La jeunesse n'est-elle qu'un mot ?
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«
La jeunesse est un concept flottant, ce qu'il recouvre est laissé au jugement selon l'époque et la culture dont on parle.
Mais qu'il s'agisse de la Grèce classique, du siècle des lumières ou du XXIe siècle la jeunesse demeure un enjeu, et fait
s'interroger la cité toute entière en ce qu'elle est souvent prise pour symptomatique de ses propres maux.
Toutefois « jeunesse » ne semble pas tant désigner une population qu'un état, est-ce un état réel, et s'il n'est que
celui-là, alors en quoi se distinguerait-il de l'adolescence ? N'est-ce pas tout autant un lieu symbolique par rapport auquel
la philosophie ou la politique ont à se situer ? Ainsi, si la jeunesse n'est qu'un mot, encore faut-il comprendre combien la
représentation de celui-ci peut peser dans la vie de la cité.
I- La jeunesse : un idéal ?
Des représentations de la beauté ou de la force sont attachées à la notion de jeunesse, cela de nos jours, on le
voit à travers la publicité, mais déjà à l'époque grecque, on voit par exemple dans le Banquet les convives débattre de la
beauté des uns et des autres.
On peut également se reporter à l'iconographie grecque et les peintures de jeunes athlètes
sur le modèle apollinien.
Or ces représentations ne doivent pas tant être prises en vertu de leur sens descriptif, comme témoignant d'une
réalité, que comprise comme représentations idéales valable par leur rôle dans l'économie psychique de la cité.
En effet, la
jeunesse est l'avenir de la cité, qu'elle soit ancienne ou moderne, elle est une promesse et par là même sa représentation
est assujettie à un idéal normatif : la jeunesse comme ce qui est à venir, comme capital de la cité, ne peut qu'être belle et
forte.
La littérature tend elle aussi à nous présenter la jeunesse comme topos de la belle vie, celle mêlant à la fois
insouciance et liberté, à travers laquelle on peut passer et qui sonne comme un motif de regret : ainsi Verlaine écrivant
« Qu'as-tu fais ô toi que voilà / Pleurant sans cesse / Dis qu'as-tu fais, toi que voilà / De ta jeunesse ? » (Sagesse).
La
jeunesse vaut donc avant tout comme représentation : ce qu'il y a de précieux pour la cité car assurant son avenir, c'est
pourquoi d'ailleurs c'est d'elle que l'on peut faire un sacrifice ; ainsi les spartiates pour lesquels il était bon d'avoir un fils
mort à la guerre.
II- La jeunesse : un impératif ?
Mais si la jeunesse est un idéal elle ne vaut pas donc pas seulement en tant que passée, c'est-à-dire regret, ou
bien promesse, mais bien comme impératif, comme norme.
Cela est flagrant dans notre société moderne où la médecine et
sa pharmacie sont mises au service de cet impératif.
Le viagra, sous couvert d'apporter un certain confort à une catégorie
de la population, répond en fait au besoin impérieux de ne pas être exclu parce que physiologiquement défaillant,
autrement dit nous ne savons plus vieillir.
Déjà Dostoïevski écrivait que nous ne savions plus mourir, la mort en hôpital
devenant impersonnelle.
Les préoccupations récentes autour de l'euthanasie vont dans le même sens : sous couvert qu'il existe des
agonies effectivement horribles, on élargi l'enjeu d'une dignité dans la mort à toute la population et bientôt chacun
décidera du moment de sa propre mort.
La mort n'avait jamais été auparavant une question de droit qu'en liaison avec le
thème de la peine capitale.
Mourir aujourd'hui ce n'est plus un problème clinique ni personnel mais juridique et social.
C'est
dire combien la mort est de plus en plus repoussée, notre volonté de la contrôler témoignant de ce qu'on la dénaturalise.
Notre vision de la jeunesse engage notre rapport à la mort, comme aujourd'hui la publicité (Evian par exemple) fait
recouvrir la vieillesse de la notion même de jeunesse, notre idée de ce que c'est que vieillir et mourir s'en retrouve
compliquée.
La jeunesse n'est donc pas un mot vide quoique flottant, il est investi d'un sens, à la fois idéal et normatif.
III- Changement de perspectives ?
Il est possible qu'en ce nouveau siècle l'idée de la jeunesse s'accompagne d'enjeux qui en bouleversent notre
perception.
Par exemple le problème politique d'une éthique environnementale met en jeu un renversement : avec la
psychanalyse était thématisée l'idée d'une dette de la jeunesse vis-à-vis du père (cf.
Totem et tabou, les enfants dans les
premières sociétés tuent le père pour s'emparer des femmes mais éprouvent une culpabilité qui fait s'instaurer à la fois les
deux interdits : l'inceste et le parricide), laquelle lui permettait de se construire ; tandis qu'aujourd'hui il semble que ce
sont les aînés qui se trouvent en situation de dette.
En effet, la responsabilisation des générations actuelles à l'égard de l'écologie résonne tout autant comme une
accusation : nous ne savons pas assurer l'avenir de nos enfants, nous méprisons la jeunesse à venir, en les privant d'un
monde vivable et riche en espèce animales… Ainsi la jeunesse n'est plus perçue comme prometteuse, retour éternel de la
grâce et de l'insouciance.
Or dès lors que la dette s'est retournée ne sommes-nous pas dans une impasse ? Si la jeunesse n'est plus ce
capital, que nous pouvions chérir, envier et sacrifier à l'autel des divinités ? Ce retournement témoigne t-il en faveur de
l'hypothèse suivant laquelle la jeunesse n'est qu'un mot ? Le dire ainsi nous semble par trop rapide et inapproprié, ce
n'est pas parce qu'un mot change de sens, qu'un concept est flottant qu'il est pour autant vide, ce que semble suggérer la
formule de n'être « qu'un mot ».
Au contraire la jeunesse est une notion flottante parce que tributaire du contexte culturel
et politique dans lequel on la pense.
Conclusion :
La jeunesse n'est donc pas tant une catégorie réelle et mesurable de population, ni peut-être même un état de
grâce et d'insouciance qu'elle n'est avant tout une valeur dans l'économie psychique d'une société donnée.
Elle est
davantage un sens, un idéal et une norme qu'un simple mot, ce n'est pas parce que son contenu réel n'est pas fixe qu'elle
n'est que « mot ».
Le thème de la jeunesse est donc problématique, soit comme ce qu'on a raté ou que l'on regrette à un
niveau existentiel, soit comme ce que l'on doit protéger comme capital social, soit ce que l'on doit calculer comme à venir,
selon une perspective éthique.
La jeunesse n'est-elle que maux ?.
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