d'expressions courantes de la langue française, on dit par exemple que " l'amour est aveugle " ou on va dire
d'une personne qu'elle est aveuglée par sa passion.
Dans un premier temps, faites une analyse de ces expressions : pourquoi parlet-on de cécité ici ? Aveugle à quoi ? Qu'est-ce qui dans la passion peut rendre aveugle ? Vous pouvez analyser alors ici en quoi la
passion a une emprise sur notre lucidité.
Partez d'une analyse des expressions courantes.
Lorsqu'on dit que l'amour est aveugle on
signifie généralement que l'amour conduit à voir en l'objet aimé toutes les qualités.
Quand plus généralement on parle d'un
aveuglement dû à la passion, on signifie que l'homme passionné ne voit plus que le but poursuivi que l'accomplissement de sa
passion.
Ici, vous pouvez vous reporter aux analyses de Kant lorsqu'il montre que la passion est une maladie de l'âme.
Il ne s'agit
pas de dire que la passion est étrangère à la raison, mais bien qu'elle conduit à un usage particulier de la raison : le passionné est
celui qui se sert de sa raison pour parvenir à ses fins.
Essayez de montrer alors en quoi la raison, dans cet usage est détournée de
son but.
Mais demandez-vous également si la passion ne peut pas dans une certaine forme conduire à une certaine lucidité dans
l'action .
Passion et ignorance
Pour Platon, le soleil est le symbole de la Vérité.
Le prisonnier de la caverne, l'homme, ne voit pas cette lumière; il ne voit rien
sinon des ombres car, retenu par des chaînes, il ne peut même pas tourner la tête.
Ces liens sont ceux que le corps et les sens,
alimentés par la passion, exercent sur son âme.
Et s'il tente de quitter ses liens pour sortir de la caverne, il sera aveuglé par la
lumière.
La passion est le langage du corps et de l'imagination, elle est une servitude qui nous aveugle.
Chez Aristote, elle est l'état
de celui qui subit, son contraire étant l'action.
« La passion aveugle les amants et leur montre des perfections qui n'existent pas.
Souvent nous voyons des femmes laides
ou vicieuses captiver les hommages et les coeurs.
Ils se raillent les uns les autres, ils conseillent à leurs amis d'apaiser Vénus, qui
les a affligés d'une passion avilissante ; ils ne voient pas qu'ils sont eux-mêmes victimes d'un choix souvent plus honteux.
Leur
maîtresse est-elle noire, c'est une brune piquante ; sale et dégoûtante, elle dédaigne la parure ; louche, c'est la rivale de Pallas ;
maigre et décharnée, c'est la biche du Ménale ; d'une taille trop petite, c'est l'une des Grâces, l'élégance en personne ; d'une
grandeur démesurée, elle est majestueuse, pleine de dignité ; elle bégaye et articule mal, c'est un aimable embarras ; elle est
taciturne, c'est la réserve de la pudeur ; emportée, jalouse, babillarde, c'est un feu toujours en mouvement ; desséchée à force de
maigreur, c'est un tempérament délicat ; exténuée par la toux, c'est une beauté languissante ; d'un embonpoint monstrueux, c'est
Cérès, l'auguste amante de Bacchus ; enfin un nez camus paraît le siège de la volupté, et des lèvres épaisses semblent appeler le
baiser.
Je ne finirais pas si je voulais rapporter toutes les illusions de ce genre ».
Lucrèce, De natura rerum, IV.
Le mécanisme de l'illusion dépasse chez Lucrèce le simple phénomène de la perception fausse.
: il engage également l'ordre
imaginaire.
C'est du moins le point de vue de l'observateur impartial, qui estime que ce que le passionné tient pour la réalité n'est
que chimère.
C'est essentiellement dans le domaine esthétique que ce processus fonctionne, par le biais d'euphémismes : aux
yeux et dans la bouche du passionné, tout défaut est atténué, si ce n'est converti en qualité.
La puissance de l'imagination va
même jusqu'à substituer à un caractère son contraire.
L'accumulation d'exemples ne font qu'illustrer la thèse de Lucrèce : la
passion éloigne de la réalité objective.
La passion est «déraison»; elle est une rupture d'équilibre
équilibre s'exerce normalement entre nos sens et notre raison.
Le supporter pris dans le tourbillon des cris et de la violence n'écoute
que sa passion; il «est pris», il ne fait qu'«écouter», il est «emporté», il n'est plus libre: tous ses comportements sont ceux de la
passivité.
De la même manière, l'assassin «ne se contrôle plus», le joueur de poker est «pris par le jeu», l'amoureux fou est
«aveuglé» par son amour.
Et lorsque je m'emporte, je suis «saisi» par la passion, avec tout ce qu'elle risque d'entraîner: peur,
colère, haine, mépris, vengeance.
Dominé par les pulsions de mes sens, je suis aveuglé.
Il s'agit bien, au sens propre du terme,
d'une déraison (une absence de raison), d'une folie.
La personne se trouve submergée par un flot irrépressible qui manifeste la
domination du corps ou de l'imagination sur la raison, pourtant seule instance légitime pour la connaissance et l'action.
Inversant la
hiérarchie des principes constitutifs de l'être humain, les passions vouent l'homme à tous les excès.
« La possibilité subjective de former un certain désir qui précède la représentation de son objet
est le penchant (propensio) ; l'impulsion intérieure de la faculté de désirer à prendre possession
de cet objet avant qu'on le connaisse, c'est l'instinct (comme l'instinct sexuel, ou l'instinct
parental des animaux à protéger leurs petits ; etc.) Le désir sensible servant de règle au sujet
(habitude) est la tendance (inclination).
La tendance qui empêche que la raison ne la compare,
pour faire un choix, avec la somme de toutes les tendances, c'est la passion (passio animi).
Les passions, puisqu'elle peuvent se conjuguer avec la réflexion la plus calme, qu'elles
ne peuvent donc pas être irréfléchies comme les émotions et que, par conséquent, elles ne sont
pas impétueuses et passagères, mais qu'elles s'enracinent et peuvent subsister en même
temps que le raisonnement, portent, on le comprend aisément, le plus grand préjudice à la
liberté ; si l ‘émotion est une ivresse, la passion est une maladie, qui exècre toute médication,
et qui par là est bien pire que tous les mouvements passagers de l'âme ; ceux-ci font naître du
moins le propos de s'améliorer, alors que la passion est un ensorcellement qui exclut toute
amélioration.
On appelle aussi la passion manie (manie des honneurs, de la vengeance, du pouvoir),
sauf celle de l'amour, quand elle ne réside pas dans le fait d'être épris.
En voici la raison :
quand l'ultime désir a obtenu satisfaction (par le plaisir), le désir, celui du moins qui s'adresse à
la personne en question, cesse aussitôt ; on peut donc appeler passion le fait d'être
passionnément épris (aussi longtemps que l'autre continue à se dérober), mais non pas
l'amour physique : celui-ci, du point de vue de l'objet, ne comporte pas de principe constant.
La
passion présuppose toujours chez le sujet la maxime d'agir selon un but prédéterminé par l'inclination.
Elle est donc toujours
associée à la raison ; et on ne peut pas plus prêter des passions aux simples animaux qu'aux purs êtres de raison.
La manie des
honneurs, de la vengeance, etc., du moment qu'on ne peut les satisfaire complètement doivent être mises au nombre des passions
comme autant de maladies qui ne connaissent point de remèdes.
».
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