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La civilisation est-elle dans le cœur de l'homme ?

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« INTRODUCTION L'histoire de l'humanité nous présente, au cours des siècles et à travers l'espace, des modes de vie sociale très divers.

Nos contemporains, citoyens des « grandes nations » ont le sentiment d'appartenir à une époque de haute civilisation lorsqu'ils considèrent les structures de leurs collectivités et les réalisations de la technique et de la science.

C es aspects du monde moderne suffisent-ils pourtant à fonder chez les individus un épanouissement supérieur sans lequel il est vain de parler de « civilisés » ? C'est la réflexion à laquelle nous invitait Georges Duhamel lorsqu'il écrivait : « La civilisation est dans le coeur de l'homme ou bien elle n'est nulle part ». I.

CIVILISATION ET PROGRÈS MATÉRIEL L'idée de civilisation semble bien pourtant d'abord liée au progrès matériel et au développement technique d'une société. L'homme primitif à l'état de barbarie est à peu près entièrement soumis aux conditions naturelles de son existence.

Plus il sait se libérer de cette servitude en interposant en quelque sorte entre la nature et lui-même ce milieu artificiel que constituent les conquêtes de la technique, plus il peut être considéré comme « civilisé ».

Nous trouvons une illustration imagée et burlesque de cette constatation dans le Tiers Livre de Rabelais lorsque ce dernier nous fait l'éloge du Pantagruelion.

Les utilisations multiples du chanvre deviennent alors le symbole du progrès technique qui n'est pas sans effrayer « les Intelligences célestes, les Dieux tant marins que terrestres » car il permettra sans doute un jour aux hommes d'être « déifiés ». C e bel hommage rendu par un écrivain du xvie siècle à l'esprit d'invention, si fécond en cette époque de « Renaissance », peut toujours sembler actuel.

Le degré de civilisation d'un peuple nous paraît bien associé de nos jours à son niveau de développement matériel.

Pour un très grand nombre de nos contemporains, les désirs les plus extravagants des générations passées sont devenus réalité grâce au progrès technique.

Dans une page devenue célèbre, Paul V aléry énumère les avantages qu'un homme de condition médiocre possède aujourd'hui sur le roi Louis XIV.

Quels changements depuis Rabelais, et comme nous devons nous sentir fiers devant tant de réalisations pratiques ! Mais il ne faut pas s'abandonner trop ne suffit pas rapidement à de telles impressions. De nombreuses expériences récentes prouvent qu'il ne suffit pas d'apporter à des populations de type primitif les moyens modernes de la civilisation pour les transformer d'emblée en nations civilisées.

Réfrigérateurs et postes de télévision ne seront jamais que les produits d'une certaine forme de civilisation. Ils ne peuvent pas métamorphoser les hommes en profondeur.

Nous pouvons voir souvent des moyens techniques accroître la barbarie d'un groupe au lieu de l'effacer.

Au coeur même des nations les plus anciennement développées, selon la terminologie des économistes modernes, nous voyons renaître parfois les formes de l'âme primitive : Georges Duhamel nous a montré dans les Scènes de la vie future que l'utilisation de l'automobile, par exemple, éveille chez certains des instincts d'agressivité dignes de la jungle. II.

CIVILISATION ET PROGRÈS INTELLECTUEL C 'est pourquoi il semble bien qu'on ne saurait dissocier la notion de civilisation et celle d'intelligence.

Seuls mériteront le titre de civilisés ceux, parmi les hommes, qui sauront dépouiller en eux la bestialité. C ette idée selon laquelle la civilisation serait associée à la connaissance et à la pensée fut particulièrement chère aux philosophes du xviiie siècle.

V oltaire constatait avec pessimisme dans l'article « Homme » du Dictionnaire philosophique : « Plus de la moitié de la terre habitable est encore peuplée d'animaux à deux pieds qui vivent dans cet horrible état qui approche de la pure nature...

jouissant à peine du don de la parole, s'apercevant à peine qu'ils sont malheureux, vivant et mourant presque sans le savoir ». Qu'importent alors les progrès matériels apportés par l'intelligence de quelques-uns si tous les autres vivent dans l'inconscience ? La tâche des grands penseurs qui veulent développer une civilisation véritable sera donc de lutter contre l'ignorance et contre les préjugés dans tous les domaines.

La pratique de la science désintéressée par le plus grand nombre n'est-elle pas le meilleur garant de la civilisation ? Une ample diffusion des connaissances acquises s'impose donc à toute société civilisée.

C'est bien à cette exigence que correspondait une entreprise telle que L'Encyclopédie. A travers le XIXe siècle qui glorifia de cette conception souvent l'esprit scientifique, cette conviction est parvenue jusqu'à nous.

Les nations « civilisées » sont fières d'exposer au monde les moyens puissants qu'elles consacrent à l'instruction et à la recherche.

La civilisation, c'est surtout de nos jours, semble-t-il, la lutte contre l'analphabétisme et l'accession du peuple à la culture. Mais suffit-il encore d'être instruit pour de cette définition ne Plus être jamais enclin à la brutalité ou à la barbarie ? Les leçons les plus récentes de l'histoire sont souvent bien décevantes à ce propos.

Les guerres prennent aujourd'hui des formes d'autant plus cruelles qu'elles mettent en jeu davantage les intérêts des « grandes nations ».

Le haut degré d'intelligence et de connaissance scientifique de certains hommes ne semble servir qu'à accentuer le cynisme de leurs actes.

C 'est pourquoi il faut chercher ailleurs que dans la seule pensée le siège de la civilisation authentique. III.

LA CIVILISATION EST DANS LE CŒUR DE L'HOMME Les moyens techniques dont dispose un groupe social et les connaissances théoriques auxquelles ses membres accèdent ne peuvent définir qu'une notion très relative de la civilisation.

La vraie civilisation semble être fonction du degré d'humanité des individus. Montaigne constatait déjà cette relativité lorsqu'il nous parlait des « Cannibales » dans les Essais : « Chacun appelle barbarie, disait-il, ce qui n'est pas de son usage» et Montesquieu, cent cinquante ans après lui, devait tourner en dérision l'inconséquence des nations « policées » (c'est-à-dire civilisées) qui s'adonnaient à une pratique aussi inhumaine que celle de l'esclavage : « Il est impossible que nous supposions que ces gens-là [les nègres] soient des hommes, parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens ». Un comportement «civilisé » ne peut donc se référer qu'à des valeurs morales profondes, et non pas à des aspects extérieurs de l'humanité.

Il procédera du don de soi, de la solidarité, du respect d'autrui ou de ce que les chrétiens nomment la charité, autant de forces vives qui ne peuvent naître que de notre être le plus intime, de ce que Georges Duhamel appelait « le coeur de l'homme ». De ce point de vue, les nations des sociétés « primitives » les plus avancées pourront parfois tirer profit des exemples du passé ou des leçons de sociétés contemporaines qu'elles ont tendance à considérer comme inférieures à elles sur le plan de la civilisation.

L'une des grandes révélations du XXe siècle en ce sens aura sans doute été la découverte des arts primitifs.

Quelle leçon d'humanité les hommes civilisés n'ont-ils pas puisée souvent dans le sourire d'une statuette nègre ! De tels contacts sont enrichissants à la fois pour l'art et pour la civilisation.

André Malraux insiste sur cette idée dans Les Voix du Silence, lorsqu'il présente son « Musée imaginaire » comme « la suggestion d'un vaste possible projeté par le passé, la révélation de fragments perdus de l'obsédante plénitude humaine ». CONCLUSION A insi c'est à une leçon d'humilité que nous sommes parvenus au terme de ce raisonnement sur l'essence de la civilisation.

Plus que jamais sans doute dans notre univers moderne, confortable et devant les victoires de la science, nous devons nous méfier de notre apparente supériorité et relire par-delà les siècles la formule de Rabelais selon laquelle : « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ».. »

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