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La liberté a-t-elle une valeur absolue ?

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« INTRODUCTION.

- Dans les moments difficiles comme ceux que nous traversons se fait plus vivement sentir le besoin d'un renforcement de l'autorité et, par suite, la nécessité d'une limitation des libertés individuelles reconnues par les États modernes, et en particulier les États démocratiques : liberté de travail, liberté des échanges, liberté de pensée (c'est-à-dire d'exprimer et de propager sa pensée), liberté d'association...

Mais, si souvent depuis le xviiie siècle, les Français ont entendu célébrer la liberté comme la plus précieuse conquête des temps modernes, que toute restriction aux libertés civiles est facilement considérée comme un recul de la civilisation et une atteinte à la dignité humaine. On peut se demander s'il n'y a pas là une illusion regrettable et si la liberté a une valeur absolue, c'est-à-dire si elle est le plus grand des biens devant lequel toute autre considération doit céder, si elle est bonne en elle-même, indépendamment de l'usage qu'il est possible d'en faire. I.

La liberté a une grande valeur.

— a) Tout d'abord, en fait, individus et peuples la considèrent comme un bien précieux : de nombreuses guerres n'ont eu pour but que la libération de l'autorité étrangère; nous savons aussi combien nous supportons difficilement d'être sous la dépendance des autres et combien sont appréciées les professions dans lesquelles on est son maître. b) Nous n'avons pas tort de faire grand cas de la liberté, car, en droit, elle présente une grande valeur.

En effet, l'homme doit vivre humainement, c'est-à-dire en exerçant ses facultés spécifiquement humaines : intelligence et volonté.

En enserrant son activité dans un cadre étroit de préceptes et d'interdits, on le dispense de penser et de choisir; on le rapproche par là de la matière brute, régie par des lois rigoureuses.

Au contraire, en lui abandonnant la direction de sa vie personnelle et de sa vie familiale, on lui fournit l'occasion de se développer et de se rendre capable de servir sur un champ plus vaste. Ainsi il est sage de tenir à ses libertés et de les défendre contre les empiétements des diverses autorités, qui facilement exigeraient de la part de tous les individus un conformisme absolu.

Mais pouvons-nous défendre nos libertés envers et contre tout, comme le bien des biens, comme une valeur absolue ? II.

Non, car la valeur de la liberté n'est pas absolue.

— a) Remarquons pour commencer que poser en principe la valeur absolue de la liberté entraîne une contradiction pratique.

En effet, nous vivons en société; or, dans une société, la liberté accordée aux uns restreint d'autant les libertés des autres.

Si l'on doit, au nom de la valeur absolue de la liberté, laisser à chacun la faculté de se comporter suivant son bon plaisir, ce sera l'anarchie, et l'anarchie entraîne, avec autrement de rapidité que les régimes les plus autoritaires, la mort de toutes les libertés, dont on reconnaît cependant, en théorie, la valeur absolue. b) Ensuite, la liberté, au sens que nous avons précisé, si elle est un bien, n'est pas le plus grand des biens.

Il est, en effet, des biens supérieurs qui amènent l'homme raisonnable à renoncer à certaines modalités de son activité libre en vue d'un intérêt supérieur : il suffira de citer la « servitude militaire », qui, lorsque le salut de la patrie l'exige, devient pour celui qui la comprend et l'accepte, un vrai titre de « grandeur » et augmente sa valeur humaine.

N'admettons-nous pas que certains individus indignes soient déchus de leur droit d'administrer des biens qui doivent normalement être conservés pour leurs enfants ? Dans ce cas, la liberté de disposer de ce qu'on possède est subordonnée aux intérêts des enfants : la liberté du propriétaire n'a donc pas une valeur absolue. c) La liberté civile n'a même qu'une valeur relative : elle n'est pas bonne en elle-même; c'est l'usage qu'on en fait qui la rend bonne ou mauvaise, qui constitue toute sa valeur.

Nous admirons un chef d'entreprise ou un père de famille, non parce qu'ils administrent leurs affaires en toute souveraineté et indépendance, mais parce qu'il les administrent bien.

Un homme de valeur n'est point celui qui ne reconnaît d'autre règle que sa libre fantaisie : au contraire, c'est la soumission de toute sa vie à un idéal qui lui donne une valeur humaine et morale. conclusion.

— La liberté n'a pas de valeur absolue : elle devient bonne ou mauvaise suivant l'emploi qui en est fait. C'est pourquoi, s'il est sage de l'accorder largement à ceux qui sont capables d'en user pour leur bien et pour le bien général, il est juste de la mesurer pour ceux qui sont incapables de se gouverner eux-mêmes et de se conduire en hommes.

Il ne faut donc pas viser à une défense forcenée des libertés acquises ni à la conquête de libertés nouvelles.

L'important est de se rendre digne de cette liberté, persuadé d'ailleurs qu'on peut atteindre le plus haut degré de valeur morale par le sacrifice de certaines de ces libertés. Si nous comprenons la liberté comme l'entend la masse, nous pouvons faire nôtre cette condamnation d'André GIDE (Journal, 669-670) : « Je tiens la liberté pour chose redoutable et désastreuse qu'il faut tâcher de réduire.

on de supprimer chez soi d'abord — et même, si l'on peut, chez le autres.

L'effrayant, c'est l'esclavage non consenti, imposé; l'excellent c'est celui qu'on s'impose; faute de mieux, celui auquel on se soumet.

O servitude volontaire! ». »

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