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Husserl: se replier sur soi-même

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Quiconque veut vraiment devenir philosophe devra « une fois dans sa vie » se replier sur soi-même et, au-dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu'ici et tenter de les reconstruire. La philosophie - la sagesse - est en quelque sorte une affaire personnelle du philosophe. Elle doit se constituer en tant que sienne, être sa sagesse, son savoir qui, bien qu'il tende vers l'universel, soit acquis par lui et qu'il doit pouvoir justifier dès l'origine et à chacune de ses étapes, en s'appuyant sur ses intuitions absolues. Du moment que j'ai pris la décision de tendre vers cette fin, décision qui seule peut m'amener à la vie et au développement philosophiques, j'ai donc par là même fait le voeu de pauvreté en matière de connaissance. Husserl

« « Quiconque veut vraiment devenir philosophe devra « une fois dans sa vie » se replier sur soi-même et, au-dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu'ici et tenter de les reconstruire.

La philosophie - la sagesse - est en quelque sorte une affaire personnelle du philosophe.

Elle doit se constituer en tant que sienne, être sa sagesse, son savoir qui, bien qu'il tende vers l'universel, soit acquis par lui et qu'il doit pouvoir justifier dès l'origine et à chacune de ses étapes, en s'appuyant sur ses intuitions absolues.

Du moment que j'ai pris la décision de tendre vers cette fin, décision qui seule peut m'amener à la vie et au développement philosophiques, j'ai donc par là même fait le voeu de pauvreté en matière de connaissance.

» HUSSERL La question « Qu'est-ce qu'une démarche authentiquement philosophique ? ».

On peut poser le problème de deux manières au moins.

Tout d'abord, il semblerait que tout être humain étant peu ou prou capable de réfléchir, tout le monde soit philosophe « à sa façon ».

Mais dire cela, n'est-ce pas dissoudre l'activité philosophique dans un relativisme stérile, et accorder la même valeur au propos spontané de l'opinion et à la pensée longuement mûrie des « grands auteurs » ? Et s'il en est ainsi, n'est-ce pas condamner par avance tout effort pour mieux comprendre le monde ? D'un autre côté, l'effort ne saurait constituer à lui seul une garantie de qualité et il faudrait parvenir à préciser à quel moment s'effectue la séparation entre le philosophique et le non- philosophique. On peut également faire remarquer que la philosophie est une activité libre dans son exercice, et que chaque penseur a le choix de ses méthodes.

Définir la philosophie, n'est-ce pas plutôt ne définir que sa manière propre de philosopher ? Comment atteindre ici l'universel sans fermer abusivement la porte à des possibilités intéressantes de concevoir l'exercice de la pensée ? C'est ce double défi que relève Husserl dans ce texte, et s'il faut s'attendre à ce qu'en définissant la philosophie il se définisse surtout lui-même en tant que philosophe, il faudra voir s'il n'est pas parvenu à préciser l'essence même de toute réflexion authentique, y compris la réflexion de penseurs totalement différents. Pour comprendre le texte Comment devenir vraiment philosophe ? Le mot « vraiment » indique la possibilité de l'imposture.

Il paraît en effet assez facile, avec un peu d'érudition, de prendre la pose philosophique et de se faire passer pour un maître-penseur. Quelques propos généraux et « profonds », quelques mots rares et bien choisis pour leur haute technicité, un soupçon d'anticonformisme, un brin d'ironie sceptique, voilà une recette qui devrait permettre de construire le personnage du philosophe tel que la foule a appris à le reconnaître.

Mais, bien entendu, nous n'avons fait ici que tracer une apparence, et tout le monde aura compris qu'elle pourrait être trompeuse. Ce qu'il faudrait déterminer avec précision, c'est le moment initia-tique du passage, par lequel on entre en philosophie comme d'autres, peut-être, entrent en religion, et par lequel on se sépare d'une certaine façon du commun des hommes à supposer que pour le commun des hommes la philosophie ne soit qu'une activité étrangère à l'essentiel de leurs préoccupations.

Ce moment est une décision, qui constitue un projet : « renverser les sciences admises jusqu'ici » pour pouvoir « les reconstruire ».

Le caractère décisif et décisoire à la fois de ce moment est marqué par l'expression « une fois dans sa vie ». Mais si Husserl l'emploie entre guillemets, c'est pour marquer l'allusion à celui qu'il cite et qui représente un modèle de philosophe, à savoir Descartes.

Le texte majeur de cet auteur, les Méditations métaphysiques, commence par cette prise de décision, et il faut ici dire quelques mots de l'entreprise cartésienne.

Le but avoué du projet cartésien est d'« établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences ».

Or, un tel projet se heurte à l'expérience de la déception.

Ce que nous avons cru n'était qu'illusion, ce qu'on nous a enseigné mêlait l'erreur à la vérité, si bien que nous ne pouvons pas faire de nos croyances, si fortes soient-elles, un critère de vérité.

Comment alors effectuer la séparation entre la simple conviction et la connaissance véritable ? C'est le doute méthodique qui en fournit le moyen.

Descartes propose de tout remettre en doute afin de voir si quelque proposition peut résister à une telle épreuve, ce qui revient à ne rien admettre sans l'avoir personnellement examiné et sans s'être efforcé de le nier afin de voir si le doute à ce sujet est pensable ou non.

Nous retrouvons les trois constituants de cette démarche dans le texte de Husserl : « se replier sur soi-même », « tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu'ici », « tenter de les reconstruire ». Si Descartes est donc bien un philosophe authentique, voire le modèle le plus abouti du philosophe (encore que la suite du texte nous aidera à prendre quelques distances, car il n'est pas sûr qu'il faille être cartésien jusqu'au bout) ce n'est donc pas simplement parce qu'il aurait une certaine prétention à la vérité, ni même parce qu'il serait parvenu à des conclusions dignes d'être à jamais retenues par l'humanité cultivée, mais bien pour avoir eu l'audace de tout repenser. Il faut en effet remarquer le caractère apparemment démesuré du projet.

Comment un unique esprit, fût-il aussi pénétrant que celui de Descartes, peut-il espérer sérieusement faire mieux que toute l'humanité l'ayant précédé ? Et si chaque nouveau philosophe, à chaque génération, est contraint à refaire ce double travail de destruction puis de reconstruction, n'est-ce pas là apporter de l'eau au moulin de tous ceux qui jugent la philosophie parfaitement inutile ?. »

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